Ne pouvant plus nous déplacer par le biais des autocars blidéens de Bouchmit «El-Kar El Hamra», nous prenons un bus sale qui nous déposera une heure après à la station de Blida. En ce jeudi de fin mars, Blida est écrasée par un soleil lourd venant du haut des monts de Chréa pour dominer cette petite ville, de Mimèche à Sidi Abdelkader et de Bab Essebt à Bab Edzaïr. Nous fermons les yeux pour ignorer toutes les saletés du marché attenant à la gare routière pour nous replonger dans le bon vieux temps où Blida plaisait aux Blidéens et à ses visiteurs. Mimi et Bouchmit ne sont plus là Nous arpentons quelques ruelles pour nous retrouver rapidement aux limites des quartiers de Bab Ezzaouya et Bab Khouikha où nous remarquons que l'immense boutique de Bouchmit, le légendaire commerçant de Blida, est toujours là mais fermée. Nous passons devant les anciennes boutiques de Bendali, Monaco, El Habib et devant la maison du parolier Ghribi, mais on ne reconnaît pas leurs petits enfants. Nous continuons notre chemin pour nous retrouver sur le boulevard, mais malgré notre soif, la boulangère Mimi n'est plus là pour nous servir le légendaire double cornet de crème. Même Âmmi Ali, le vendeur de cacahuettes, est parti depuis longtemps. Le premier à nous accueillir à Blida est Sidi Yacoub, dont le mausolée se trouve entre les oliviers du Bois sacré. Ce wali (un vrai) aurait demandé à ses compagnons devant retourner vers le Maroc de l'inhumer avant de partir, et c' est par cette nuit de départ vers le Maroc que décéda ce saint patron alors qu'il était en bonne santé auparavant. Il fut enterré selon ses vœux en ce lieu devenu sacré. Les anciens habitants de Blida vivant dans la misère devaient se déplacer pieds nus pour aller prier Dieu devant la qobba de Sidi Yacoub afin de trouver du travail. Selon les témoignages des anciens, les vœux de ceux qui y venaient pieds nus étaient souvent exaucés. Sidi Yacoub serait arrivé à Blida avant Sidi El Kbir, bien que ce dernier soit considéré comme le véritable fondateur de la ville. C'est Sidi Ahmed El Kbir qui aurait baptisé la petite ville de Blida par Ourida (la petite rose). C'est également lui qui a détourné les eaux descendant de l'Atlas blidéen vers les jardins de la Mitidja grâce à un système d'irrigation exceptionnel. Les anciens Blidéens se souviennent tous du temps de la Seqia lorsqu' ils devaient être à l'heure pour l'ouverture des vannes. Sur les traces des Andalous Sidi El Kbir, qui était arrivé en compagnie d'Andalous, doit également être derrière l'amour des Blidéens pour la musique de Ziryab. Avant l'émergence de Dahmane Ben Achour, Hadj Mahfoudh et Nassima, Blida a toujours rayonné d'art et de culture. L'un des musiciens les plus connus est Mahmoud Ould Sidi Saïd surnommé Qelb Eddelaâ pour sa beauté et ses joues rouges. Qelb Eddelaâ était un virtuose du violon et un grand maître du âroubi. Boualem Stamairo et son élève Mohamed Tounsi et par la suite El Mili et Dahmane Ben Achour suivront cette voie. Dahmane Ben Achour, qui a été initié d' abord par son grand-père, était accompagné dans son orchestre par Bentchoubane au mandole, Barabas à la flûte et Chalal ainsi que Baba Amar comme percussionnistes. Dès le début des années trente, il a fait partie de l'association El Adabia que dirigeait Cherif Bencherchali. Quelques années après, Dahmane Ben Achour entre à l'association El Widadiya, aux côtés de Larbi Ben Achour, Hadj Mahfoudh, Mohamed Benguergoura et Mohamed El Mahdi dit «Qezzouh». Il y avait également Hadj Mahfoudh qui a profité à leurs côtés des cours donnés par Mahieddine Lakehal qui se déplaçait régulièrement d'Alger vers Blida. D'autres grands maîtres de la musique andalouse sont sortis de l' école de Mahieddine Lakehal, notamment Sadek Bedjaoui et Saïd Bestandji (Hassan Badri). Il faut noter que pratiquement toutes les associations de Blida des premières décennies du siècle passé ont été fondées par Moussa Kheddioui. Les associations blidéennes, telles qu'El Widadiya, restent parmi les meilleures écoles algériennes, puisque Farid Khodja et Nassima qui sont en haut du podium sont passés par là. Ahmed Larinouna, qui est passé par l'école universelle et l'association Nedjma que dirigeait Mohamed Tobal, est également une sommité marginalisée. De la musique à la peinture A Blida, comme dans toutes les villes d'Algérie, la musique andalouse a aussi été marquée par Hadj Mahfoudh Mahieddine qui s'était marié avec la grande dame de la peinture algérienne Baya. Celle-ci a aussi créé une école à Blida, puisque Souhila Belbahhar a réussi à suivre sa voie en devenant l'une des meilleures plasticiennes. Le Blidéen Denis Martinez a montré son talent en Algérie où il fut enseignant à l'Ecole des beaux- arts et à l'étranger. Dans le domaine de la peinture, la famille Driassa a également acquis une notoriété malgré la discrétion. Quelques tableaux du frère du chanteur Rabahsont exposés à l'hôtel El Ansar.Il faut rappeler que le chanteur Rabah Driassa a exposé en Espagne et en France en 1952 et qu'il est l'auteur du premier tableau d' après-indépendance vendu aux enchères américaines. Le tableau représente le drapeau algérien sur un fond de la carte du Maghreb. La fille du chanteur serait également une bonne miniaturiste.La voix et la réussite de Driassa ont poussé plusieurs jeunes à suivre sa voie. D'abord, Mohamed Oujdi qui a commencé par l'imiter puis son propre fils Abdou qui risque fort de faire mieux que son père. Le chanteur de chaâbi Abdelkader Guessoum a, quant à lui, profiter des cours donnés par Mohamed Mahieddine, le neveu de Hadj Mahfoudh. L'autre chanteur de chaâbi Rachid Nouni a préféré directement intégrer l'orchestre de Ali Metidji aux côtés de Semmad et Settouf. Ce nom rappelle aux Blidéens des années 1950-1960 le vendeur de sfendj mais aussi un homme qui s'est consacré au théâtre. La ville des Roses est aussi connue pour ses comédiens dont Mustapha Bentchoubane et l'irremplaçable Mohamed Touri, mort quelque temps après sa sortie des centres de torture du colonialisme français. Le Blidéen Salah Ougrout dit Souileh est aussi une star du rire. Farida Saboundji qui fut la première présentatrice de la télévision en Algérie est également une actrice de talent qui joue naturellement le rôle de méchante. Moussa Moussa dit «Mohamed El Guebli» était également un excellent poète et animateur de la radio dans les années 50-60. Née à Mimèche, Seloua a brûlé les étapes en devenant parmi nos meilleures chanteuses de hawzi et de variétés. Mazouni qui avait fait ses débuts par le grand succès Mchit Nekhetbek aurait pu être un maître de la chanson s'il n'avait pas choisi la facilité et le commercial. Abderrahmane Aziz a, quant à lui, su garder sa place de grand chanteur de moderne algérien jusqu' à sa mort. Quand Mauguin éditait Le Tell Il faut dire que Blida a été, depuis l'arrivée de Sidi El Kbir, une ville de culture et d'art. Le journal blidéen Le Tell a été parmi les premiers journaux d'Algérie. L'imprimerie Mauguin qui l'a créé et édité en 1864 continue d'exister sous la direction de Mme Chantal Lefevre, arrière-petite-fille de Mauguin. D'ailleurs, elle a tenu à éditer un petit ouvrage, Blida, entre réalités et légendes, qu'elle a écrit en collaboration avec Djamel Melouah et Faïz Zane. Sorti en 2001, ce petit ouvrage qui résume l'histoire de Blida est devenu une des meilleures sources pour les amateurs d'histoire et les nostalgiques de la ville des Roses. L'imprimerie créée par Alexandre Mauguin, l'arrière-grand-père maternel de Chantal, en 1857, fait partie de la grande histoire de Blida, et la librairie située à place Ettout est devenue un véritable musée à visiter. En face de cette librairie, l'affiche de Samson et Dalila a disparu de l'entrée du cinéma Miami qui programmait les grands classiques du cinéma tels que Hercule et Les Dix Commandements. En passant par la rue parallèle, nous remarquons que la boutique du grand artisan luthier Mohamed Benaïcha est fermée. L'artisan qui fabriquait les mandolines, luths et mandoles aux musiciens et chanteurs de tous les coins du pays est mort depuis quelques années. Ses enfants qui ont appris tous les secrets des instruments à cordes ont décidé de suivre la voie du père à Bab Essebt. L'adhan de Abdelkader El Bouleidi Que le temps passe vite, l'appel à la prière de Mesdjed Hanafi nous annonce qu'il est l'heure de rentrer à Alger et nous rappelle que Abdelkader El Bouleidi, l'un des derniers muezzins et récitants de Coran de style andalou est toujours présent à la mosquée Saoudi pour diriger la récitation du Coran après la prière d'el âsr. On doit noter que cet ancien supporter de l' USMB est le seul à lire le Coran sur des airs typiquement algériens. Sport et révolution L' USMB a vu naître de grandes stars du football, notamment Guerrache, Zitouna et Zaragoci qui a fait ses débuts au FCB (créé en 1904). Le grand Sebkhaoui a continué à jouer à l' USMB aux côtés d'Ousser et Zitouna durant les premières années de l'indépendance, lorsque le club était dirigé par l'entraîneur Smaïl Khabatou. D'autres footballeurs feront les beaux jours de l'USMB, notamment Akli, Sellami et Benturki. On raconte que le père de Benturki avait cassé les menottes par sa force de bras pour défier le juge français qui lui avait refusé le droit d'être jugé sans les menottes. Le chahid Hammoud Daïdi était quant à lui un grand boxeur. Ce champion de France qui a choisi de rejoindre le FLN fut mitraillé par les soldats français près de Sidi Yacoub. Quelque temps après, il mourut suite à ses blessures. Le cycliste Ahmed Kebaïli, qui a fait peur aux plus grands cyclistes, même lors de sa participation au Tour de France, a, lui aussi, été un nationaliste puisqu'il fut arrêté et passa 5 années dans les prisons de Berrouaguia, Blida et Serkadji. Les quatre frères Brakni dont les footballeurs Mohamed et Braham tombèrent aussi au champ d'honneur. Les acteurs de la révolution notamment les dirigeants tels que Djelloul Melaïka pourraient bien écrire l'histoire de cette petite ville qui a enfanté de grands révolutionnaires.Enfin, puisque les autocars de Bouchmit ont disparu, nous sommes contents de retourner dans le même bus, car la visite à travers le temps à Blida a été merveilleuse.