La nouvelle opposition Les partis politiques qui composent la Coordination nationale pour les libertés et la transition démocratique (CNLTD) ainsi que d'autres partis politiques et des personnalités se sont concertés et ont mis en place une instance de coordination et de suivi. Par cette décision, ils ont signé l'acte de naissance d'une nouvelle opposition. Chacun voudrait croire qu'elle deviendra, rapidement, une opposition responsable et crédible. Cependant, et pour caricaturer, il faudrait bien que le bébé grandisse, qu'il devienne un jeune homme et enfin un adulte. Cela sera un long chemin semé d'obstacles à surmonter par la concertation, le dialogue, la discipline, une vision programmatique claire et beaucoup de sagesse. La fin des illusions Toutefois, en politique, la stratégie comme la tactique se basent avant tout sur la connaissance des intentions réelles ou supposées de l'adversaire. Il s'agit ici d'Abdelaziz Bouteflika, son gouvernement et les partis politiques qui forment sa majorité parlementaire. Dans ce cadre, il semble évident que : a- Abdelaziz Bouteflika terminera son mandat actuel comme il sera candidat à un cinquième mandat si sa santé, intellectuelle et physique, le lui permet. Cette option restera vraie même si la nouvelle Constitution devait limiter le nombre de mandats qu'un président pourrait briguer. Comme il est possible aussi qu'Abdelaziz Bouteflika puisse être affaibli et trahi par sa santé et dans ce cas, des élections présidentielles anticipées seraient organisées conformément aux dispositions de la Constitution, des lois et des règlements en vigueur. b- Les services de sécurité et l'armée n'interviendront pas et ne doivent pas intervenir dans le champ politique, dans le domaine judiciaire, dans le secteur médiatique et dans l'espace économique notamment. Mais il apparaît que ceux qui accusent l'armée et les services de sécurité d'ingérence, d'immixtion et de manquer d'impartialité et de neutralité, sont ceux-là mêmes qui leur demandent d'intervenir en leur faveur. L'armée algérienne et les services de sécurité ont eu à intervenir dans un passé récent. Ils ont subi la réprobation de la communauté internationale, ainsi que les accusations et les blâmes de la part de ceux qui se sont aventurés à mettre en danger la République et qu'ils étaient chargés de combattre et d'éliminer. Néanmoins, il est regrettable que certains, parmi ceux qui leur ont fait appel, aient assené les critiques, les sentences et les condamnations les plus fortes. Comme ils avaient refusé toutes les propositions de sortie de crise, notamment la participation à la Conférence de l'entente nationale ou aux différentes élections. Tout cela a permis de crédibiliser, à l'intérieur et à l'extérieur du pays, les attaques de l'ennemi commun. Qui pourrait croire que l'Armée nationale populaire (ANP) serait dépourvue de «mémoire» et qu'elle cultiverait la «culture de l'oubli» ? Par ailleurs, il apparaît comme souhaitable, lors de la prochaine révision de la Constitution, que le Haut Conseil de sécurité (HCS) soit reconsidéré dans sa composition, son organisation, son fonctionnement et ses missions. Il est vrai qu'aucun pays, qu'aucun président et qu'aucun gouvernement ne peut se passer de ses organes d'information et de renseignement. Cependant ces derniers ne doivent pas apparaître comme des organes politiques mais comme un organe technique. Ainsi le HCS pourrait être une instance de coordination de toutes les informations indispensables à la bonne gouvernance et à l'Etat. De même qu'il serait souhaitable d'ouvrir un large débat sur l'utilité et la nécessité de maintenir en l'état la disposition de la Constitution qui interdit aux forces armées algériennes d'intervenir à l'extérieur de nos frontières. Ce débat doit se faire à l'aune de la sécurité de nos frontières, mais aussi de la préservation de notre intégrité territoriale et de notre souveraineté nationale. La responsabilité du FLN c- Le FLN aura dans un proche avenir la lourde tâche de se refonder pour passer d'un «parti alibi et de soutien» pour devenir enfin un parti «normal». Un parti de gouvernement qui irait à la conquête de la présidence. Ainsi dans un premier temps, il lui serait nécessaire de redéfinir ses fondements politiques et programmatiques qui se fondent sur un «nationalisme» fourre-tout et qui est traversé par des tendances «lourdes» et contradictoires que sont les socialisants, les islamisants et les libéraux, pour enfin fonder un «néonationalisme» mieux adapté aux réalités que vit notre pays. Le RND se trouve lui aussi dans une situation semblable de restructuration, de réorganisation, de remobilisation et de recherche d'un présidentiable charismatique. Assurément le FLN, le RND et leurs alliés, notamment le MPA et le TAJ, trouveront les formules adéquates pour aller à la conquête des indécis, pour élargir leurs bases électorales et concevoir un processus d'alliance stratégique pour reconquérir et garder le pouvoir. Ce processus sera renforcé par les intentions de rassemblement, de regroupement et de concertation d'une opposition qui deviendrait pondérée et digne de confiance. La tentation de l'alliance Pareillement l'opposition devrait se définir, arrêter une démarche commune dans une feuille de route, se fixer des objectifs clairs et de préciser son objectif principal qui est de transformer l'Algérie par la matérialisation de ses ambitions et de ses aspirations qui sont : la conquête de la présidence de la République et du Parlement. Afin de concrétiser ses prétentions, l'opposition devrait : 1- se prononcer et choisir un leader charismatique, qui ne devrait pas être contesté par ses pairs, durant au moins un mandat. Cela sera le plus grand écueil que l'opposition aurait à franchir. Car, qui choisir ? L'opposition choisira-t-elle un homme d'expérience, parmi les cinq anciens chefs de gouvernement qui la composent ? Ali Benflis ou quelqu'un d'autre ? On lui reprochera de ne pas avoir fait ce qu'il fallait faire quand il était aux affaires et d'avoir été, surtout, un homme du pouvoir. L'opposition choisira-t-elle son dirigeant parmi les chefs de partis politiques qui en sont membres ? Abderrezak Makri ou quelqu'un d'autre ? On lui reprochera d'avoir été parfois un soutien au pouvoir et d'autres fois un opposant, comme on lui reprochera de ne pas avoir d'expérience dans la gouvernance. En effet, on ne s'improvise pas ministre, chef de gouvernement ou président de la République. Quoique... L'opposition rassemblée pourrait aussi choisir parmi, ses «jeunes loups», un homme nouveau, charismatique et qui ne prêterai à aucune critique majeure. Sofiane Djilali ou quelqu'un d'autre ? En tout état de cause le choix d'un leader charismatique et le moins attaquable possible restera une problématique à résoudre pour l'opposition comme pour ceux qui disposent de la majorité parlementaire, notamment en l'absence éventuelle d'Abdelaziz Bouteflika. 2- Se prononcer sur son «identité» politique. En effet l'opposition ne peut se présenter valablement aux différentes élections en tant que «nationaliste». Cela reviendrait à opposer des nationalistes à d'autres nationalistes, qui auraient les mêmes principes, les mêmes valeurs, les mêmes «constantes» et finalement le même programme. Tout cela apparaîtrait et pourrait être interprété comme des attaques spécifiques contre Abdelaziz Bouteflika, non en tant que président mais en tant que personne. En conséquence, l'opposition devrait se définir en tant que «démocrate», «républicaine», «conservatrice», «moderniste» ou tout autre appellation de son choix qui la caractériserai et qu'elle serait amenée à définir d'une manière précise. Tout cela permettra à l'opposition de rompre avec le nationalisme traditionnel. Les citoyens ne doivent pas être conduits à choisir entre deux programmes similaires ou entre un «Abdelaziz Bouteflika» et son éventuel alter ego. 3- Se prononcer sur un programme qui serait un programme commun ou un programme qui serait, au moins, une référence pour tous. Ce dernier doit comporter un constat sur tous les domaines, mais surtout des propositions qui seraient le fruit d'études de faisabilité aux plans technique, économique et politique. Il s'agirait de préciser les propositions tendant notamment au renforcement : des libertés, de la garantie de l'exercice des libertés individuelles et collectives, de l'indépendance de la justice, de la liberté d'information et de la communication, de la garantie de l'alternance pacifique au pouvoir etc. Espérons que la «lettre», programmée par l'Instance de coordination et de suivi qui devrait être diffusée dans les prochains jours, apportera des éclaircissements sur la voie, les objectifs et les méthodes prônés par la nouvelle opposition. Comme il serait utile que l'opposition face référence au «système» ou au «régime politique» qu'elle préconise et qu'elle souhaite instaurer pour éviter de retomber dans le piège de la démocratie hégémonique qu'elle dénonce. Un grand parti pour l'opposition ? 4- Se prononcer sur l'instrument indispensable pour concrétiser ses ambitions politiques et conquérir le pouvoir par la fondation d'une machine électorale. Dans ce cadre, faudrait-il créer un seul parti politique, ou un parti des partis politiques ? Ou bien chacun irait seul, aux élections ? A coup sûr, l'opposition nouvelle saura, au moment voulu, trouver les formules idoines, notamment les coalitions que lui imposera objectivement le contexte politique. Mais si l'opposition devait participer aux élections, en rangs divisés, cela aboutirait, une fois encore, à un échec. Pis encore, elle ne permettra pas à l'opposition de devenir un contre-pouvoir ou au moins une force qui compte et qui pourra peser sur les événements. Comme cela ne lui permettrait pas d'élargir valablement son électorat. Ce dernier ne comprendrait pas son attitude, comme il restera troublé et incommodé par une opposition qui continuerait à se satisfaire des chamailleries, à se complaire dans l'atomisation, à s'engager dans les querelles, à se rejeter dans la division et à s'investir dans des rivalités hautaines. 5- Partir à la conquête de l'électorat qui se deviserait en quatre groupes : - le premier groupe est constitué de l'électorat d'Abdelaziz Bouteflika, que l'on peut évaluer à environ 30% ; - le deuxième groupe est constitué de la partie de l'électorat qui, dans toute élection, ne vote jamais et que l'on peut évaluer à environ 20% ; - le troisième groupe est constitué par l'électorat de l'opposition que l'on peut évaluer difficilement du fait de la minorisation, que provoquent «la division» et la multiplication des partis politiques en présence, et la majoration, que pourrait induire «le rassemblement» des forces qui la composent ; - le quatrième groupe, probablement le plus important, est constitué par les indécis, par ceux qui doutent, ceux qui attendent et ceux qui ne croient plus aux hommes politiques et en leurs promesses. Cette conquête de l'électorat nécessitera d'agir dans le but d'«anoblir» la politique et de réhabiliter l'action politique et partisane par la prise en considération de la réalité et le parler vrai. La conquête de l'électorat «naturel» de l'opposition, qui n'est pas composé que de personnes aigries, ne pourrait se satisfaire de critiques stériles, de démagogie, de populisme ou de catastrophisme. La fraude n'explique pas l'échec Certes tout cela peut créer des nuisances dans la société, mais cela ne peut être un élément qui provoquerait un mouvement d'une large adhésion des citoyens. De même que la fraude, par exemple, qu'Ali Benflis a abordé dans son Livre blanc et qu'il aurait qualifié de fraude «systémique» et «institutionnelle», ce qui signifierait que la fraude électorale est ordonnée, organisée et mise en œuvre par le pouvoir et les pouvoirs publics. A ce propos, faut-il rappeler que : 1- Lors sa première élection, Abdelaziz Bouteflika a été accusé d'avoir été élu grâce à la fraude, ce qui a conduit à une mise en cause de sa légitimité. Or, Ali Benflis était son directeur de campagne. Peut-on, valablement, accuser Ali Benflis d'avoir ordonné, organisé et mis en œuvre la fraude massive ? Peut-on, raisonnablement, le soupçonner d'avoir, au moins, cautionné la fraude généralisée ? 2- Si les citoyens devaient élire un nouveau président de la République, Ali Benflis ou quelqu'un d'autre issu de l'opposition, qui empêcherait leurs adversaires politiques de les accuser, à leur tour, de fraude massive et de remettre en cause la pleine légitimité du nouveau président ? Dans ce sport national, la règle consiste, comme dans un certain nombre de pays du tiers monde, à remettre systématiquement en cause et à contester toute élection que l'on n'a pas gagnée. Ces remises en cause se basent, généralement, sur les dires de personnes peu crédibles ; elles font des déclarations gratuites et injustifiées ; elles n'ont pas utilisé les procédures pour faire une protestation légale ; elles n'ont pas récupéré les procès-verbaux des bureaux de vote pour procéder à un comptage extérieur ; et elles n'apportent aucune preuve irréfutable devant conduire à l'annulation de toute l'élection. 3- Le fait de mettre en évidence et d'une manière récurrente la pratique de la fraude et du «système de quotas» dans toutes les élections inciteraient les citoyens, les électeurs, les sympathisants, les adhérents et les militants à ne pas aller voter. Car pourquoi aller voter quand les résultats sont connus d'avance ? Pourquoi aller voter quand les résultats des élections législatives, par exemple, refléterait une répartition, selon des quotas, sans aucune relation avec les résultats réels du scrutin ? Partir à la conquête de l'électorat, c'est agir en permanence pour redonner aux électeurs confiance en eux-mêmes et dans leurs actes civiques et politiques qui consistent à aller aux urnes. Aller aux urnes, c'est voter ; c'est agir dans le but de changer la société ; c'est se mesurer aux autres pour connaître son poids réel dans la société ; c'est mener le combat électoral pour éliminer un adversaire politique ; c'est se mobiliser pour désigner le détenteur du pouvoir et de l'autorité ; et enfin c'est se rassembler pour élire et faire élire son champion, son leader. L'opposition, aujourd'hui, semble chercher sa voie. Les propos des uns et des autres laissent entrevoir des contradictions sur les solutions possibles. Mais on peut aussi considérer que chacun joue une partition et que tout cela constitue les préliminaires d'une concertation et d'un dialogue devant conduire à des choix décisifs. Rétablir le dialogue De même la proposition du FFS de réunir une conférence nationale du consensus doit être étudiée positivement par tous les acteurs du pouvoir et de l'opposition. Ainsi on ne peut que souhaiter au FFS bonne chance dans son entreprise. Toutefois nous devons tous, par nos paroles, nos écrits, nos actes et notre adhésion, apporter un soutien effectif et concret à une telle entreprise qui, pour la première fois, émane du plus crédible parti politique d'opposition de notre pays. Dans ce cadre, la démarche du FFS se propose d'agir pour instaurer une atmosphère de confiance et pour instituer un climat de dialogue apaisé devant aboutir à un consensus le plus large possible sur une démarche et des propositions concrètes qui finalement pourraient être mises en œuvre par un gouvernement d'union nationale, par exemple. Le refus de l'adversaire Toutefois, on ne peut que s'interroger jusqu'où les antagonistes, les sourds et les inaudibles pourraient pousser la confrontation stérile, les solutions irréalistes, les fausses propositions et la redistribution du pouvoir, sans que le pays aboutisse à la désespérance et à la fracture ? Aucune opposition ne doit s'attendre à ce que le pouvoir la ménage, la favorise ou lui cède la place. Comme aucun pouvoir ne s'attend à ce que l'opposition soit docile, soumise et qu'elle lui facilite la tâche. Mais il ne s'agit pas non plus d'être intransigeant en tout temps et sur toute chose. L'intransigeance et la rigidité conduisent rarement au pouvoir. La nouvelle opposition devrait être capable de proposer, de négocier et de composer. Néanmoins elle doit savoir pourquoi elle compose et sur quoi elle compose. Toutefois, il appartient à la nouvelle opposition de s'exprimer par un discours clair, de renforcer ses capacités, de rassembler ses forces et d'unir ses membres pour ne pas avoir à composer au-delà de ce qu'une nouvelle opposition réelle, crédible et responsable pourrait accepter sans devenir, purement et simplement, l'otage, la justification et la couverture du pouvoir. A. S. * Ancien membre du Conseil national de transition, CNT. [email protected]