D'une profondeur d'analyse, l'auteure Rachida Bendisari - Titah évoque avec sa passion d'écriture. De ses beaux yeux bleus émanent des accents d'intelligence qui témoignent d'une ouverture d'esprit et d'une grande sagacité. Préoccupée par les problèmes d'actualité, cette dame à la force de l'âge est attentive et à l'écoute des pulsations de sa société. Avec des bagages intellectuels à foison, dont une licence, un DES es lettres modernes et un doctorat 3e cycle en grammaire française de l'université de Strasbourg, Rachida Titah a investi l'aventure des belles lettres avec une série de nouvelles dont le Cri d'une mère, Un ciel trop bleu, La galerie des absentes. Récemment, elle changea de registre en publiant aux éditions Alpha, un roman Anastasia. Cette universitaire, qui a eu plusieurs casquettes dont la direction du département publications et informations à l'ONRS et le Secrétariat de la commission nationale de l'Unesco et l'Alesco, est férue de lecture.Dans cet entretien, elle se livre sans ambages, avec une grande humilité propre aux vraies gens de culture. Le Temps : Quelle est votre motivation d'écriture ? Rachida Bendisari-Titah : Je ne sais pas quoi répondre à une telle question… Votre livre Anastasia, est-ce une fiction ou une histoire réelle ? Un roman est par définition une fiction, c'est-à-dire une «histoire inventée» par un auteur et non pas la relation d'une histoire vraie, car dans ce dernier cas il s'agirait de l'œuvre d'un historien, d'un journaliste ou encore d'un mémorialiste. Toutefois, l'histoire inventée par le romancier est articulée autour d'évènements ou d'éléments observés ou constatés par l'auteur(e) au cours de sa vie ; éléments ou événements revus à l'aune de sa propre imagination et de sa propre vision. On peut en déduire que ce qui se passe souvent, c'est le malaxage par le romancier, d'éléments, aussi petits, aussi insignifiants en apparence, soient-ils, ce qui lui permettra d'imaginer ce qui aurait pu, ou pourrait être. L'essence même du roman est qu'il peut être le lieu où le vrai peut paraître invraisemblable et le faux peut être ressenti comme vrai. C'est l'essence même du roman.En ce qui concerne Anastasia, il s'agit, bien entendu, d'une fiction. Une fiction, dans laquelle on peut, bien sûr, retrouver quelques éléments épars puisés ou observés ou encore déduits de certaines situations de la vie réelle, autant que d'émissions ou documentaires télévisés par exemple et probablement de réminiscences littéraires. Avez-vous été influencée par d'autres auteurs ? Lesquels ? Tout lecteur est forcément influencé, le plus souvent à son insu, par ses lectures. Ceci est une évidence. Maintenant, vous dire que tel ou tel auteur m'a particulièrement influencée dans mon écriture serait difficile, d'autant plus que je suis une lectrice assidue, depuis mon plus jeune âge, de tout livre, revue, ou journal qui me tombe sous la main. (En fait, tout papier comportant une écriture). Quelles sont vos lectures ? De fait, j'ai des goûts assez éclectiques en la matière, cela englobe aussi bien des romans classiques que des romans policiers, des nouvelles, que des pièces de théâtre, des ouvrages d'analyses sociopolitiques que des revues littéraires ou humoristiques… Néanmoins, je vais tâcher de vous donner un aperçu de mes lectures actuelles quotidiennes, en alternance : - La revue Le Lecteur qui présente un hommage à VS. Naipaul, l'un des auteurs qui donne une réponse pertinente à la question toujours renouvelée «pourquoi avez-vous écrit ce livre ?», il répond : «Vous devriez me demander : comment avez-vous pu en voir autant ?» et, aussi : «Le présent contient toujours le futur quand il est décrit avec honnêteté. C'est une piètre excuse qu'ont les écrivains de dire "on ne savait pas" quand l'horreur est là». - Culture et Impérialisme d'Edward Saïd qui disant de lui-même qu'il appartient «aux deux univers sans être entièrement d'aucun», conduit le lecteur «au cœur des ténèbres blanches, de cette aventure coloniale constitutive de l'histoire de l'Occident moderne». - Un entretien daté de 1987 entre Mouloud Mammeri et Tahar Djaout, dans lequel Mouloud Mammeri répond à Tahar Djaout ceci : «…Les hommes ne sont vraiment prêts à lire (et en tout cas à retenir) que le Verbe qui, d'une façon ou d'une autre, éveille en eux des résonances. Il faut qu'ils se retrouvent dans ce qu'ils lisent, qu'ils se retrouvent au plus vrai, qu'ils découvrent des vérités enfouies peut-être au plus profond d'eux-mêmes.» - La poésie arabe maghrébine d'expression populaire, de Mohamed Belhalfaoui - Les Fleurs du Mal de Charles BaudelaireBien entendu, de temps à autre je lis, ou relis des œuvres anciennes ou contemporaines d'auteurs comme : Balzac, Tolstoï, Kateb Yacine, Simone de Beauvoir, Sartre, Djebrane Khalil Djebrane, Mohamed Harbi, Noam Chomsky, Agatha Christie, Les Contes des Mille et une nuits et bien d'autres encore dont la liste serait longue… Ajoutons à cela trois quotidiens nationaux et quelques revues algériennes et françaises, chaque jour. Y a-t-il une prédilection pour la nouvelle ? Bien qu'étant l'auteur d'un recueil de nouvelles publié en 1997, écrites dans les années 1992/96, intitulé Un ciel trop bleu , je n'ai pas de prédilection spéciale pour la nouvelle, genre qu'au demeurant j'apprécie beaucoup pour sa concision et son style incisif. J'avais eu à étudier la «nouvelle» dans le cadre d'une préparation à l'agrégation de Lettres françaises, avant de me fixer sur l'étude de la grammaire et philologie françaises que j'ai enseignées à l'université d'Alger. J'apprécie autant le roman que la nouvelle ou encore la pièce de théâtre ; je relis avec plaisir, de temps à autre, l'une ou l'autre des pièces de théâtre de la collection «L'Avant-scène Théâtre».
Pensez-vous que les harraga ont tort ou raison de partir ? Si l'on se réfère à la Déclaration universelle des Droits de l'homme on peut y lire l'article 13 suivant : «(1) Toute personne a le droit de circuler librement et de choisir sa résidence à l'intérieur d'un Etat». « (2) Toute personne a le droit de quitter tout pays, y compris le sien, et de revenir dans son pays.» Par conséquent, dans l'absolu, ces jeunes harraga ont le droit d'aller chercher leur destin loin du pays d'origine. Pour ma part, ce sujet me tracasse depuis longtemps et j'y ai déjà consacré un écrit ; il s'agit d'une nouvelle intitulée Lentilles d'identité qui fait partie du recueil de nouvelles Un ciel trop bleu publié en 1997. J'y parle d'un jeune homme qui veut, à tout prix, être autre que ce qu'il est et vivre ailleurs que dans son pays où il n'éprouve que misères physique et morale, où il ne sent aucune chaleur ni aucun espoir. A cette date, déjà, l'on pouvait ressentir le malaise de nos jeunes qui, à peine sortis de l'adolescence, désiraient être autres et rejoindre un monde qu'ils imaginaient plus clément. Et, les seules réactions visibles à ce phénomène ont été d'ordre policier, ce qui ne pouvait qu'aggraver leur «mal- être». Cet évènement, devenu à présent banal et apparemment pérenne, constitue une tâche sombre pour nous tous et, probablement sommes -nous devenus pour ces jeunes des «fantômes» à éviter. Je crois que ma génération a raté le passage du flambeau aux nouvelles générations, nous n'avons pas su les faire rêver, or le rêve est essentiel pour construire sa vie. Aujourd'hui, on les appelle les harraga qu'on pourrait traduire par «brûleurs de destins» tant ce terme rend un ton «définitif» de bravache avec un zeste d'innocence sinon d'utopie. Ces jeunes qui jouent leur tête à la «roulette russe», sans demander l'aide, et encore moins l'avis, de personne, préférant une fin tragique au vide de leur vie, se trouvent déjà au-delà du dialogue, au-delà de la commisération. Avez-vous des projets d'écriture ? Oui, mais je ne sais pas encore quelle forme cela prendra. Nous pourrons en reparler plus tard. Entretien réalisé par Kheira Attouche