Elle est relativement nouvelle sur le marché, sans doute parce qu'on ne la considère pas vraiment comme un fruit. La figue fraîche, il faut en manger jusqu'à n'en plus pouvoir ou pas du tout. Dans l'imaginaire local comme parfois dans la pratique, elle a un statut spécial. Jusqu'à un passé récent, elle ne se vendait que dans de petites proportions ou pas du tout, on en rêve dans les régions où elles n'est pas cultivée, jusqu'à lui conférer une part de mythe pourtant pas très justifiée. La figue a toujours été épargnée par la banalité. On ne va pas acheter un kilo de figues comme on le fait pour les oranges ou les poires. La figue, on en prend d'abord parce qu'il y en a, ce qui n'est jamais évident. Pourtant, elle n'est pas plus rare qu'un autre fruit et la classer parmi les fruits exotiques ferait sourire tout le monde. Elle a accompagné des générations de montagnards dans les années de disette où elle était le produit de survie. Elle a été un «luxe vital» et c'est sans doute de là qu'elle tient ses paradoxes. A la fois rare et abondante, chère et largement accessible, gourmandise de première ou repas du pauvre. Chez nous, elle n'a jamais connu de culture extensive qui susciterait une occupation à plein de temps, encore moins une source de revenus suffisante pour vivre. La figue est un caprice. Pour ceux qui en produisent comme pour ceux qui en consomment. Fraîche, elle ne rappelle son existence que quand on la voit. Sèche, elle se fait mieux oublier. Avant de surgir un jour comme par enchantement. Ses fines épines en font un danger pernicieux qui ne dissuade pas pourtant. L'autre figue, celle de barbarie, est moins contradictoire. Tout le monde vous le dira, il y a quelque chose de miséreux dans ce fruit. Dans bien des endroits, les longues baies de cactus n'appartiennent à personne, et il suffit d'oser aller à sa périlleuse cueillette. Avec un peu de vent, c'est une vraie folie que de s'y aventurer. Certains en ont perdu la vue, mais ça n'a pas dissuadé grand-monde. La figue de barbarie sans épine aurait certainement perdu son âme. C'est autour de l'épine que s'est construite une grande partie de ses contes légendaires. Les femmes réputées pour leur adresse dans la cueillette, les maquisards qui ont traversé des haies et des haies sans être piqués par la moindre épine, et les couteaux les plus rapides au marché. C'est avec les épines que le vendeur rappelle au client la condition de chacun : à moi le danger, et à vous le fruit dans toute sa douceur. Fraîche, sèche ou de barbarie, la figue ne sera jamais un fruit comme les autres. Cet e-mail est protégé contre les robots collecteurs de mails, votre navigateur doit accepter le Javascript pour le voir