Alors que l'on n'en a pas encore fini avec la violence physique à l'université, voilà que ce lieu de savoir subit une autre atteinte tout aussi grave: la censure ! Celle exercée par Mohamed Khodja, doyen intérimaire de la Faculté des Sciences Politiques et des Relations Internationales d'Alger, sur la thèse de la doctorante Leila Sidhoum. Intitulé «Le rôle de l'élite au pouvoir dans le processus de transition démocratique en Algérie 1989-2016», le sujet de la thèse semble déranger le doyen qui a multiplié les «intimidations» à l'égard des cinq membres du jury dans l'objectif de les pousser d'abord à annuler la soutenance, puis à rejeter la thèse. Contactée, Leila Sidhoum raconte ce qu'elle qualifie de «pratiques indignes et insanes de harcèlement» endurées avant et après la soutenance de sa thèse le 7 juin dernier. «Quelques semaines avant la date prévue pour la soutenance, le vice-recteur s'est rapproché des membres du jury pour les persuader d'annuler la soutenance», témoigne notre interlocutrice. Les termes utilisés par le vice-recteur, confie-t-elle, sont : «vous (membres du jury Ndlr) allez avoir des problèmes avec les hautes institutions», «méfiez-vous», «réfléchissez»… Seulement, jugeant le contenu de la thèse «très pertinent», le jury n'a pas cédé à la pression. «Le 7 juin dernier, la soutenance a été retardée jusqu'à 11h30 car cette fois-ci, c'est le doyen lui-même qui a convoqué le jury pour lui rappeler les soi-disant risques qu'il encourait si jamais ils décidaient de valider ma thèse. En vain», se rappelle Leila Sidhoum. Après la soutenance publique et la délibération secrète, Sidhoum décroche la mention «très honorable», sous réserve de supprimer certains paragraphes jugés par certains des membres du jury comme «inopportuns». Corrigée, validée puis transmise au service de la post-graduation, la thèse finit entre les mains du doyen qui, dès lors, fait subir à la doctorante des harcèlements sans précédent dans les annales de l'Université algérienne. En effet, jamais dans l'histoire de l'université, des doyens se sont arrogé le droit de s'immiscer dans les affaires qui relèvent exclusivement du ressort des services de post-graduation. Ils ont encore moins remis en question ni même piétiné la décision d'un jury. Mohamed Khodja, lui, est allé jusqu'à rejeter le rapport final du président du jury, signifiant qu'il s'agissait d'une thèse «subversive». Le doyen intérimaire ne s'arrête pas là. Selon Leila Sidhoum, il convoquera le président du jury dans son bureau où il lui présentera un individu comme étant membre de «la sécurité présidentielle». Ce dernier ne soufflera aucun mot, témoigne notre interlocutrice, qui s'interroge sur l'identité réelle de cet homme. «Appartenait-il réellement à la «sécurité présidentielle» ? Un fait qui serait très grave. Ou s'agissait-il d'une usurpation d'identité visant à intimider le président du jury, ce qui serait encore plus gra- ve ?», s'indigne la doctorante. Le jury, offusqué par cette nouvelle atteinte sans précédent à ses prérogatives, protestera, poursuit Sidhoum, contre ces pratiques uniques. Cependant, Mohamed Khodja va une fois de plus violer impunément la souveraineté du jury en exigeant non pas un rapport unique, rédigé et remis par son résident, mais un rapport de chaque membre du jury signé à titre individuel. Une demande que ces derniers exécutent, pensant à tort mettre un terme aux «tergiversa-tions» du doyen intérimaire. Les raisons d'un acharnement Infatigable dans son «abus de pouvoir», celui-ci tente une ultime action d'intimidation. «Il a exigé depuis de relire personnellement la thèse et de supprimer tout ce qui a trait à l'armée, au président de la République et au mouvement islamiste», s'indigne l'universitaire. Les thèses soutenues à la faculté de Sciences Po par le passé ont déjà traité des thèmes similaires à celui de Leila Sidhoum, affirme elle-même la doctorante. Mais aucun n'a fait l'objet d'une telle violence morale. Aucune loi, d'ailleurs, n'impose de limite aux chercheurs ni aux doctorants dans leur analyse. Seules les diffamations peuvent faire l'objet d'un rejet. Ce qui ne semble pas être le cas de la thèse de Sidhoum, soutenue et validée par un jury. «J'ai travaillé en m'appuyant sur des ouvrages universels, je n'ai rien inventé», s'exclame la maître-assistante, estimant que «même dans un milieu académique, la pensée autonome et libre est un tabou». Mais au-delà du contenu de la thèse qui analyse le rôle des militaires de l'indépendance à nos jours, qui discute du rôle de la Présidence depuis 1999 et étudie le rôle des leaders du FIS dissous, c'est un autre fait qui aurait motivé le doyen de la faculté de Sciences Politiques. Ces provocations ne sont en réalité, pense notre interlocutrice, que «des représailles liées à ma position ferme et ma solidarité indéfectible envers mes collègues enseignants, lâchement agressés en février 2017», regrette Leila Sidhoum, qui a depuis mercredi adressé des lettres administratives au recteur, au ministre de l'Enseignement supérieur et à la présidence de la République.