Trois pays doivent prier pour que l'occupation de l'Irak et de l'Afghanistan se poursuive le plus longtemps possible : la Syrie, la Cor�e du Nord et Cuba. On aurait pu inclure l'Iran mais le sc�nario d'une intervention militaire contre cet autre �axe du Mal� est improbable. La cas syrien nous pr�occupe pour des raisons �videntes de proximit� et de sympathie � l'endroit de ce pays o� vivent nombre de nos compatriotes, d�port�s par la colonisation, et qui s'est tenu fermement aux c�t�s du mouvement de lib�ration nationale. Sans compter que nombre d'entre nous ont acquis leurs premiers rudiments de la langue arabe aupr�s d'enseignants syriens, au demeurant fort comp�tents, apr�s l'ind�pendance. Dans le cas syrien, le pr�texte n'est pas la d�tention d'armes de destruction massive �chappant au contr�le international, ni le soutien au terrorisme international, mais � objet in�dit dans le droit international � son implication possible dans l'assassinat, le 14 f�vrier dernier � Beyrouth, de l'ex-Premier ministre et homme d'affaires libanais pro-saoudien, Rafik Hariri. Le pr�sident syrien Bachar Al- Assad a beau clamer l'innocence de son pays, il s'en est vivement pris aux grandes puissances occidentales, qu'il accuse de complot. Rien n'y fait, il se dirige tout droit vers des sanctions �conomiques internationales. M. Bachar Al-Assad le sait mieux que quiconque, quoi qu'il fasse ou qu'il dise, la r�ponse sera � la fin de ce mois s'il ne coop�re pas avec les Nations unies dans l'enqu�te sur l'assassinat. Tous les ingr�dients d'une telle issue sont r�unis : M. Detlev Mehlis, qui dirige la commission d'enqu�te de l'ONU, a refus� la proposition syrienne de se rendre � Damas pour pr�parer un protocole d'accord juridique entre les deux parties. Tout comme il a rejet� la demande de Damas que ses ressortissants soient interrog�s sur son territoire (�ventuellement sous la banni�re de l'ONU) ou dans un pays tiers, comme au si�ge de la Ligue arabe, au Caire. La r�solution 1636 du Conseil de s�curit� de l'ONU pr�cisait justement que �la commission aura l'autorit� de d�cider le lieu et les modalit�s d'interrogatoire�. Elle a d�cid� que ce sera Vienne, o� l'audition de cinq responsables syriens a commenc� hier. Le principal t�moin de ces auditions est Houssam Taher Houssam, coiffeur � Beyrouth et indicateur de longue date des services secrets syriens, qui accuse m�me Sa�d Hariri, fils du Premier ministre assassin�, de lui avoir offert 1,3 million de dollars pour d�noncer le fr�re et le beau-fr�re de Bachar el-Assad. Un autre t�moin sera entendu : Mohammed Zuher al-Sadiq, un pr�tendu officier de renseignement syrien, actuellement emprisonn� � Paris dans l'attente de son extradition � la demande d'un juge libanais qui veut l'inculper pour faux t�moignage L'histoire retiendra le bras de fer de deux hommes : un jeune chef d'Etat arabe, plut�t alerte et sympathique, et un vieux magistrat allemand jusque-l� inconnu. Le magistrat allemand Detlev Mehlis qui conduit, depuis mai, l'enqu�te internationale sur le meurtre de l'ancien Premier ministre libanais Rafic Hariri, est un procureur sp�cialis� dans l'antiterrorisme qu'aucun pr�venu ne souhaiterait croiser. M. Al-Assad a, d�s le d�part, adopt� une ligne de bon sens : �Nous coop�rerons, mais pas jusqu'au point de nous suicider.� Il ne m�nage �galement pas les commanditaires de l'enqu�te qu'il ram�ne, directement, � la personne du Premier ministre libanais, Fouad Siniora, et, indirectement, au d�put� Sa�d Hariri, fils du dirigeant assassin�. Les protagonistes au conflit connaissent les armes autoris�es et les risques encourus : pour les adversaires de la Syrie, les sanctions �conomiques repr�sentent en th�orie un outil de pression id�al, moins sanglant que la guerre, Bachar El-Assad doit r�aliser que pareilles sanctions demeurent cependant plus efficaces que les incantations diplomatiques. Embargo sur le commerce ou les investissements, suspension de l'aide, gel des avoirs... En Afrique noire, on peine � suivre la valse des embargos (armes, cr�dits, diamants, bois pr�cieux) en vigueur, assouplis ou lev�s, mais toujours aussi imparfaits et qui font le bonheur des maffias arm�es locales. Il se produit une v�ritable criminalisation de l'�conomie avec l'�mergence d'une �classe� de contrebandiers, intimement li�e � l'appareil r�pressif. Mais dans l'ensemble, frapper au portefeuille, sans effusion de sang, un �Etat voyou� qui menace ses voisins, exproprie et massacre sa propre population, exporte drogue et terrorisme, ou viole les trait�s internationaux, para�t bien plus efficace que les exhortations des chancelleries appelant des dictateurs � devenir raisonnables. L'arme �conomique � laquelle ont recouru massivement l'Union europ�enne et, surtout, les Etats-unis pendant vingt ans fait aujourd'hui douter de son efficacit� pour deux raisons : elle atteint rarement son but et rec�le un co�t humain �lev�. La communaut� internationale ignorait cette sanction avant 1945, mais, depuis, elle y a recouru en vain, contre l'Italie pour son invasion de l'Ethiopie. Elle y a �galement recouru par deux fois pendant la guerre froide � contre la Rhod�sie, de 1966 � 1979, sans succ�s. Seule l'Afrique du Sud a pu mesurer son efficacit�, de 1977 � 1989. Grosso modo, une quinzaine d'embargos ont �t� d�cid�s dans les ann�es 1990, faisant de cette p�riode la �d�cennie des sanctions�. Parall�lement aux d�cisions du Conseil de s�curit� de l'ONU prises dans ce sens, donc imposables � tous, les Etats occidentaux n'ont pas �t� avares de sanctions unilat�rales, parfaitement l�gales � l'inverse des interventions militaires : tout Etat a le doit de faire commerce avec qui veut et de refuser d'y investir, pour peu que ses boycotts � l'importation ne visent pas un pays membre de l'Organisation mondiale du commerce (OMC), car, dans ce cas, il lui faudra alors invoquer la s�curit� nationale comme le pr�voit l'article 21 de sa charte. L'Union europ�enne a aussi eu largement recours aux sanctions unilat�rales, contre la Chine, divers pays d'Afrique et la Birmanie. Outre les sanctions multilat�rales et bilat�rales, la Syrie encourt une troisi�me cat�gorie de mesures : les sanctions secondaires. Les sanctions secondaires ont �t� invent�es en 1996 par le Congr�s des Etats-Unis, avec les lois Helms Burton (contre Cuba), et d'Amato (Iran et Libye). Elles consistent essentiellement � punir les entreprises de toute nationalit� qui refusent de boycotter un r�gime sc�l�rat. Elles ont scandalis� le monde du droit international par leur caract�re extraterritorial, sans susciter la d�sapprobation de l'OMC qui les autoriserait parce que la s�curit� nationale est en jeu. Leur teneur frise parfois le ridicule : la loi Helms Burton permet seulement des poursuites contre ceux qui font des affaires avec les h�riti�res des entreprises am�ricaines expropri�es par La Havane en 1963. On le d�duit ais�ment de ce qui pr�c�de : les Etats-Unis sont le principal consommateur de �sanctions �conomiques�. Bill Clinton a sign� � lui seul la moiti� des 125 sanctions prises par les Etats-Unis depuis 1945. A tel point que, en 1998, 75 pays concentrant 42 % de la population mondiale �taient l'objet de r�torsions am�ricaines. Quelles soient multilat�rales, unilat�rales ou secondaires, leur objet recouvre un large spectre de motivations, pour inclure des pressions exerc�es au nom des droits de l'homme, des querelles commerciales, y compris avec l'Union europ�enne, ou des repr�sailles dans des dossiers �cologiques, y compris l'utilisation de filets dangereux pour les dauphins ! L'impact de ces dispositifs varie en fonction de la puissance de la partie vis�e. L'Inde n'est pas la Libye et le Pakistan n'est pas Cuba. L'Inde a poursuivi sereinement son programme nucl�aire malgr� les mesures prises en 1994 par Washington et le Pakistan n'y a pas renonc� non plus, en d�pit des repr�sailles de son alli� am�ricain. Les sanctions ont �galement manqu� leur but en Serbie, Birmanie, Somalie, Iran, Rwanda, Soudan, Afghanistan, Congo, Erythr�e, Ethiopie, Cuba, Chine... En fait, on ne peut citer qu'une poign�e de cas o� les sanctions seules auraient atteint leur but politique : l'Afrique du Sud, avec l'abolition de l'apartheid en 1989 ; la Libye, avec la fin en 2003 du programme d'armes de destruction massive apr�s un embargo qui a dur� dix-sept ans (il a �t� lanc� en 1986) ; la Bosnie, l'Angola... et, paradoxe, l'Irak, puisque, faute de pouvoir importer les �quipements n�cessaires, Saddam Hussein a �t� incapable de reconstituer son arsenal d'armes de destruction massive. Le bilan humain d'un tel renoncement demeure cependant lourd : l'embargo total pratiqu� contre Baghdad entre 1991 et 1998, sur la d�cision du Conseil de s�curit� de l'ONU, s'est accompagn� d'un effondrement des infrastructures civiles et, selon l'Unicef, de 200.000 � 500.000 d�c�s suppl�mentaires d'enfants. C'est ce co�t humain, parfois plus �lev� que celui d'une guerre, qui explique � quel point les sanctions sont contre-productives. Sans affecter les �lites, elles soudent bon gr� mal gr� la population autour du r�gime, qui adopte une mentalit� d'assi�g� ou nourrit un sursaut nationaliste. L'opposition int�rieure se trouve alors accus�e de servir �l'ennemi ext�rieur� et devient passible de �haute trahison�. Les p�nuries renforcent aussi l'emprise du pouvoir, puisqu'elles r�tablissent son monopole sur la distribution des produits alimentaires et des m�dicaments, y compris lorsqu'ils proviennent de l'aide humanitaire �trang�re.