Les gosses arrivent un à un habillés comme les grands, maillots du Barça, de l'Olympique Lyonnais (OL), de l'Algérie, de la Tunisie. Un petit sosie de Marcello, le défenseur brésilien du Real Madrid, a la main serrée dans celle de son père. Il est 16 h 30, l'école de foot du mercredi commence au stade Francisque-Jomard de Vaulx-en-Velin (banlieue est de Lyon) coincé entre un diffuseur autoroutier, un boulodrome et une barre d'immeubles. Soleil radieux et blagues des papas : «Mon fils, fais gaffe, y a des recruteurs suisses aujourd'hui, joue bien et tu seras riche !» Rires. Les observateurs helvètes sont en fait des journalistes, pas les seuls d'ailleurs, Canal + est là aussi. La chaîne France 3 a passé tout le week-end au stade, guettant Mohamed Fekir, le père de Nabil, qui tient la buvette. Encore un papa donc, mais celui-ci a un grand garçon de 21 ans qui fait beaucoup parler de lui. Jouera-t-il pour la France ou l'Algérie ? Telle était la question. Le quotidien sportif L'Equipe a fourni la réponse sur deux pages mardi 10 mars : Nabil sera un Coq, pas un Fennec. Autrement dit, Nabil Fekir, natif de Vaulx-en-Velin, attaquant de l'OL et peut-être future star de foot, a choisi d'enfiler la tunique tricolore. Mohamed Fekir aurait préféré voir son rejeton s'habiller en vert, «question de fierté, d'honneur, parce que Mohamed est un immigré dont l'adresse est en France mais le cœur au village», résume Mustapha, l'un des deux gardiens du stade, l'autre (qui s'appelle Thierry Wink) étant un Marseillais dont le père est Bâlois. «Vaulx-en-Velin, c'est ça, rigole Mustapha, plein de Maghrébins et aussi des mélanges compliqués.» Gaucher et fin technicien Mohamed Fekir, dont la presse cherche à recueillir les impressions, ne viendra pas ce jour-là servir café, thé, sodas et bière. L'entraîneur de l'OL, Hubert Fournier, lui aurait demandé de cesser de s'épancher, la décision de Nabil étant arrêtée. Mais à Vaulx-en-Velin, les amateurs du ballon rond (ils sont nombreux) se posent la question de la liberté de choix de ouled el houma (fils du quartier). Histoire compliquée. Nabil Fekir, double nationalité, gaucher et fin technicien, profil neuf et demi, est un surdoué. Il a inscrit dimanche dernier deux très jolis buts face à Montpellier (victoire 5 à 1 de l'OL). «Il a parlé avec ses pieds plutôt que dans la presse», a indiqué, plutôt soulagé, Hubert Fournier. Un compliment, en langage de footeux. A 21 ans, au nombre de buts (11) et passes décisives (7), Nabil fait cette saison mieux au même âge que Karim Benzema, le numéro 9 du Real Madrid, ancien de l'OL lui aussi, natif de Bron, tout à côté de Vaulx. L'Algérie, en passe de bâtir la meilleure équipe de son histoire (après celle de 1982 de Madjer et de Belloumi), a besoin de tous ses enfants footeux, y compris ceux nés de l'autre côté de la Méditerranée. Les frères Ghezzal, nés à Lyon, qui ont joué à Vaulx-en-Velin, et le Parisien Yacine Brahimi (FC Porto) ont opté pour l'ENA (équipe nationale algérienne). A Alger, on pense que si Nabil Fakir avait lui aussi rejoint les Fennecs, l'ENA serait allée bien au-delà des quarts de finale lors de la dernière Coupe d'Afrique des nations. Prochain objectif : la CAN 2017 organisée, dit-on, …en Algérie. Le pays a laissé filer Zidane, Benzema, Ben Arfa, Nasri et tant d'autres. Pour Mohamed Raouraoua, le président de la Fédération algérienne de football, pas question de perdre une pépite de plus. Pressions affectives donc, notamment auprès du père, un vrai patriote. Le 6 mars, Nabil appelle à 13 h 30 Christian Gourcuff, entraîneur français de l'ENA, pour lui signifier qu'il va revêtir le maillot vert. Aussitôt, ce dernier le préconvoque pour un match amical contre le Qatar. Joie dans les gradins algériens, louanges envers celui en passe de devenir une icône nationale. Jusqu'au revirement de mardi exprimé dans L'Equipe. «Il s'est foutu de la gueule du pays», écrit, amère, une journaliste du site algérois Compétition. Revalorisation de salaire Que s'est-il passé? «La vie est faite de choix, je l'ai juste aidé à y voir clair», a commenté Jean-Michel Aulas. Le président de l'Olympique lyonnais aurait en réalité fortement influé sur son joueur en parlant de revalorisation de salaire et en lui faisant comprendre qu'une carrière avec l'équipe de France était autrement plus rentable qu'avec la sélection algérienne. Et que pour le club rhodanien, cela aurait été une perte financière importante sur le marché des transferts (Paris et Arsenal ont un œil sur Fekir). L'argent a évidemment joué un rôle déterminant. Jean-Pierre Bernes, l'agent du joueur, aurait de son côté «conseillé» à Didier Deschamps, le patron des Bleus, de vite sélectionner Nabil Fekir. Se profile (le 26 mars) en amical un France-Brésil. «Ça a une autre dégaine qu'un Algérie-Qatar», dit un papa de graine de champion de Vaulx-en-Velin. «L'Euro 2016 est organisé chez nous en France, idéal pour se faire connaître», ajoute un autre. Les avis sont, cependant, partagés à Vaulx. Au stade, «on pense football et à ces gamins nés en France, qui se sentent à 150 % français, qui n'ont connu que la France et qui jouent depuis l'âge de 4 ou 5 ans dans les championnats français». Le club, véritable pépinière, a vu beaucoup de ses fils faire de belles carrières. D'où le nombre de recruteurs qui rôdent et de papas qui font les beaux. Vaulx (20% de chômage, un jeune sur quatre sans activité, 70% de sans-diplôme) compte entre autres sur le football pour rêver à une vie meilleure. En ville, autre point de vue. Yacine, Lyes, Amza tiennent les murs ce mercredi après-midi. Ils parlent de la police qui joue aux cow-boys et les harcèle. «Depuis Charlie, il y a Vigipirate qui nous lâche pas», grognent-ils. Si Vaulx-en-Velin a tourné la page avec ses nuits d'émeutes comme celles du Mas du Taureau, en 1990, elle demeure une cité sous tension en dépit des ravalements de façade plutôt réussis et des emplois avenir pour les 16-25 ans. Yacine dit : «La Suisse, bang-bang, on n'y va plus, maintenant votre police elle tire.» Evocation de ce voleur de voiture de Vaulx-en-Velin abattu d'une balle, le 18 avril 2010, dans le tunnel de Sévaz (canton de Fribourg, Suisse). «On fait moins les courses en Suisse», rigole Yacine. Retour au football. Amza : «Nabil, il aurait dû représenter notre côté algérien, on aurait été fiers. Tout le monde pense ça ici.» Lyes : «C'est le fric qui a tout décidé. Nabil, il a le profil pour le Barça, c'est le Messi de Lyon, ça va rapporter des millions, alors l'honneur du pays, ils s'en foutent, l'Algérie c'est loin.» Joint par téléphone, Ali Rechad, le président du FC Vaulx-en-Velin, ne veut plus entendre parler de l'Algérie. «On est en France ici, alors parlons français.» Il a d'autres problèmes, l'équipe première qui joue en CFA2 (cinquième division) se traîne en queue de classement. Peu de monde le dimanche au stade pour les encourager et puis toutes ces futures stars vite repérées et parties. Le dernier en date s'appelle Kurt Zouma (20 ans) et a joué pour Chelsea une partie du match homérique mercredi contre Paris Saint-Germain. Ses deux petits frères tapent encore dans le ballon au FC Vaulx. Ceux de Nabil Fekir aussi. Belles affaires à suivre…