�Apr�s le choc, je me suis retrouv� par terre, je croyais m��tre r�veill� dans une tombe, et que c��tait l�heure des comptes�� Nabil M., qui a v�cu dans sa chair et dans son moral l�attentat � la voiture pi�g�e contre la Maison de la Presse le 11 f�vrier 1996, tente de plaisanter en revenant pour nous sur cet horrible �pisode. Notre coll�gue a toujours le mot pour rire, c�est un peu le boute-en-train de la r�daction. Le fait d��tre �interview� le fait glousser. Son embarras est �vident, il le cache en taquinant notre r�dacteur en chef, qui, pour les besoins de �l�entretien�, nous a c�d� son bureau. Difficile pour lui et pour nous d�aborder, et directement, le sujet. Evoquer l�horreur v�cue le 11 f�vrier 1996 par le collectif du Soir d�Alg�rie, par toute la Maison de la Presse Tahar-Djaout et par les victimes de cet attentat et leur famille n�est pas chose ais�e. Apr�s une boutade, pas la derni�re, Nabil commence son r�cit. Ses souvenirs sont intacts, aucune image n�a �t� alt�r�e. �S�rieusement, je pensais �tre dans une tombe, le sol vibrait, j�ai cru un instant que c��tait un tremblement de terre. D�instinct, je me suis lev�, je me suis accroch� � un bureau, jusqu'� ce que �le tremblement de terre�, qui a dur� une trentaine de secondes, cesse. Apr�s, j�ai compris que c��tait une bombe�� Il �tait loin de penser que c��tait une voiture pi�g�e qui avait fait de tr�s nombreux morts. Nabil se souvient avoir entendu ses coll�gues l�appeler �Nabil ! Nabil �! Je pensais qu�elles s�inqui�taient pour moi, alors qu�elles m�appelaient au secours. Je me t�tais. Selon mes coll�gues, je disais �ils nous ont trahis �khadouna��, moi je n�en ai pas souvenance� J�entendais mon pr�nom, l�appel persistait. J�essayais de me relever, c��tait le noir absolu ! J�ai vu un faisceau de lumi�re� C��tait la sortie !� Bien qu�en ces tempsl� les journalistes avaient appris � vivre avec l�id�e de passer de vie � tr�pas � tout moment, allant jusqu'� flirter avec la mort en continuant de faire ce m�tier qui est le n�tre, ignorant parfois les consignes de s�curit� les plus �l�mentaires, Nabil n�a pas pens� une seule seconde qu�en quittant la salle de documentation pour rejoindre le service de publicit� il allait fr�ler la mort. �La Maison de la Presse ressemblait � un endroit hant� envelopp� par un immense nuage de poussi�re.� Il �tait pr�s de 15 heures ce 11 f�vrier 1996 quand Nabil, bouclant ce jour-l� ses deux ans au journal, quitte le service documentation. �C��tait un jour de Ramadhan. J�avais fini ce que j�avais � faire. Histoire de tuer le temps, je suis all� au service pub discuter avec mes coll�gues�� Service qui donnait sur la rue Hassiba, lieu de l�attentat � la voiture pi�g�e. �Il y avait Dalila, Nac�ra, Nadia, Soraya et Mounia. Cette derni�re n�est plus revenue depuis. Je leur racontais une blague, je n�ai pas eu le temps de la terminer� D�ailleurs, aujourd�hui encore quand je sugg�re � mes coll�gues de leur terminer l�histoire, elles m�arr�tent net de peur que quelque chose se produise�. La parenth�se ferm�e, il revient pour raconter comment d�instinct il a suivi le faisceau de lumi�re pour se diriger vers la sortie, en ayant dans les tympans le bruit assourdissant de la d�flagration et sur le corps, principalement le visage, les entailles provoqu�es par les �clats de verre. �Quand je suis enfin sorti, l�affolement �tait g�n�ral. Une coll�gue, Fa�za, m�avait pris en charge. Elle pleurait. Je ne savais pas que j��tais amoch� et que je ne voyais plus de mon �il gauche.� Nabil se rendant � l��vidence, son journal vient d��tre la cible d�un acte terroriste, se remet � r�fl�chir avec la �logique� des terroristes. �Quand ils posaient une bombe de petite intensit� quelque part, c�est qu�une autre plus importante �tait plac�e ailleurs. Le mouvement de foule et de panique aidant, elle faisait beaucoup plus de victimes.� Partant de ce constat, Nabil raconte avoir �vit� le centre de la Maison de la Presse, o� il y avait une panique g�n�rale. Il a ras� les murs pour se retrouver au niveau de la cafet�. �J�ai vu Zaza, alors photographe d� El Watan me mitrailler avec son appareil. Je me suis retourn� pour �viter les photos, j�ai vu Na�ma Yachir tourner la t�te� J�ai compris que j��tais amoch�.� Pour Nabil, c��tait sans importance, il �tait vivant, voil� le plus important. �C��tait un miracle. Je me souviens que tous ceux qui me voyaient me demandaient d�aller � l�h�pital. Comment y aller alors que les secours n��taient pas encore arriv�s ? Notre miracul� coll�gue raconte que c�est un policier qui avait fait le n�cessaire pour son �vacuation sur le CHU Mustapha. �Mon hospitalisation a �t� un autre cauchemar. Les gens fuyaient, je me souviens qu�il y avait une Zastava. Le conducteur ne voulait pas s�arr�ter, le policier de la Maison de la Presse a tir� en l�air pour l�obliger � s�arr�ter. Il m�a conduit aux urgences sans dire un mot tant il �tait terroris�.� C�est aux services des urgences que Nabil s�est rendu compte de l�ampleur des d�g�ts de la bombe sur les passants. On parlait d�j� de dizaines de morts. �Qu�est-ce que ma blessure devant les horreurs que je voyais ?� commente Nabil qui se souvient qu�on lui avait donn� une compresse qu�on lui avait demand� de mettre sur la partie droite de son visage. �Un m�decin qui n��tait m�me pas en blouse s�est approch� de moi C��tait un m�decin qui n��tait m�me pas de service, il avait entendu l�appel � la radio et s�est naturellement dirig� vers l�h�pital.� Il en �tait tr�s souvent ainsi � ce moment-l�. Nabil suit le m�decin volontaire dans un autre service. Il raconte qu�ils se sont mis � quatre pour coudre, � vif, les plaies b�antes qu�il y avait sur son visage. L�op�ration termin�e, il s�est rendu compte qu�il ne voyait pas de son �il gauche. �Je pensais que c��tait d� � un d�bris quelconque, j�ai frott� en vain, on m�a alors orient� vers le service ophtalmologie.� C�est seul que Nabil a d� s�y rendre, le visage envelopp� dans un bandage, tel une momie. Nabil s�arr�tera devant une cabine pour appeler sa famille, avant de rejoindre le service ophtalmo. L�exploration fera ressortir une plaie de la corn�, il fallait op�rer et en urgence. �Comme j��tais � jeun on m�a demand� de le rester pour les besoins de l�op�ration. Une datte qu�un des malades m�a oblig� de manger a fait retarder l�intervention d�une journ�e.� Avant d�aller au bloc, Nabil a tent� en vain d�avoir des nouvelles de ceux qui travaillent avec lui. Il avait appris qu�il y avait eu des morts mais il ne savait pas de qui il s�agissait. Une fois sur la table d'op�ration, notre coll�gue allait vivre une terrifiante exp�rience. Il en est profond�ment marqu�. �Ils ont allum� le projecteur, m�ont mis un tuyau d�oxyg�ne. J��touffais parce qu�il n�y avait pas d�oxyg�ne. J�essayais de me relever pour respirer, on me remettait de force sur le billard�� Nabil fera la tentative des dizaines de fois. Croyant qu�il �tait agit�, on lui administre une dose de calmant. Son r�cit, il le reprend � partir du moment o� il rejoint la salle. L�, un autre coll�gue s�y trouve. Dembri est �borgn� ! Aujourd�hui, Nabil a retrouv� la vue un sur dix. La p�riode postop�ratoire a elle aussi �t� un calvaire pour Nabil. �J�y suis rest� une dizaine de jours, p�riode durant laquelle il fallait que l�on fasse des injections, toutes les dix heures je crois. Dix jours durant lesquels je ne dormais pas la nuit car il n�y avait aucune s�curit�, n�importe qui aurait pu entrer pour achever les journalistes qui s�y trouvaient.� A cela s�ajoute le fait que pour faire son injection, Nabil devait quitter la salle, suivre en pyjama, dans les couloirs et les sous-sols froids du service, l�infirmier qui devait lui administrer son injection. �Parfois il n�y en avait pas. Je n�ai jamais compris pourquoi on d�pla�ait un malade pour une injection.� Nabil quitte l�h�pital soulag� de retrouver les siens. Chez lui, il apprend que quatre de ses coll�gues ont trouv� la mort dans l�explosion de la voiture pi�g�e. Il d�cide alors d�abandonner le m�tier. Une id�e qu�il effacera juste apr�s y avoir song�. �Le courage de mes coll�gues, surtout les filles, m�a fait changer d�avis�� Nabil, qui � ce jour garde la chemise rouge qu�il portait le jour de l�attentat, reprend son m�tier de journaliste et d�cide de travailler sur la question s�curitaire. Pour lui , comme pour l�ensemble des confr�res qui ont v�cu dans leur chair les ann�es terrorisme, tout devient secondaire quand on fr�le de si pr�s la mort.