Nous vivons l��poque des rentabilisations. Des s�quences de l�histoire pass�e, chacun essaye de prendre le maximum. Sym�trie entre le bourreau et la victime pour amalgamer l�un et l�autre, concurrence des souffrances : c�est la bourse � la douleur. Prenez un cas typique : la colonisation. D�un c�t�, on dit il n�y a rien � causer : on a �t� colonis�, on a tous les droits. De l�autre, on soutient que la colonisation peut s�enorgueillir d�un �bilan globalement positif�, pour emprunter la formule � une autre sph�re id�elle. Entre les deux, entre le blanc et le noir, il y a certainement l�espace pour s�approcher de la v�rit� des faits, d�form�s sciemment de part et d�autre pour r�cup�rer et parfois tout simplement par l��motion. Ainsi de ce retour de la souffrance de ceux qui �taient franchement dans le camp des colonisateurs ! Comment le prendre ? Est-ce pour taire la souffrance d�en face ? Peut-�tre, un peu ! Mais au fond, quelle que soit l�approche de la colonisation, cette auberge espagnole, que l�on tente, il ne faut jamais perdre de vue que rien ne serait advenu sans, � l�origine, cet acte fondateur qu�est la colonisation qui n�est rien d�autre que le viol de la souverainet� d�un peuple. Cela �tant dit, et d�montr�, on peut �valuer ce qu�on veut comme on veut. Dans ce d�bat o� les bons sentiments peuvent mener aux mauvaises conclusions, il faut saluer l�effort de v�rit� et m�me d�objectivit� de Benjamin Stora qui, en historien, �tudie les sinuosit�s du destin de la communaut� juive en Alg�rie, � laquelle il appartient. L�auteur ne brandit pas cette souffrance, malheureusement coutumi�re, de la bonne communaut� juive arrach�e � son pays par les m�chants nationalistes, de m�me qu�est familier, de l�autre c�t�, le monopole de la victimisation. Partant de son histoire familiale, Benjamin Stora �tudie les causes qui ont conduit la communaut� juive � se d�tacher progressivement du terreau mill�naire qui �tait le sien pour, en embarquant dans le r�ve fran�ais, entreprendre un troisi�me exil. Stora ne voit pas les choses ici en noir ou blanc. Il est salutaire que quelqu�un rappel�t que l�exode des Juifs en 1962 n�est pas uniquement d� � la peur des repr�sailles des anciennes victimes de la colonisation, les Alg�riens d�sormais ind�pendants, mais aussi � tout un processus contradictoire qui a fini par ranger la communaut� juive, � des exceptions qui ici aussi confirment la r�gle, du c�t� de l�administration coloniale.