La question revient comme un leitmotiv. Inévitable selon les uns, inadmissible selon les autres, l'endettement extérieur fait toujours couler beaucoup d'encre. Avant-hier, il a fait surtout réagir le Premier ministre, Abdelmadjid Tebboune, qui a exclu cette option qui serait, selon ses propos, une atteinte à la souveraineté nationale. Ferhat Aït Ali a accepté de répondre à nos questions sur ce sujet. Le Temps d'Algérie : «Il est hors de question de recourir à l'endettement extérieur et nous ne voulons même pas y penser», a déclaré dimanche le Premier ministre Tebboune lors de la réunion, Gouvernement-Patronat-UGTA. Comment interprétez-vous ces propos ? Ferhat Aït Ali : Ce genre de déclaration, à teneur politique, n'a pas sa place dans une réunion à caractère économique, et le Premier ministre a pris soin d'imputer l'origine de la décision au président de la République, qui semble avoir tracé ainsi une feuille de route économique qu'il aurait pu mener à son terme sans s'adjoindre les services de parties n'ayant pas beaucoup le choix, ni même la volonté d'en avoir un. Que le Premier ministre veuille y penser ou non, cela n'engage pas les créanciers éventuels qui manifestement ne veulent pas eux-mêmes penser avoir à nous prêter quoi que ce soit, sans conditions rigoureuses sur la destination des fonds et taux et assurances très lourds. Après les propos de l'ex-chef de l'exécutif disant que l'endettement n'était pas une honte et ayant même emprunté 950 millions de dollars chez la BAD, cette énième affirmation n'engage que le temps de voir les choses empirer. Abdelmadjid Tebboune exclut ce choix en ce qu'il est lié, dit-il, à la perte de la souveraineté nationale. «Nous refusons d'hypothéquer notre souveraineté quelle que soit la situation», a-t-il dit… Si on suit cette logique, le pays le moins souverain de la planète est les USA, suivi du Japon, et même en partie de la Chine, qui doit aux gens presque autant qu'ils ne lui doivent. Hors des discours populistes à usage de consommation interne, à destination des derniers adeptes de la souveraineté de façade, je doute fort que dans l'état actuel de notre industrie et de notre agriculture, et notre dépendance intégrale à une seule source de revenus en déclin, l'endettement soit une menace pour ce qui reste de souveraineté. Et même ce vocable de souveraineté tant galvaudé à toutes les sauces reste sujet à caution, tant que les origines et assises internes de cette souveraineté ne sont pas définitivement définies et balisées par les faits et les textes. Je ne pense pas qu'importer l'intégralité de ses consommations et des intrants, pour le peu qu'on produit localement, laissera beaucoup de place à cette notion en cas d'embargo ou de conflit d'intérêts avec une puissance quelconque. Sinon tout le monde est souverain, quel que soit son endettement, à moins de considérer que Boumediene qui a laissé une dette de 16 milliards de dollars en 1979 n'avait aucune notion de la souveraineté ! Face aux déséquilibres macroéconomiques, dans le contexte du recul des recettes pétrolières, a-t-il ajouté, nous allons compter sur nos capacités, petites ou grandes soient-elles. Jusqu'où le pays peut-il encore tenir sans recourir à l'endettement extérieur ? De toute manière, l'endettement interne, et même une augmentation des prélèvements fiscaux, ne seront jamais un palliatif au besoin en devises, pour importer sans écorner les réserves de change. Et en dehors d'une limitation des déficits du Trésor par l'épargne interne, qui ne semble pas être au rendez- vous des calculs officiels, je ne vois aucune relation entre des apports en devises ou en équipements à crédit et la levée de fonds en dinars dont la dépense va encore engendrer des pertes en devises. La seule solution étant dans une production interne intégrée et une consommation rationalisée, cela ne cadre pas avec le besoin des uns de gonfler les recettes fiscales par ponctions alourdies et celui des autres de présenter des projets foireux comme des planches de salut à exonérer. L'endettement extérieur, pour le financement des équipements de production, avec des garanties crédit acheteur, et des infrastructures en BOT, ne sont pas des dangers, bien au contraire. Si bien sûr cela se fait dans les règles de transparence et de gestion rationnelle qui fait qu'un projet soit étudié et accepté, en vertu d'études fiables et selon les règles universelles d'impartialité administrative qui n'est pas encore à l'ordre du jour chez nous. Quelles seraient selon vous les autres choix qui s'imposent au pays pour éviter l'option de l'endettement ? Pour moi, éviter l'option de l'endettement n'est pas un canon sacré de l'économie, pas plus que la fameuse règle des 51/49, qui à mon sens à désertifié notre champ économique, en le fermant aux grandes firmes ayant des projets et des capitaux, au profit de toutes sortes de projets dangereux avec des partenaires des plus suspects, quant à leurs objectifs et extraction pour certains. On peut encore tenir trois ou quatre ans sans endettement externe, en laminant les réserves de change et sans endettement interne, en laminant la valeur du dinar, mais les résultats conjugués à l'arrivée seront cataclysmiques. Il est difficile de discuter économie avec des parties qui ont leur idée toute faite sur ce qu'elles veulent éviter comme traitement, sans avoir aucune idée de l'étendue ni de la nature du mal, et encore moins du traitement alternatif. Une solution intègre toutes les variantes, avec plusieurs scénarios, sinon c'est à ceux qui ont balisé le chemin de le prendre jusqu'au bout.