Mais voil�, nous ne sommes pas en temps normal. S�il est une chose qui ne l�est pas, normale, mais alors pas du tout, c�est la route. Et ce qui s�y passe. �a ressemble � tout, sauf � une route, c'est-�-dire une voie o� se prolongerait la vie sociale et o�, plus qu�ailleurs, le respect des r�gles est vital. Un champ de bataille ? M�me pas, car s�il l�avait �t�, on y aurait respect� certaines conventions. �a ressemble plut�t � une sorte de coupe-gorge o�, au m�pris des r�glements, les plus forts mangent les plus faibles. �a peut aussi inspirer les surr�alistes : on y voit des figures impossibles � classer dans les cat�gories logiques. On croirait des artistes d�jant�s en train d�inventer de nouvelles mani�res d�en finir vite avec la vie. Souvent, celle des autres. On pourrait aussi penser � une ar�ne o� des gladiateurs d�c�r�br�s se battent non pour leur libert�, comme dans la Rome antique, mais pour quelque vanit�, illusoire puissance. Il suffit de parcourir quelques kilom�tres dans le maelstrom d�ment de nos routes pour rep�rer dans leur expression la plus achev�e tous les fl�aux alg�riens. Fl�aux ? Oh, l�horrible vocable, connot� moral, renvoyant aux campagnes dantesques de feu Abdelghani, aussi tonitruantes qu�inefficaces ! Ce qui roule sur la route ? Un catalogue de complexes freudiens doubl� d�une nomenclature de travers sociaux. N�vrose du pouvoir sur quatre roues. Impuissance compens�e par les chevaux vapeurs. Manifestations combin�es de l�irrespect de tout et de l�incivisme per�u comme un h�ro�sme. Des chauffards ? O� sont les chauffeurs. Il y�en a, heureusement, tu me diras. Mais Ils font figure de race en voie d�extinction. Ne pas doubler � droite ? Respecter les limitations de vitesse et les stops ? Ne pas prendre les sens interdits ? Mais c�est d�un ringard ! Ce n�est pas digne d�un mec. Un copain me racontait l�autre jour qu�un de ses voisins, magnanime, lui expliquait qu�il comprenait que les faibles observent les arr�ts et que c�est m�me � leur intention qu�ils ont �t� r�alis�s. Quant aux autres, et au reste, la route, c�est comme la vie, pour s�y faufiler, tous les moyens sont bons. La vie ? Sauvage. C�est la jungle. Ce qui est �patant, c�est de voir se dissoudre, dans le vrombissement de grosses cylindr�es du trabendo ou dans celui des voiturettes du pr�t v�hicule, toutes les valeurs de respect, de civisme, accumul�es au fil des si�cles. Quand ils appuient sur la p�dale d�acc�l�ration, les types se prennent pour Dieu le P�re en personne. Tout leur est permis. Tout leur est d�. Et si leurs �carts, dont ils ne se rendent peut-�tre m�me pas compte, �tent la vie � d�autres, c�est pr�cis�ment que, dans la puissance qu�ils s�attribuent, ce verdict est compris. Le P�re, je te dis ! Pas moins ! Il faut les voir. Ils ont transform� nos routes en boucherie. Conduire, c�est s�exposer � un jeu de massacre. Ils nous font gagner la seule m�daille dont nous ne voulons pas : le bilan des victimes de la circulation le plus lourd au monde. Un record dont on se passerait bien, �videmment. Que fait-on contre cette d�mence ? On se rappelle, parfois, que comme dans tous les pays du monde membres de l�ONU, internationalement reconnus, qu�il existe un code de la route et des fonctionnaires pour sanctionner les contrevenants. Ils ont la main lourde, parfois. Comment se fait-il alors que le massacre continue ? Pourquoi nos routes demeurent-elles aussi dangereuses, voire p�rilleuses, alors que des �campagnes� de pr�vention routi�re sont cens�es en amoindrir les risques ? En attendant que les sp�cialistes r�pondent � ces questions, nous pouvons aventurer ces �l�ments. D�abord, les Alg�riens ont appris, parce que l�exemple leur a �t� donn�, que le moyen le plus rapide en tout, c�est de br�ler les lignes interdites, de se moquer des codes et r�glements et, dans le cas o� ils se feraient prendre dans le r�le du bouc �missaire, de se pr�parer un r�seau relationnel qui les sorte de tout mauvais pas. Les toiles d�araign�es de ces r�seaux se superposent et forment un ensemble presque parfait. Il est rare, � quelque niveau que ce soit, que ces r�seaux laissent des passagers en rade. Donc, le souci n�est pas d�am�liorer sa conduite mais d�avoir le bon num�ro de t�l�phone des fois que la roue de l�infortune s�arr�te sur vous. Le manque de p�dagogie dans la pr�paration des futurs conducteurs est l�autre �l�ment. Comment leur faire comprendre que l�obligation de boucler sa ceinture ne doit pas �tre d�termin�e par la peur du gendarme mais par celle de l�accident et de ses cons�quences. C�est une donn�e archi-v�rifi�e que l�effet d�un accident est moindre sur un passager attach�. Enfin, la coercition pour le respect du code de la route ne doit pas �tre �pisodique. Il faut trouver le moyen de faire comprendre aux chauffards que le temps de l�impunit� est r�volu et que, o� qu�ils commettent leurs forfaits, on les trouvera. De nouvelles dispositions, tr�s s�v�res, semble-t-il, vont �tre prises � leur encontre. On pourrait en arriver � des peines de prison pour des d�lits sur la route. Faut-il s�en r�jouir ? Oui, dans la mesure o� elles t�moignent de la prise de conscience des pouvoirs publics de l�extr�me gravit� du probl�me. Mais il faut relativiser. Jamais des textes de loi n�ont r�solu des probl�mes qui r�sultent de ph�nom�nes sociaux et m�me psychologiques. A toutes les autres raisons, techniques, sociologiques, psychologiques, qui concourent � cet �tat de fait, s�il en est une de particuli�rement retorse, c�est la conviction que la vie humaine n�a aucune valeur. Et �a, c�est dur, mon vieux !