La matinée de ce vendredi 14 juillet a été marquée par un brouillard de fumée qui altère les somptueux paysages naturels qu'offre à la vue le massif forestier de Yakourène, situé à 55 km au nord-est du chef-lieu de la wilaya de Tizi Ouzou. Dès les premières heures de la matinée, une chaleur suffocante agresse les rares automobilistes qui empruntent la route nationale N-12 qui traverse cette dense et magnifique forêt. Vers 8h30, un long cortège de voitures emprunte cette route sinueuse. Il ne s'agit pas d'un cortège nuptial, comme ils sont légion en cette période de l'année, mais de ces véhicules venus de différentes régions transportant des volontaires qui se sont donné rendez-vous pour une campagne de nettoyage de cette forêt. Pas moins de 200 citoyens, hommes et femmes de tous les âges, ont répondu à l'appel lancé deux semaines auparavant par l'association Axxam N-Dda Ali de Tizi Rached, ainsi que le militant écologiste Amar Adjili. «C'est la situation dramatique que connaissent les forêts à travers le pays qui nous a décidé à entreprendre cette action. Nous ne pouvions pas rester indifférents face à ces atteintes répétées à la nature. Je vis à l'étranger, tout comme Amar Adjili. Ce qui me touche aussi, c'est l'attitude passive de certaines personnes face à cette situation», déclare Farid Adjoud, président de l'association Axxam N-Dda Ali. L'action commence avec une ambiance conviviale. Les abords de cette route nationale sont jonchés d'ordures de différentes natures : des bouteilles en verre et en plastique, des canettes, des cartons, des sachets, des déchets ferreux et autres … dénaturent complètement cette forêt, jadis havre de propreté, et lieu de villégiature par excellence. Le spectacle dé-solant qui s'offre aux yeux stimule encore plus le courage des participants à cette action. «Tous ces jeunes en ont marre de voir un tel spectacle. Ils aimeraient hériter d'une nature saine, propre et préservée. Nous sommes tous complices de la pollution de nos forêts. Nous avons tous pollué le pays. Maintenant, nous devons en finir avec ça, et nettoyer nos déchets», lance Amar Adjili, militant écologiste infatigable qui opère sous le slogan «Algérie-Eco». Le courage des participants Les militants, hommes et femmes, munis de gants et d'habits spéciaux pour la circonstance, foncent dans les buissons des deux abords de la route. De grands sacs sont distribués aux participants pour y mettre «leurs récoltes», plaisante un des organisateurs. Ni la canicule, ni les odeurs nauséabondes que dégagent les détritus, ni la nature accidentée ne sauraient réfréner les ardeurs des militants, tous déterminés à aller de l'avant. Parmi les participants, on notera la présence de Tayeb Mokadem, député RND. Celui-ci s'est fondu dans la foule, et prend part à l'action tout comme les autres citoyens. «Je remercie les initiateurs de cette louable action que l'Etat doit vraiment encourager. J'en profite pour faire appel aux pouvoirs publics pour mettre un holà pour les associations inertes, et encourager celles qui travaillent réellement, comme celle-ci. Ce n'est pas la première fois que cette association s'illustre par des actions de terrain. Ils travaillent et ils méritent des aides et subventions. Ce qu'ils ont fait ici en deux jours, l'Etat aurait énormément de soucis à le réaliser en beaucoup plus de temps. Des tonnes de débris et ordures ont été ramassées par des dizaines de jeunes garçons et filles volontaires. Je fais également appel à la population de Tizi Ouzou pour nous aider à préserver nos forêts et notre nature. Nous avons une magnifique et belle région, nous devons la protéger», déclare le député. Le repos des braves Vers midi, un appel est lancé à tous les volontaires pour se rassembler sous de magnifiques chênes zen. C'est l'heure du déjeuner. Les organisateurs ont prévu, pour l'occasion, un savoureux couscous aux légumes cuits à la vapeur, et généreusement arrosé d'huile d'olive. A peine les dernières cuillères de couscous savourées qu'un groupe de jeunes adolescents et adolescentes sortent une derbouka et un bendir. «Il nous faut fêter une occasion pareille !», disent-ils. Leur ingénieuse idée a reçu l'adhésion totale des participants. Tout de suite après, un cercle humain est formé sous un long chêne où fusent des rythmes et des airs du terroir. L'appel est fait pour la talentueuse et jeune star de la chanson algérienne Amel Zen, qui a rejoint l'action depuis la capitale pour y prendre part et encourager les participants. «Ça me fait un grand plaisir de voir des jeunes se mobiliser pour l'écologie et la nature. Je viens d'Alger. Je suis Algérienne et la Kabylie m'appartient aussi. Je suis outrée par certains commentaires haineux sur les réseaux sociaux après les incendies qu'a connus cette région. En tant que jeune Algérienne, j'irai là où il faut pour la bonne cause», dit-elle. Les habitués ne se sont pas fait prier pour esquisser quelques pas de danse. Cette ambiance de fête cessa dès l'appel du militant Amar Adjili à reprendre l'action de nettoyage. La belle volonté du groupe ne semble pas avoir été altérée par ce beau moment de pause. Les volontaires reprennent le travail comme ils l'ont commencé la matinée. «Ici à Yakourène, on peut remarquer qu'il y a beaucoup de gravats, des déchets de chantiers, ramenés par des promoteurs, mais aussi par des particuliers, qui viennent jusqu'à la forêt pour jeter leurs détritus. On en retrouve dans la périphérie de la forêt, mais aussi à l'intérieur, mélangés parfois à d'autres tas d'ordures d'une autre nature qu'on ne peut plus récupérer. Cela ne peut plus continuer ainsi ! La forêt n'est pas un dépotoir. Durant cette action, nous avons pu faire un travail vraiment considérable. Nous avons pu récupérer plus d'un million de bouteilles, mais aussi des déchets de toutes sortes : des pneus, des appareils électroniques...», s'insurge Amar Adjili. L'opération a duré toute la journée avec un nombre impressionnant d'encouragements des milliers d'automobilistes empruntant cette route nationale. La majorité de ceux-ci n'hésitent pas à mettre la main à la poche pour contribuer à la quête lancée par l'association. Farid Adjout apprécie cette prise de conscience de la part de la population. «Les citoyens algériens sont conscients de la grande utilité de ce genre d'action. Vous ne pouvez pas imaginer le nombre de personnes qui m'ont appelé pour participer à cette louable initiative. Beaucoup de personnes m'ont également dit qu'elles ne prendraient pas part à cette action car, selon elles, cela ne résoudra en rien le problème. On nettoie un jour, et le lendemain, le même endroit sera envahi encore une fois par des tonnes d'ordures. Ces )personnes n'ont pas totalement tort, mais cette réaction reflète aussi le dégout que leur inspire cette situation. Ils veulent que le mal soit traité à la racine. Donc je pense que la volonté y est. Les gens en ont en marre de cette situation. Les Algériens sont connus dans le monde entier pour leur attachement viscéral à leur pays, mais je ne comprends pas comment on peut aimer son pays et en même temps le souiller avec des tonnes d'ordures !», se demande-t-il. Une expérience humaine Vers 16h30, la fatigue commence à se sentir. La journée très chargée prend fin avec un sentiment de satisfaction absolue qui se lit dans les yeux des participants et organisateurs. Certains s'apprêtent à retourner chez eux avec le sentiment d'avoir pris part à une action à double tranchant. Ilhem Yahiaoui, enseignante à l'école vétérinaire d'Alger et randonneuse du Parc national de Chréa, passionnée de nature et d'écologie, est venue de Blida spécialement pour prendre à part à cette action. «Je ne pouvais résister à la vague de solidarité pour l'opération nettoyage de la forêt de Yakouren. Trois heures de route seulement, depuis Blida, m'ont permis de découvrir, l'espace d'une journée, lAlgérie que j'aime. Une Algérie où des citoyens de toutes catégories sociales, des jeunes et des moins jeunes, qui se réunissent main dans la main pour restaurer un lieu et sensibiliser ceux qui empruntent cette route nationale en donnant l'exemple ! Mais je pense que ce genre d'initiative ne pourra jamais régler le problème du désastre écologique. Le mal est dû au comportement des Algériens qui doivent absolument se réconcilier avec la nature», déclare-t-elle au Temps d'Algérie. Elle ajoute que «cette journée m'a redonné espoir, à travers les jeunes de l'association qui font un travail magnifique tout au long de l'année. Ils adoptent un comportement écologiquement engagé et militant, exemplaire pour la société. J'aimerais voir ce genre d'action et cet état d'esprit se transmettre dans toute l'Algérie», espère-t-elle. Ilhem se dit repartir à Blida chargée d'émotions positives. «Ce genre d'événement nous marque par sa richesse sur le plan humain, et nous prouve que le changement est tout à fait possible», conclut-elle.