À 49 ans, c'est-à-dire à l'âge où les diplomates algériens commencent, avec doigté et finesse, à maîtriser les grands dossiers, dans un métier où succéder à ses aînés n'est pas chose aisée, on voyait naître un grand diplomate, en même temps qu'un homme passionné pour les arts, la chanson notamment chaâbi et la vie à Belcourt dans ce qu'il a de beau et de bon, l'attention aux siens, sa femme et ses enfants, l'amour pour sa patrie. Tout ce qui pouvait nuire à sa famille le blessait et il avait une sorte de susceptibilité ombrageuse dès qu'un de ses amis montrait des signes de faiblesse ou exprimait un besoin de protection. Avec cet esprit scrupuleux, il montrait déjà des signes de leadership, racontent plusieurs de ses amis, particulièrement Ahmed, Khodja, Rachid, Lazher, Nasser, Ali, Khaled, Mourad, Chahreddine, Abdelhak, Youssef, Sid Ali, Abdelghani, Rachid et les autres. Ce qui faisait dire à un fin connaisseur des choses diplomatiques, lors de son enterrement, en ce 15 février 2008, que “le ministère des Affaires étrangères avait perdu une partie de son printemps”. Il est utile de préciser que lorsque j'ai commencé à écrire cette évocation, ma préoccupation première était de montrer au grand jour certains aspects de la personnalité de l'homme et du diplomate par des mots simples pour véhiculer un sentiment dominant et un message puissant, car cette image étincelante peut servir de devoir pédagogique par ses aspects plaisants et rayonnants d'intelligence et d'humanité. Entre la tristesse de sa mort subite et l'espérance de son legs, il nous faut indubitablement lire cet itinéraire de grand souffle, dirai-je, de ce battant admirable, à quelques lueurs du quarantième jour de sa disparition brutale. Ses dispositions d'esprit que je vous ai rapidement rappelées, l'intérêt qu'il porte à sa mission, m'ont permis de connaître l'homme, son goût de l'action. C'est peu à peu et presque malgré lui qu'il a appris à connaître le sens des choses et apprécier la valeur formatrice des fréquents déplacements, vers des enceintes aussi prestigieuses que celles de l'ONU à New York ou Genève et de l'AIEA à Vienne. Et tout naturellement, après avoir été de si près au cœur des grandes questions, telles que la sécurité collective et le désarmement, il devait se métamorphoser en mémoire ambulante. Ceux qui l'ont approché disent qu'il était extrêmement cultivé, avait excellent goût pour la précision et n'usait d'aucune des techniques de marchandage, au détriment des intérêts de son pays. Au fil du temps, il en est devenu, pour ces questions et bien d'autres, une référence, voire une source informationnelle privilégiée. Nombre de ses commentaires et points de vue montraient déjà ses dons d'analyse en même temps que de synthèse dans sa conception des grandes questions de l'heure. Peu de temps avant sa mort, il avait des lettres et des documents. Il venait d'honorer de sa présence l'une de ses dernières réunions et y avait quelques appréhensions. Las, sans répit… presque incapable de travail…, l'homme exprimait un besoin ardent de repos. Lors de notre dernière rencontre, il paraissait compatissant, voire passionnément jovial. Avec ses collègues de la DGRM, il ne manquait pas d'un certain humour citadin. Mais son talon d'Achille s'assombrissant, l'homme devient replié sur lui-même, amoindri, en dépit de son néo-cortex. Il y a des moments où la douleur est aussi vive, aussi intolérable que les spasmes qui l'ont causée et le chagrin intime ou personnel de ceux qui n'ont cessé de le pleurer. En dépit de tout cela, disent ses camarades, il est souvent à pied d'œuvre, qui, au-delà de la confession naturelle ou de la dramatisation culturelle, épure, met en forme et anticipe l'évènement. Dans l'itinéraire de Mohamed Tefiani, il y a les permanences, il y a les fragilités. C'est dans ce sens qu'il apparaît un jour sous une certaine lumière ; le lendemain, sous un autre éclat, car je ne vois guère d'images aussi symboliques que la lumière pour décrire son ordonnancement, sa précision, sa singularité et sa fragilité. Et puis peu à peu les jours passaient, sa douleur particulière réapparaissait dans un point d'horizon et il a accompagné jusqu'au dernier moment, de sa voix et de ses rires, le cheminement de son rêve aux franges de la sérénité. Dans cet itinéraire, je ne vous ai pas dit l'essentiel, mais l'essentiel, en diplomatie, est toujours non-dit, voire abstrait, c'est-à-dire hors des faits que le commun des mortels retient. Dans cet itinéraire, l'essentiel est fait de constance, d'espérance. Ce n'est pas l'espérance de la lutte sournoise. C'est l'espérance digne des grands hommes, car pour être un grand homme, il ne suffit pas d'être un mastodonte. Une espérance qui a fait émerger un commis de l'Etat, un vrai technocrate, un homme de dossiers de grand talent, doublé d'une vision et d'une éthique. Ses amis disent qu'il a eu beaucoup de chance, parce que faire ce qu'il a fait, et avoir le sentiment d'y avoir apporté une plus-value, est un privilège. “Et puis vous savez, une vie d'homme, c'est une goutte d'eau qui descend le long de la vitre.” Ceux qui ont peuplé son imaginaire sont venus de divers horizons. Mais, tous ensemble, ils ont été les porteurs des grandes aspirations nationales qui ont pendant longtemps nourri les valeurs de notre diplomatie. À nous de méditer cette teneur, en situant Mohamed Tefiani et bien d'autres qui l'ont précédé parmi ceux qui ont marqué dans des moments particulièrement difficiles de notre histoire diplomatique, les chances et les espérances d'une Algérie renaissante et émergente. Post-scriptum : Je dois signaler que la quintessence de cette évocation revient en grande partie à Ahmed Aït Saïd, un des compagnons de route de Mohamed Tefiani qui apporta de précieuses observations, témoignages et suggestions, dont je ne saurais trop le remercier. Par le Dr Mohamed Meziane