Si l'homme a une hauteur d'esprit et une profondeur d'analyse, sa faconde ne jure que par sa sagacité et sa pertinence. Clairvoyant et perspicace, Mohamed Bourahla fait un réquisitoire de sa société minée par tant de tares et grevée par tant de gabegie. Son regard peu complaisant ne se décline pas dans l'animosité ni dans la rancœur. Sans verser dans un sombre pessimisme ni dans un défaitisme béat, il dit simplement les petites choses de la vie et de la société. En fin observateur et subtil critique, il dissèque avec pondération la société sans sommation. Dans son analyse où priment la désillusion et le désappointement, le rire est une panacée. N'a-t-on pas dit que «le rire est le propre de l'homme» ? Dans cette quête désespérée d'un monde meilleur, Mohamed Bourahla oppose le rire à tant de déliquescence et de paupérisation. Loin de tout manichéisme, il pointe une lueur d'espoir pour des lendemains meilleurs. La citation «Lucidité ma blessure» de René Char ne serait-elle pas le leitmotiv de l'auteur ? Maîtrisant parfaitement les langues de Voltaire et d'El Moutannabi, cet auteur prolifique a à son actif plusieurs ouvrages, romans et essais dont Wassiyati, Al Khobz wal Idam, Le pire des mots et le tout dernier Le laurier rose. Dans cet entretien, l'écrivain raconte son inquiétude et son affliction, sans se départir d'une certaine candeur et d'un grand discernement. Pourquoi la référence à un tel titre Le pire des mots ? Le pire des mots témoigne de l'attitude par laquelle un individu lambda, à la candeur infinie, fait face à l'absurde et au cocasse par l'humour et l'autodérision. Son constat s'exprime à travers le pire des mots, c'est-à-dire celui qui le fait rire quand il lui faut pleurer, mais celui, aussi, qui lui permet, en dépit de tout, de tenir le coup, d'aimer la vie malgré l'écharde dans le cœur et les bleus au corps, d'oser croire et rêver, quand bien même il n'y aurait plus d'étoiles ou d'horizon. Vous faites un diagnostic de la société ? Pourquoi avoir opté pour ce ton badin et un tantinet caustique ? Le mot diagnostic est trop fort, parlons plutôt de flânerie pour rester dans l'ordre du subjectif. C'est le thème de cette balade au gré de l'humeur qui commanda les registres de texte et de langue. Le résultat fut un cocktail où se côtoyaient les langues, le ton magistral ou ampoulé, l'humour ou l'aigreur. C'est le sujet qui imposa le propos acerbe, car il fallait au personnage continuer de marcher tout en cherchant gauchement à savoir où le bât blessait, jeter des piques, sans haine et méchanceté, dans tous les azimuts, se moquer de tout, rire de n'importe quoi... surtout de soi, plus que des autres. Quel est votre rapport à l'écriture ? C'est un jeu cruel ; sans enjeu bien défini et sans raison apparente. C'est, encore, un long délire et un épuisant soliloque où le moi – brûlé à vif – prenant le relais de la logique, s'éclate dans un jet impétueux qui, irrésistiblement, remonte des tréfonds de la conscience pour livrer dans un dit ambigu son être au monde. Cela s'il faut à tout prix livrer mon opinion sur mon rapport à l'écriture. Je crois cependant que cette question est du ressort de la production sur la littérature (théorie, critique, etc.) et non celle de la production de littérature. L'écrivain n'a pas à se poser la question de la définition de la littérature, ce serait une opération inopportune qui pourrait le castrer. Selon vous, doit-il y avoir une littérature d'urgence ? La littérature s'accommode mal des formes impératives. Il est à craindre que les yakas en fassent à la longue un exercice de rédaction balisé. Si d'aucuns trouvent leur compte dans ce qu'ils appellent «littérature d'urgence», c'est tant mieux pour eux. Le problème serait d'en faire une norme sous peine de caducité pour toute production qui ne s'y conformerait pas. La littérature est un domaine propre à l'homme révolté ; celui-ci, à la limite de la folie, y est dans une quête tragique de liberté. Si on lui impose comment écrire ; s'il ne peut plus faire la nique à la norme, que lui resterait-il donc ? Par ailleurs, s'il est possible de concevoir pour chacun la liberté de concevoir sa propre urgence (un thème à l'allure de lait sur le feu), il est difficile de croire à une sensibilité embrigadée qui, au moindre claquement de doigt, viendrait se coucher à nos pieds comme un docile toutou. La littérature n'est-elle pas ce rapport qui nous permet de transcenderles désillusions de la vie ; aussi ne doit-elle pas être imagination et fantastique ? Si «transcender les désillusions» veut dire démission, c'est non ; mais c'est oui, si l'expression signifie dépasser les déboires et les désenchantements en restant debout dans un monde cruel et opaque. Le rester en dépit de tout et aller au bout du rêve contre vents et marées. C'est encore oui si cela a pour but de ne pas être un numéro pâle et inodore dans une chaîne aseptisée qui courbe le dos et l'esprit. A ce titre, effectivement, l'imagination est le levain de toute littérature. C'est le vent qui fait gonfler les voiles d'une création de plus en plus improbable depuis que le plagiat fait le lit de l'intertextualité. C'est aussi l'acolyte principal du moi qui respire par le chas de l'aiguille mais, qui, dans un combat inégal, se refuse à plier genoux devant l'horreur et l'absurde. Malgré tout. Avez-vous la facilité d'écrire aussi bien une chronique qu'un roman ? Je suis un peu éclectique et il m'est agréable de bourlinguer, en arabe et en français, dans les genres littéraires. J'ai touché au roman et à l'essai didactique avec Al khobz wal Idam et Wassiyati, à la chronique et à la nouvelle avec Le pire des mots et Le laurier-rose. Dans ma recherche, je ne compte pas me limiter à la littérature ; celle-ci n'est que la face d'un projet bien plus grand. Avez-vous d'autres projets d'écriture ? Je compte publier prochainement une pièce de théâtre Al malik yal'ab que j'espère voir un jour sur les planches et j'ai sous la main un recueil de poèmes.