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AMIROUCHE, UNE VIE, DEUX MORTS, UN TESTAMENT PAR SA�D SADI
L�heure du Colonel !
Publié dans Le Soir d'Algérie le 01 - 04 - 2010

On pourrait penser qu�il s�agit d�un livre �crit d�un trait, produit col�rique face � une injustice, recueil de t�moignages pris dans l�urgence et envoy�s � imprimer comme on balancerait son poing dans la figure de l�imposture. Et l�on aurait tort de le croire. Car d�embl�e, l�auteur en pr�cise la gen�se. Il ne s�agit pas d�un �crit de la fulgurance.
Par Hakim La�lam
Cet ouvrage, Sadi l�a port� en lui plus de quarante ans durant, fruit d�une longue maturation. Et de fait, les premi�res lignes ne sont pas des salves. Ceux qui attendent que de la plume du leader du RCD jaillisse ce qu�on lui conna�t comme verve politicienne souvent acerbe et parfois d�vastatrice lors de ces tribunes et de ces prises de parole publiques en seront pour leurs frais. Amirouche, une vie, deux morts, un testament est un livre �crit. Dans le sens le plus �labor� de l�expression. L�auteur part volontairement d�un postulat qu�il ne s�est pas construit tout seul, mais qu�il a eu � �laborer patiemment au fur et � mesure de sa collecte tenace des t�moignages sur ce demi-si�cle �coul�. Un postulat qui se r�sume ainsi d�s l�entame, d�s la pr�face. La forfaiture commise sur le colonel Amirouche ne concerne pas seulement le pass�, n�interpelle pas exclusivement la p�riode du combat pour la lib�ration. Non ! Elle est aussi et surtout annonciatrice des forfaitures � venir. Elle est quasiment pr�monitoire de la s�rie de cambriolages historiques dont va �tre victime et est toujours victime l�Alg�rie d�aujourd�hui. Ainsi pos�e, ainsi marquet�e, la charpente du livre va cro�tre autour d�un constat terrible pour Sadi et pour celui qui le lit. Voil� un h�ros de la guerre qui a �t� priv� de vie par l�arm�e coloniale et qui s�est vu interdit de mort par ses compagnons d�armes, ou du moins par ceux qui ont pris les r�nes du commandement une fois les armes tues. Malaise. Et force surtout de ces lignes qui mettent � mal un tabou. Celui d�oser d�signer les auteurs du double assassinat d�Amirouche. La France. Et l�Alg�rie de Boumediene.
La mort sous s�questre
Cadr� avec la rigueur d�un essai scientifique d�entr�e de chapitre, cet ouvrage �vite cependant l��cueil r�barbatif du rigorisme sec par le savant mixage entre faits historiques et anecdotes qui viennent relayer les t�moignages. Au hasard des rencontres, au fil de la mac�ration du projet de d�sali�nation autour de l�image d�Amirouche fusent des phrases aux r�sonances assourdissantes. Comme cette conversation entre Sa�d Sadi et Fran�ois L�otard en 2007, �change au cours duquel l�homme politique fran�ais ass�ne cette comparaison : �Le sort qui a �t� r�serv� � la d�pouille du colonel Amirouche, c�est comme si la France avait s�questr� Jean Moulin.� Et Sadi de rappeler � juste titre que L�otard a �t� ministre de la D�fense de la R�publique fran�aise, le saint du saint document�. L��uvre de �dessalissement � est commenc�e. D�abord par un rapport d�complex� de l�auteur avec la notion d�ic�ne. Jean Moulin, le r�sistant flamboyant. Amirouche, le maquisard �tincelant. Nous sommes d�j� l� � des niveaux historiques qui d�notent violemment, qui s�inscrivent en faux avec l�image qu�ont bien voulu distiller les deux propagandes. La coloniale. Et la postcoloniale. Sadi �num�re ces portraits qui s�appesantissaient avant 1962 et bien apr�s sur le c�t� �brutal� du lion du Djurdjura, sur sa nature �fonci�rement sanguinaire � et supr�me invention des propagandistes des deux bords, sur sa propension � un islamisme pionnier, avant l�heure. Travail de ma�onnerie de la France occupante, relay�e � l�ind�pendance par des entrepreneurs en gros �uvre de calomnie qui dressent ensemble, � des p�riodes certes diff�rentes, le m�me portrait d�Amirouche, assemblage de clich�s pr�ts � �tre ingurgit�s. Amirouche, le sanguinaire ? Amirouche, le liquidateur ? Sadi convoque alors la m�moire intacte, celle qui n�a pu �tre souill�e par les deux propagandes. Nos m�res, nos grands-m�res et leurs chants � la gloire du fils, de leur fils, Amirouche. Qui n�a pas �t� berc� par ces complaintes, par ces odes au guerrier ? Qui obligerait une maman � offrir sa vie, celle des ses enfants pour garder intacte celle de l�ic�ne ? Personne ! Car les petites gens veillent aussi jalousement sur leur r�serve de farine, d�orge, d�huile et de dignit� que sur celui qui s�engage � les pr�server de l�agresseur ext�rieur. Alors, elles chantent les grands-m�res, elles chantent ! Elles chantent l��pop�e de l�aim�. Et Sadi fait le long chemin de d�couverte et de red�couverte de cet amour des petites gens pour leur rempart rugissant. Plus que cela, et au-del� de simples t�moignages transmis par voie orale, l�auteur d�senclave ce versant immense du massif Amirouche, longtemps enseveli lui aussi. Le colonel �tait un strat�ge. Un fin tacticien de la guerre. Et pas ce �Zapata� d�op�rette, costume �troit et m�me ridicule dans lequel voulaient l�enfermer, le claquemurer ceux qui ne tol�raient transmettre aux nouvelles g�n�rations que l�image d�un Amirouche �personnage enivr� par la poudre du moindre p�tard, pr�t � s�emballer comme un cheval sauvage�. Le clich� ne r�siste pas. Il c�de au bout de quelques chapitres et lib�re la parole. Des paroles h�las parfois anonymes, comme celles de cet ancien dirigeant du pays parmi les plus inform�s et qui avoue � Sadi, comme dans un souffle difficilement expurg� : �Amirouche est un �tre fascinant. Il y a quelque chose de Guevara chez cet homme.� Jean Moulin. Che Guevara. Les ic�nes se dressent, mouvement irr�pressible d�s l��vocation du nom d�Amirouche. Finalement, le pl�tre des propagandes salissantes ne peut �tre b�ton incassable. Il craque, avant de voler en �clats et d��tre �cras� en poudre fine emport�e par les vents. Lorsque de bouches diverses fusent des noms aussi prestigieux, s��tablissent des parall�les aussi gigantesques, on serait presque pr�ts � comprendre le terrible outrage fait au combattant strat�ge. Le s�questre de sa d�pouille par le r�gime de Boumediene. Comment pouvait-il en �tre autrement � cette �poque, celle du �un seul h�ros, le peuple !�, celle du badigeonnage � la chaux collectiviste des �pop�es individuelles ? Vivant, Amirouche g�nait. Mort, il �tait encore trop vivant au go�t des nouveaux fossoyeurs, ses �fr�res�.
Les fr�res d�terreurs de tombes
Comment, par quel m�canisme fonci�rement pervers un duo, Boumediene-Boussouf, a-t-il pu proc�der � l�exhumation de la d�pouille du Chahid Colonel Amirouche et � sa s�questration dans les caves humides et sales de la Gendarmerie nationale jusqu�au d�c�s du principal commanditaire de cet acte contre nature, Boumediene ? Cette question est fondatrice de l�ouvrage de Sadi dans son ensemble. Car � travers les r�ponses qui sont apport�es au fil des pages, des t�moignages et des documents reproduits, on comprend beaucoup mieux que cet acharnement, ce processus de gommage syst�matique renseigne sur toutes les d�rives du moment et celles futures, �difie sur la nature du r�gime qui a remplac� l�occupant. Une nature de l�asservissement, de l�occultation, de la falsification et de la liquidation physique. Et Sadi de citer cet opuscule de Sa�d Dahlab Pour l�ind�pendance de l�Alg�rie, mission accomplie : �Nous sommes all�s jusqu�� tricher sur la date de l�ind�pendance qui fut proclam�e le 3 juillet 1962 et non le 5 comme l�a d�cid� Ben Bella pour effacer, para�t-il, la date du 5 juillet 1830. Preuve de l�ambition d�mesur�e de ce dernier. Comme si l�on pouvait gommer l�histoire d�un trait de plume (�)�. L�auteur enregistre, r�pertorie, cartographie cette ligne franchie, cette ligne pourtant clairement rouge, celle des rep�res historiques. A partir de cette manipulation, tout devient possible pour les nouveaux ma�tres faussaires. Qu�est-ce finalement que l�exhumation de restes et leur entreposage dans une cave pourrie au regard du s�questre et du viol commis sur la date d�ind�pendance ? Que peut-on construire sur de tels reniements ? En v�rit�, et Sadi n�h�site pas � l��crire comme pour mieux �bruiter les secrets des caves humides et plomb�es, �le traitement r�serv� au combat et � la m�moire du colonel Amirouche illustre, jusqu�� la caricature, cette propension quelque peu morbide � nier la r�alit�, la d�former pour la mettre en conformit� avec les fantasmes des ma�tres du moment�. En v�rit�, les r�ponses pour hier donnent le ton d�aujourd�hui. Le voil� aussi le message s�il fallait faire insulte � Sadi de lui infliger ce r�le de d�livreur de messages. Ceux qui ont s�questr� la d�pouille d�Amirouche l�ont priv� de mort, ceux-l� ont ouvert la voie aux forfaitures futures. Celles commises par un r�gime qui a construit son �pouvoir sur les assassinats, la censure, les fraudes �lectorales et la corruption�. Plus grave encore, l�entreprise de d�sinformation post-ind�pendance qui s�est acharn�e � construire une contre-l�gende � l�ic�ne Amirouche, souvent dans la violence, a introduit justement la violence comme segment � part enti�re dans la gestion de la cit�. �Comment, ajoute Sa�d Sadi, demeurer silencieux devant une telle violence qui, de surcro�t, est commise par le premier responsable du pays et s��tonner ou se plaindre qu�une g�n�ration plus tard, des hommes �ventrent des femmes enceintes au motif qu�elles n�appartiennent pas � leur secte�.
Amirouche, une �pop�e en cours
C�est en cela que r�side la modernit� de cet ouvrage. Le mot modernit� �tant ici � prendre dans son acception actualisante. Les meurtres pass�s ne sont jamais tout � fait pass�s. Les assassinats politiques ne sont jamais d�finitivement commis, car ils engendrent au fil du temps des descendants � la lign�e des assassins, des rejetons eux-m�mes serial tueurs et faussaires � l�envi. Avec, en toile de fond, comme un suaire accroch� en rappel par-dessus nos t�tes cette �vidence : on ne peut rien construire sur la falsification et sur l�assassinat. On ne peut rien b�tir sur le mensonge. Tous ces agr�gats d�infra-humanit� que combattait justement le colonel au franc-parler. Sadi recentre volontairement le d�bat hors des sentiers en jach�re de la simple d�nonciation, exercice certes n�cessaire, mais partiel dans la reconstitution de l�acte de forfaiture majeure qu�a constitu� la s�questration de la d�pouille, et corollairement, du combat d�Amirouche : �Au regard de notre avenir collectif, le probl�me n�est plus de juger l�homme qui a faut�, mais de trouver le courage moral de r�pondre � la question de savoir pourquoi, hormis des amis de la famille du martyr, pas un politique, pas un homme de religion, pas un artiste, pas un universitaire n�a os�, � ce jour, se prononcer sur ce qui rel�ve du crime contre l�Homme. Il ne s�agit donc pas pour l�intellectuel de compatir avec ceux que l�horreur a frapp�s dans le sang, mais de contribuer en tant que t�moin privil�gi� � racheter notre dignit� collective.� Lire, �couter, s��couter lire ces mots de Sadi, c�est tout simplement admettre comme en r�sonance que l��pop�e de v�rit� entam�e par le colonel Amirouche ne s�est pas arr�t�e avec les balles de l�arm�e fran�aise, moins encore avec les tourments barbares impos�s � ses restes par les d�terreurs de tombes, les profanateurs de m�moire, les fossoyeurs d�avenir pour les enfants, tous les enfants d�Amirouche. Le testament est l�, tout entier. Enorme. Enorme de responsabilit� collective.
H. L.
Amirouche, une vie, deux morts, un testament de Sa�d Sadi.


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