Près de 57 ans après la disparition de Maurice Audin, la recherche de la vérité sur l'assassinat de ce jeune militant anticolonialiste continue à lanciner l'esprit de ses proches, mais aussi celui des historiens et journalistes dont Jean- Charles Deniau qui arracha des aveux stupéfiants au général Aussaresses, peu avant la mort de celui-ci, accréditant les soupçons qui pesaient déjà sur lui. Dans le livre- document qui vient de paraître aux éditions Equateurs, intitulé "La vérité sur la mort de Maurice Audin", Jean-Charles Deniau, rapporte les confessions d'Aussaresses qui avoue que c'est bien lui qu'il a donné l'ordre de tuer Maurice Audin en juin 1957 durant la "Bataille d'Alger". "Eh bien on a tué Audin, voilà ! On l'a tué au couteau pour qu'on pense, si on le trouvait, qu'il avait été tué par les arabes". "Qui c'est qui a décidé de ça ? C'est moi", a-t-il poursuivi. Invité par le journaliste à ne dire que la vérité, l'ancien militaire a poursuivi : "La vérité, c'est qu'on l'a tué J'ai dit : Il faut qu'on tue, qu'on tue Audin. Voilà". "Et après, l'interroge le journaliste vous avez monté le coup en évasion ?". "Oui ! " a répondu Aussaresses qui affirme que l'ordre a été donné par lui-même et qu'il rendait des comptes à Massu qui décidait de tout. S'empêtrant dans ses contradictions, laisse entendre aussi que c'est Massu qui a donné l'ordre d'exécuter le militant communiste, Maurice Audin, âgé alors de 25 ans. Ses proches, des journalistes et des historiens ont toujours été convaincus que Maurice Audin avait été torturé et tué par les parachutistes français car il était militant convaincu de la cause nationale. Une thèse sans cesses réfutée par la France qui a conclu à une " bavure ". L'auteur révèle aussi au lecteur qu'Aussaresses lui fait accroire qu'il était" absent" lorsque Maurice Audin a été exécuté, et qu'il a " été poignardé hors de sa cellule par le lieutenant Gérard Garcet". Maurice Audin, enterré dans la fosse entre Koléa et Zéralda... Le témoignage qu'il recueille, dévoilera aussi que Maurice Audin a été enterré par les hommes de Massu et d'Aussaresses, soit dans la fosse entre Koléa et Zéralda, soit dans une ferme proche de Sidi Moussa. "Même s'il s'en défend, Aussaresses n'a fait qu'exécuter l'ordre de son supérieur hiérarchique, le général Massu, à qui lui rendait compte heure par heure. (..). En donnant l'ordre d'exécuter Audin, Massu croyait envoyer un signal fort aux communistes qui étaient, selon lui, les auteurs des derniers attentats durant la bataille d'Alger, en coopération avec le FLN ", commente l'auteur. En quelques phrases lapidaires, Aussaresses résume son travail et celui de ses équipes. "Ma mission m'amenait à organiser les arrestations, trier les suspects, superviser les interrogations et les exécutions sommaires. Les suspects étaient abattus d'une rafale de mitraillettes et enterrés dans la clandestinité" a-t-il confessé encore. "Je comprends maintenant pourquoi tout le monde s'est tu si longtemps. Les protagonistes n'ont pas eu besoin de prêter un quelconque serment du silence. Il était tacite et son respect a tenu plus d'un siècle", écrit encore l'auteur qui considère que ce qui apparaît comme "une page sombre " dans la carrière du général Massu " ne l'a pas empêché de poursuivre son ascension dans l'armée au point de devenir le confident du général De Gaulle". L'auteur ne dévoile pas moins l'ampleur de l'enquête qu'il l'a mené de Paris à Alger, de l'Alsace au sud de la France, pour croiser les sources, rencontrer les derniers protagonistes vivants, et recueillir leurs ultimes confessions. Animé par la seule volonté de lever le voile sur " une affaire d'Etat ", et faire éclater une vérité longtemps occultée, impliquant y compris des personnalités de la IVème et Vème république française, l'auteur n'apporte pas seulement des témoignages, mais des aveux hallucinants de ceux qui ont contribué de près ou de loin à l'assassinat du militant communiste et remonter jusqu'aux auteurs directs de ce que qualifient les historiens de "crime d'Etat". "Est-ce bien utile de remuer encore une fois cette boue, de redonner la parole à celui qui est considéré comme l'ordonnateur de la torture en Algérie " s'est demandé l'auteur, en allusion à Paul Aussaresses, dans des moments de découragements, énumérant ensuite les éléments qui l'ont encouragé à poursuivre son enquête. Aussaresses, le seul à connaitre l'affaire dans son ensemble "Je voulais savoir une fois pour toute, a-t-il écrit, ce qui est arrivé à Maurice Audin le 21 juin 1957. Parmi les rares protagonistes vivants, il (Aussaresses) est sûrement le seul à connaitre l'affaire dans son ensemble. je voudrais clairement mettre à jour la chaine de responsabilités des civils -politique et hauts fonctionnaires- et de la hiérarchie militaire qui ont poussé des soldats à se comporter en Algérie comme la Gestapo l'avait fait en France" écrit-il dans son livre-document. Au fur et à mesure que son enquête avançait, Jean-Charles Deniau apprend et confirme que Maurice Audin a été exécuté sur ordre du général Massu. Ce dernier aurait eu l'assentiment du pouvoir civil de l'époque. Le 7 janvier 1957, Robert Lacoste, le gouverneur général de l'Algérie, reçoit du préfet Barret, avec l'accord de Guy Mollet, président du Conseil des ministres sous la IVème République française, l'autorisation de transférer la totalité des pouvoirs de police à un général de l'armée pour réprimer la résistance du peuple algérien. Le général Massu est désigné. Il constitue un état-major officiel avec le colonel Godard, comme chef état-major adjoint de la 10éme Division de parachutistes (10² DP). La création, à côté de cet état-major officiel, d'un état- major clandestin composé de Roger Trinquier, chargé du " renseignement " et Aussaresses alors commandant, de " l'action ", montre alors le caractère " peu orthodoxe des méthodes " qu'il va employer contre les combattants et militants de la cause nationale, à travers la pratique de la torture et des exécutions sommaires. Lorsque, il y a une année, Jean-Charles Deniau est parti le voir pour lui poser les questions, qui le taraudaient encore, Aussaresses lui apprend alors que tout le monde (pouvoir civil et militaire) était au coutant des méthodes qui allaient être employées durant la " Bataille d'Alger et qu'il avait pour ordre d' "éradiquer" le Front de libération nationale (FLN) de la capitale et briser la résistance urbaine à l'occupation coloniale.