Le Président turc Recep Tayyip Erdogan a dénoncé comme une «trahison» hier la revendication autonomiste du principal parti pro-kurde tandis que règne un climat de quasi-guerre civile dans le sud-est de la Turquie, théâtre d'intenses combats entre les forces armées et le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK). L'homme fort de Turquie n'a pas mâché ses mots devant la presse à Istanbul en attaquant avec virulence le chef de file du Parti de la démocratie des peuples (HDP), Selahattin Demirtas, qui a évoqué le week-end dernier une possible autonomie pour la minorité kurde. «Ce que ce coprésident a fait constitue une trahison, une provocation très claire», a martelé M. Erdogan, accusant les responsables de son parti d'être des «marionnettes» à la solde du PKK. La justice turque a ouvert une enquête lundi à l'encontre de M. Demirtas, bête noire du chef de l'Etat, pour avoir réclamé une autonomie, lors d'un congrès réunissant différentes organisations kurdes. La Constitution turque interdit toute division du territoire turc sur des bases ethniques, comme le Président l'a rappelé : «De quel droit pouvez-vous parler dans le cadre de notre structure unitaire d'établir un Etat dans le Sud-Est, dans l'Est ?». «Ni la volonté nationale, ni les forces armées ne le permettront», a-t-il averti. Les tensions politiques sont au comble entre le gouvernement islamo-conservateur et les représentants du HDP, troisième force politique de Turquie. Une opération militaire d'une ampleur inédite est menée par 10 000 hommes depuis deux semaines dans des villes du Sud-est anatolien contre les membres du PKK, et surtout son organisation de jeunesse, le YDG-H. Celle-ci a lancé un «soulèvement» dans les centres urbains, alors que traditionnellement elle affronte l'armée dans la campagne. Lourd tribut pour les civils Les combats ont tué plus de 200 membres du PKK et plusieurs soldats et policiers, selon Ankara, sans épargner les civils qui payent le plus lourd tribut. Ce bilan est invérifiable de source indépendante car les villes concernées sont sous couvre-feu depuis des semaines, coupées du monde. Cizre, Silopi, Nusaybin et le district de Sur, la vieille ville de Diyarbakir, la grande ville du Sud-est turc, sont les plus touchées. Les civils pris au piège des combats ont émigré par dizaines de milliers vers des zones plus sûres, selon les médias. Ceux forcés de rester confinés dans leurs maisons sont confrontés à des coupures d'eau, d'électricité et de réseau mobile. Dans cet état de siège, les hôpitaux, les administrations locales et les écoles sont à l'arrêt. De nombreux civils ont été tués (129, selon le HDP) depuis la reprise des combats entre l'armée et le PKK l'été dernier, après une trêve de deux ans entre les parties dont on espérait qu'elle pourrait enfin déboucher sur une solution politique du conflit kurde qui dure depuis 1984. Lors d'un discours au Parlement hier, la coprésidente du HDP, Figen Yüksekdag, a exhorté la Turquie tout entière à se mobiliser contre les couvre-feux imposés dans les zones kurdes. «J'en appelle surtout à l'Ouest. Mobilisons-nous et fêtons le Nouvel an à Diyarbakir», a-t-elle dit. «On ne permet pas même à cette population d'enterrer ses morts», a-t-elle en outre déploré, accusant l'Etat turc de «faire la guerre à son peuple». Lundi soir, c'est un garçon de cinq ans qui jouait devant sa maison d'un quartier de Cizre qui a été tué d'une balle dans la nuque, rapporte le journal Hürriyet. Un journaliste de ce quotidien faisait état hier de scènes de guerre à Sur. Des centaines de maisons et commerces ont été détruits dans l'ancien cœur touristique de Diyarbakir où les combattants kurdes ont creusé des tranchées et érigé des barricades. Environ 2 000 manifestants réunis dans ce quartier historique aujourd'hui dévasté à l'appel d'organisations de gauche ont scandé des slogans réclamant la levée du couvre-feu avant d'être violemment dispersés par la police qui a fait usage de gaz lacrymogène, selon l'agence de presse Dogan. A Ankara par ailleurs, deux manifestations en faveur de la paix ont réuni un millier de personnes dans le centre de la capitale turque, a constaté un photographe.