Les autorités françaises doivent apporter une "réponse politique" à l'assassinat en juin 1957 du militant anticolonialiste Maurice Audin à la lumière des "nouveaux" éléments révélés par le livre "La vérité sur la mort de Maurice Audin", a estimé mardi à Alger l'historien français Benjamin Stora. Lors d'une rencontre tenue au siège du quotidien "Liberté", Benjamin Stora a estimé que l'ouvrage du journaliste français Jean-Charles Deniau, paru en France au mois de janvier, comportait des témoignages qui constituent des "éléments sur faits troublants et graves" et qui doivent pousser les autorités politiques françaises à "rétablir la vérité" sur la mort de Maurice Audin. Pour l'historien et spécialiste de l'histoire de l'Algérie, la version sur la mort d'Audin avancée dans de ce livre est d'autant plus importante que les archives sur les crimes d'Etat "ne révèlent aucun secret", en l'absence d'ordres écrits sur les assassinats ou les massacres. "Si vous avez le nom des assassins, la façon dont il (Maurice Audin) a été assassiné, le lieu où il a été enterré et l'ordonnateur de son exécution, cela fait quand même beaucoup de choses nouvelles (...) les autorités françaises ne peuvent plus se contenter de dire +on ne sait pas+, il faut faire la vérité, mais vérifier ces éléments et situer les responsabilités de chacun", a-t-il soutenu. Paru aux éditions Equateurs, "La vérité sur la mort de Maurice Audin" s'appuie sur le témoignage d'Aussaresses (décédé fin 2013) qui avoue avoir donné l'ordre de tuer le jeune mathématicien sur ordre de son supérieur, le général Massu. Dans ce témoignage, le tortionnaire français dévoile également le lieu où Audin a été enterré dans une fosse commune entre Koléa et Zéralda, dans la banlieue ouest d'Alger. Selon Benjamin Stora, ce livre donne également le nom de l'exécutant qui a poignardé le militant communiste, une personne qui, dit-il, "vit aujourd'hui en France". D'après la version officielle française, Maurice Audin a disparu le 10 juin 1957 après s'être évadé du lieux où il était détenu. Le ministre français de la Défense, Jean-Yves le Drian, avait déclaré après la parution du livre que le gouvernement français "fera tout ce qui est en son pouvoir pour contribuer à l'établissement de la vérité", sur la mort de Maurice Audin, selon des propos rapportés par le site français d'information "Mediapart". Abordant plus généralement la question de la reconnaissance par la France des crimes coloniaux, Benjamin Stora a estimé que cette dernière doit être établie à partir de "faits concrets", comme les massacres du 17 octobre 1961 ou l'utilisation par l'armée française du napalm durant la guerre d'indépendance, et non pas de "manière idéologique". Outre ces questions, Benjamin Stora a également abordé lors de cette rencontre les relations entre la mémoire et l'écriture de l'histoire, analysées à la lumière de la multiplication des témoignages individuels d'acteurs de la guerre d'indépendance algérienne. L'historien situe cette tendance à la fin des années 1980, une décennie qui a, rappelle-t-il, connu la "chute" des idéologies, faisant évoluer la manière d'appréhender le fait historique et celle d'écrire l'histoire. Pour M. Stora, cette "profusion" de témoignages, mais aussi de documents sonores et visuels sur cette période grâce à l'Internet, constitue aujourd'hui un "défi" pour les historiens qui doivent, dit-il, prendre une "distance critique" par le nécessaire travail de "recoupement" avec des sources plus classiques que sont les archives.