Pendant que les «éboueurs de la mer» font la fête à Hadjret-Ennoss, quelque part entre Damous et Cherchell, pour nous rappeler qu'ils ont nettoyé les plages depuis dix ans, Hocine sourit. Il sait que les plages sont toujours sales mais il s'en fout comme de la couleur de sa première paire de chaussettes. Hocine sait que «sa» plage sera pleine comme un œuf et c'est tout ce qui compte pour lui. La mer, c'est son gagne-pain saisonnier. Et alors ? Faut-il absolument que l'eau et le sable soient propres pour louer des chaises en plastique blanc et des parasols qui s'abattent tout le temps sur des têtes qui refusent de bronzer ? La ruée sur les plages n'est pas loin mais Hocine ne s'enfièvre pas outre mesure. Il n'a rien à préparer. Les parasols patientent toujours au balcon et les chaises en plastique ne sont pas devenues moins inconfortables que ce qu'elles étaient l'été dernier. Même s'il les a louées entre temps pour quelques mariages et veillées funèbres du quartier. Hocine n'attend pas l'été, il vient toujours au même moment de l'année. Et il le trouve au même endroit. Hocine ne connaît pas l'angoisse de saison. Il est angoissé à longueur d'année, jusqu'à ce que ça devienne chez lui une seconde nature. Hocine ne «travaille» que deux mois par an. Le reste de l'année, il… travaille ailleurs. Non, Hocine ne pleurniche pas et quand on lui demande pourquoi il loue des chaises en plastique blanc et des parasols qui tombent à chaque fois sur les têtes, il dit que c'est pour gagner de l'argent. Plus d'argent, il tient à le préciser, des fois qu'on aurait l'impression qu'il crèverait la dalle sans ça. Hocine ne roule pas sur l'or mais il gagne assez bien sa vie. Une vie qu'il gagne certes de bric et de broc mais il n'en fait pas maladie. Sinon, il n'est pas si con et bras cassé que ça pour désespérer de se donner un «vrai métier». D'ailleurs, il se demande toujours ce qu'est un vrai métier. C'est que des salariés qui ont un boulot stable et «déclaré», ce n'est pas vraiment ce qui manque autour de lui. A commencer par son père et son grand frère à qui il répond, un tantinet moqueur à chaque fois qu'ils le sollicitent pour un petit «emprunt» pour boucler des fins de mois souvent difficiles : c'est vous qui travaillez et vous demandez de l'argent à un chômeur «officiel» ! Et tous ensemble, ils rigolaient de bon cœur, en attendant que Hocine mette la main à la poche. Il la met toujours, la main à la poche. Parce que sous son apparente austérité, Hocine est d'une grande générosité avec les siens. Et il ajoutait, plus provocateur que jamais : vous avez fait des enfants pour que moi, je les nourrisse. Et puis sa mère qui n'en rate pas une de ces opportunités pour lui rappeler qu'il doit songer à «faire une maison», avec cette tendre arrière-pensée que son mari et son grand garçon doivent arrêter de «gratter» son petit dernier qui a besoin d'économiser un maximum. Hocine n'attend pas le soleil, il se lève toujours à l'est pour se coucher à l'ouest. La mer et le sable ne bougent pas, sauf quand on construit des plages artificielles ou qu'on réaménage le petit port qui prolonge son lieu de travail. Les «estivants», eux, vont venir. Tout ce qui change, c'est qu'il n'y a presque plus de femme en maillot de bain mais il s'en fout, tant qu'elles paient ses parasols et ses chaises. Depuis quelque temps, Hocine ne tolère même pas que quelqu'un ramène sa propre logistique. La plage est à lui et il la défend avec un argument imparable : «ils» ont pris toute l'Algérie, on peut disposer d'un carré de sable, quand même. Sinon, celui-là : ici, ce n'est pas Club des Pins. Et les estivants savent qu'ici, ce n'est pas Club des Pins. Sinon, ils n'y seraient pas. Même Hocine n'y serait pas. Slimane Laouari