La guérilla kurde de Turquie a poursuivi hier pour le dixième jour consécutif ses attaques meurtrières contre les forces de l'ordre, le pouvoir intensifiant de son côté l'offensive judiciaire contre les leaders politiques kurdes avant de probables législatives anticipées. Deux policiers ont été tués hier matin lors de l'assaut du commissariat de la ville de Pozanti, dans la province d'Adana (sud), portant à au moins 13 morts en dix jours le bilan des attaques attribuées au Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK). Celui-ci vise en priorité des postes de police, des soldats en faction ou des convois militaires, dans un nouveau cycle de violences déclenché par l'attentat suicide de Suruç où 32 jeunes militants de la cause kurde ont trouvé la mort. La guérilla a jusque-là concentré ses assauts dans des provinces du sud-est anatolien proches de la frontière avec le nord de l'Irak, où l'état-major du PKK s'est réfugié. Mais l'attaque d'hier est survenue plus à l'ouest, dans une zone fréquentée par des touristes. L'armée turque a mené en représailles des dizaines de raids aériens, ciblant les bases rebelles nichées dans les montagnes irakiennes et faisant passer au second plan la «lutte contre le terrorisme» également décrétée par Ankara contre le groupe Etat islamique (Daesh). Parallèlement, le pouvoir islamo-conservateur a engagé une offensive judiciaire contre les leaders du parti prokurde HDP, considéré comme le grand vainqueur des élections législatives du 7 juin. Il a d'abord ciblé jeudi le chef charismatique du mouvement, Salahattin Demirtas, accusé de «troubles à l'ordre public» et d'«incitation à la violence». Si l'instruction est menée à son terme et qu'il est jugé, il risque jusqu'à 24 ans de prison, selon l'agence gouvernementale Anatolie. Orateur talentueux, M. Demirtas, 42 ans, est devenu la bête noire du président turc Recep Tayyip Erdogan, qui l'accuse de soutenir les «terroristes» du PKK. Hier, c'était au tour de la coprésidente du parti, Figen Yuksekdag, d'être visée par une enquête judiciaire, ouverte pour «propagande en faveur d'un groupe terroriste». Il est reproché à Mme Yuksekdag de récentes déclarations en faveur des rebelles kurdes de Syrie, considérés par Ankara comme des alliés proches du PKK. Ces mêmes combattants kurdes sont aussi devenus de précieux soutiens sur le terrain de la coalition internationale montée par les Américains contre Daesh... Pour les dirigeants du HDP, l'unique objectif de M. Erdogan est de se «venger» du score inattendu de leur formation aux législatives du 7 juin. Avec 80 députés, elle avait priver le parti islamo-conservateur au pouvoir de la majorité absolue au Parlement. M. Demirtas accuse le président turc de «déstabiliser » le pays dans l'espoir de favoriser l'AKP en cas d'élections anticipées. Or, celles-ci semblent de plus en plus probables, M. Erdogan ayant fait part hier de son scepticisme sur les chances de voir aboutir les discussions en cours entre l'AKP et les sociaux-démocrates du parti CHP pour la formation d'un nouveau gouvernement. «Sinon, il faudra retourner immédiatement devant le peuple pour sortir de cette situation», a-t-il dit, selon des propos rapportés par la presse turque l'accompagnant dans un voyage officiel en Indonésie. Durant sa visite à Jakarta, M. Erdogan a vivement rejeté les accusations selon lesquelles le régime d'Ankara a longtemps aidé les terroristes de Daesh. «Des pouvoirs maléfiques mènent une campagne de désinformation contre la Turquie, a-t-il assuré dans une allusion apparente à la rébellion kurde, mais la Turquie n'a jamais été impliquée dans un scénario de ce type».