Le prix Nobel d'�conomie 2007 n�a pas suscit� autant de m�diatisation et de r�actions que d�habitude. Cela tient peut-�tre au fait qu�il r�compense des travaux inscrits dans le sillage d�un �existant� largement connu et lui aussi d�j� r�compens�. Il a �t� attribu� � trois Am�ricains, Leonid Hurwicz (90 ans, d�origine russe), Eric Maskin (56 ans) et Roger Myerson (56 ans) pour leurs travaux sur la th�orie dite de conception des m�canismes ("mechanism design theory"), elle-m�me bas�e sur la th�orie plus ancienne des jeux dont elle est un sous-ensemble. La th�orie des jeux remonte aux ann�es 1940 avec les travaux de John Von Neumann et Oskar Morgenstern. Elle conna�tra un second souffle en 1955 lorsque L. Friedman mit au point la premi�re th�se op�rationnelle sur les m�canismes d�ench�res, puis en 1961 gr�ce � William Vickrey. Le m�rite de ce dernier est de fixer le comportement de chaque ench�risseur et de ses concurrents. L��quilibre entre eux d�signe alors le r�sultat de la confrontation de strat�gies de mises qui constituent, du point de vue de chaque ench�risseur, la meilleure strat�gie compte tenu des anticipations de chacun sur la fa�on de miser et sur les �valuations priv�es de leurs concurrents. William Vickrey a analys� les propri�t�s de l�ench�re au second prix dite �ench�re de Vickrey� (c�est-�-dire l�ench�re dans laquelle le �gagnant�, �metteur de l�offre la plus �lev�e, paie le prix correspondant � la seconde meilleure offre). Selon William Vickrey : quoi que fassent les autres �joueurs�, un ench�risseur a toujours int�r�t � �mettre une offre d�un montant �gal � son �valuation r�elle de l�objet. Ainsi, �dire la v�rit� est une strat�gie strictement dominante, c�est-�-dire une strat�gie qui offre � l�ench�risseur des gains sup�rieurs aux autres strat�gies, quel que soit le comportement adopt� par les autres �joueurs�. L�apport de la th�orie des jeux dans les m�canismes d�ench�res a donn� naissance au th�or�me d��quivalence des revenus, �quivalence plausible sous certaines conditions id�ales : que les joueurs soient neutres face au risque (ils accordent la m�me valeur au pari et � ses attentes), que les �valuations priv�es de chaque joueur soient tir�es de la m�me distribution de probabilit� (sym�trie des joueurs) et que les acheteurs disposent de la m�me information Dans cette m�me trajectoire, le m�rite des nouveaux laur�ats est de parfaire la connaissance des m�canismes qui peuvent expliquer le fonctionnement des march�s et de les corriger en cas de besoin. Ils apportent, notamment, r�ponses aux questions de savoir : quels m�canismes commerciaux permettront d'obtenir les gains les plus importants ? Quels m�canismes optimiseront les gains attendus par le vendeur ? Quels syst�mes d'assurance fourniront les meilleures couvertures sans inciter � une mauvaise utilisation ? Quel est le meilleur m�canisme pour atteindre un certain objectif comme des allocations sociales ou un b�n�fice priv� ? Voil� autant de questions auxquelles la th�orie, amorc�e par Hurwicz et compl�t�e par Maskin et Myerson, est suppos�e r�pondre. Cette "th�orie nous permet de distinguer les situations dans lesquelles les march�s fonctionnent bien de celles o� les march�s fonctionnent mal", a indiqu� l'acad�mie royale su�doise des sciences dans ses attendus. Les trois hommes, � commencer par M. Hurwicz en 1960, ont �tudi� comment la th�orie des jeux pouvait aider � d�terminer la m�thode la meilleure et la plus efficace pour r�partir des ressources en fonction des informations disponibles. La th�orie dite des m�canismes d'incitation �a aid� les �conomistes � identifier les m�canismes d'�changes efficaces, des mod�les de r�gulation et des proc�dures �lectorales�, ajoute l'acad�mie. Il s'agit, l� aussi, de concevoir les m�canismes qui assureront en cas d'ench�res, comme pour les fr�quences de t�l�phonie portable ou les fr�quences radio, les r�gles qui assureront leur distribution �quitable en fonction des int�r�ts de chacun des intervenants. Cela peut �tre �galement un mod�le destin� � assurer au vendeur comme � l'acheteur le meilleur prix dans le cadre d'une transaction. Le jury du prix Nobel rappelle par ailleurs que la th�orie �conomique classique repose sur la pr�misse d'un monde id�al dans lequel les march�s seraient efficaces � 100 %. Or, en r�alit�, la concurrence n'est pas totalement libre, les consommateurs ne sont qu�imparfaitement inform�s alors que la consommation g�n�re co�ts sociaux et b�n�fices. Parall�lement, nombre d'op�rations se d�roulent au sein des entreprises ou entre groupes d'int�r�ts ou de gouvernements et ces informations �chappent au grand public. Les �conomistes de la th�orie des m�canismes d'incitation se sont efforc�s de s'attaquer � ces imperfections de march�s afin d�optimiser leur efficacit�. Le travail d�Eric Maskin est particuli�rement pertinent pour la conception d�instruments de march� dans le domaine environnemental (march�s de droits d��mission par exemple). Il est avec James Bessen le co-auteur d�un article remarquable en 2000 sur les relations entre l�innovation incr�mentale, les brevets et l�investissement dans la R&D. Cet article a jou� un r�le important dans les d�bats sur la brevetabilit� des logiciels. Il d�montrait que lorsque l�innovation incr�mentale joue un r�le important dans un domaine (comme c�est le cas pour les logiciels), les brevets, loin d�y cr�er une incitation � l�innovation, agissent comme une contre-incitation. Ce travail eut de nombreuses d�clinaisons. Des travaux ult�rieurs ont par exemple montr� qu�une extension de la brevetabilit� agissait aussi sur la nature des cibles d�innovation, encourageant l�innovation d�fensive chez les acteurs dominants. Ceux-ci sont, en effet, incit�s � d�fendre leurs rentes en privil�giant des cible d�innovation qui rendent plus difficile l�entr�e sur le march� de concurrents ou prolongent leur propre contr�le sur le march� par des changements techniques non n�cessairement li�s � des b�n�fices fonctionnels. L�article de Bessen et Maskin n�illustre que l�une des facettes du talent d�Eric Maskin, qui en plus de la th�orie de la conception des m�canismes a aussi travaill� sur les in�galit�s salariales et leurs cons�quences. Laur�at le plus �g� d'un prix Nobel toutes cat�gories confondues, Hurwicz, professeur �m�rite d'�conomie � l'universit� du Minnesota � Minneapolis, a reconnu n'avoir jamais �t� dipl�m� dans cette discipline. "Tout ce que je sais en �conomie, je l'ai appris par l'�coute et l'observation." Il a ajout� �tre titulaire de plusieurs dipl�mes honorifiques, mais que le seul qu'il poss�dait � son arriv�e aux Etats-Unis, en 1940, �tait un dipl�me de droit de l'universit� de Varsovie. Hurwicz est n� en Russie en 1917 et sa famille a quitt� le pays pour la Pologne durant la Premi�re Guerre mondiale. C'est l� qu'il a fait ses �tudes universitaires. Il se trouvait en Suisse au d�but de la Seconde Guerre mondiale et s'est alors rendu aux Etats-Unis, o� il est devenu l'assistant de l'�conomiste Paul Samuelson, lui-m�me laur�at du prix Nobel d'�conomie en 1970. C�est lui qui est � l'origine de la th�orie des incitations ("mechanism design theory"), avant qu�elle ne soit, plus tard, d�velopp�e par Eric Maskin et Roger Myerson. Interrog� sur ce qu'il ferait de sa part de l�argent qu�il percevra au titre du Nobel, Hurwicz a d'abord h�sit�. "Je n'ai pas encore d�cid�. �Je veux �tre s�r qu'on va bien me le donner", a-t-il enfin r�pondu.