Ni les grands hôpitaux ni les structures de soins de base n'ont trouvé grâce aux yeux de la Commission nationale consultative de promotion et de protection des droits de l'homme, dont une mission vient de rendre public un rapport accablant sur l'état de la santé en Algérie. Résultat d'une enquête menée entre avril 2008 et août 2009, dans le cadre d'une étude sur l'accès aux soins dans les structures relevant du ministère de la Santé, le rapport de la CNCPPDH relève d'importantes lacunes en matière de prise en charge des malades. Que ce soit dans les structures dites de base ou dans les grands centres hospitaliers du nord, les citoyens sont mal reçus ou ballottés de service en service, tandis que les personnels médical et paramédical continuent d'exercer dans des conditions jugées lamentables. Les structures elles-mêmes, pour la plupart vétustes et mal entretenues, nécessitent de gros travaux de réhabilitation. Quelques incohérences sont aussi relevées comme le non-respect des gardes par le personnel médical, l'absence de commodités dans les services d'urgence, le manque de médicament de base et le comportement «commercial» de la pharmacie central des hôpitaux (PCH) dans ses relations avec les hôpitaux. La commission, qui a visité 86 structures de santé de différente importance réparties à travers 10 wilayas du centre et de l'est du pays, fait remarquer d'emblée le manque de concertation entre les autorités locales et les responsables chargés du secteur de la santé, notamment pour ce qui est de la gestion des unités de soins de base. Plus important, elle relève de flagrants manquements à la discipline dans les différentes structures de santé, à commencer la désorganisation totale au niveau des services des urgences. L'absence de contrôle des aliments ramenés par les visiteurs, le non-respect des horaires de visite et quantités d'autres anomalies sont soulevées, entre autres, la question de l'accueil qui se pose avec gravité dans toutes les structures visitées. Le rapport de la CNCPPDH relève que «plus l'établissement est important, plus la qualité de l'accueil laisse à désirer», indiquant au passage que les registres de doléances sont inexistants ou «hors d'atteinte des citoyens». Des ambulances… pour transporter le personnel La prise en charge des malades présente de nombreuses défaillances. Dans de nombreux hôpitaux, les malades hospitalisés sont livrés à eux-mêmes durant la nuit, les garde-malades aussi, qui ne bénéficient ni de repas ni de literie. Les ambulances sont davantage utilisées pour le transport du personnel médical et de service que pour l'évacuation des malades, et très peu de chauffeurs maîtrisent les notions de conducteur-ambulancier. Bien que relativement bien tenues, les morgues nécessitent d'être mieux équipées en vue d'anticiper des catastrophes de grande ampleur. Les quelques tentatives de masquer la réalité dans certains hôpitaux (nettoyage avant la visite de la commission, draps et couettes neufs remis aux malades…) n'ont pas influé sur l'objectivité de l'enquête dont les conclusions donnent froid au dos. Ainsi, les services des urgences manquent pratiquement de tout. Les moyens d'évacuation et le plateau technique sont rudimentaires ou inexistants, les médecins ne disposent d'aucun matériel adéquat, il n'y a ni stéthoscope ni tensiomètre ni abaisse-langue. Dans les salles de soins infirmiers, les médicaments sont rares, ceux de première urgence quasi-inexistants. L'hygiène laisse à désirer dans l'ensemble des services d'urgence visités où la commission a remarqué que la garde n'est pas effective. «Généralement, le maître assistant est introuvable. Quant aux résidents, ils se reposent sur les internes qui ne doivent en aucun cas donner des prescriptions», indique la commission qui précise qu'aucune priorisation des malades des urgences n'est faite par le médecin de garde. La commission relève, toutefois, les conditions lamentables dans lesquelles exercent médecins et infirmiers : chambres de garde dans un état vétuste et dégradé, salles de réunion sous-équipées et «défaut d'estime du personnel médical par la direction de l'établissement hospitalier». La commission note une disparité dans la répartition des médecins spécialistes entre les hôpitaux et l'inexistence de système qui pourrait intéresser les spécialistes à exercer dans les régions des hautes plaines et le sud. Dans le même temps, elle estime que le grade de professeur n'est pas valorisé, suggérant qu'il y a lieu d'accorder au titulaire un salaire plus élevé, des indemnités et le bénéfice de moyens matériels dont un véhicule avec chauffeur. Le personnel paramédical est également victime d'une absence de considération. Il a été relevé des aberrations comme le cumul chez le public et le privé. Une gestion à vau-l'eau Les conditions d'hospitalisation sont loin d'être idéales : chambres sous-équipées, literies défectueuses, hygiène approximative, absence d'isolation dans les chambres communes et salles d'eau dans un état pitoyable. En règle générale, le suivi paramédical est complètement défaillant, les médicaments à la charge du malade alors qu'en principe ils leur sont fournis gratuitement. Beaucoup de gestionnaires pensent réaliser des économies sur le dos des malades en limitant les dépenses dues à leur alimentation. A ce propos, il est signalé l'absence d'approche diététique pour les repas servis aux malades, beaucoup d'économes ignorant la notion de menu adapté. Le manque d'hygiène dans les cuisines est plus qu'inquiétant et la qualité des repas laisse à désirer. Le personnel affecté aux cuisines est composé d'agents n'ayant reçu aucune formation dans le domaine. Les défaillances sont constatées dans tous les services. Les pharmacies sont sujettes à des ruptures de stocks, la PCH n'honore pas les commandes sous prétexte qu'elle n'est pas payée à temps. Pharmaciens et gestionnaires pointent du doigt les services du ministère des Finances qu'ils accusent de bureaucratie. Le rapport signale de graves insuffisances en matière de gestion des déchets hospitaliers. Les procédures de ramassage, de tri et de destruction ne sont pas respectées. La plupart des hôpitaux ne disposent pas d'incinérateurs et utilisent de simples brûleurs, très nocifs pour l'environnement. Il est relevé des incohérences dans la hiérarchisation des établissements hospitaliers et une confusion dans leurs attributions. Des maillons manquent à la chaîne des spécialités dans les CHU, alors que les soins primaires et de base sont assurés par des établissements spécialisés. Les appareils d'exploration (radio, IRM, scanners…) tombent souvent en panne et les délais de réparation sont extrêmement longs. Les rendez-vous pour ce type d'exploration sont longs ; ils sont souvent reportés à cause des pannes. Les laboratoires d'analyses manquent de réactifs et d'équipements techniques modernes en plus des personnels qualifiés dont les biologistes. Revoir le système de fond en comble Face à ces lacunes, la commission émet un ensemble de recommandations. En premier lieu, elle propose une gestion plus rigoureuse des services d'urgence et de les doter tous les moyens matériels et humains nécessaires à leur bon fonctionnement. A ce propos, elle considère que ces services doivent employer des médecins urgentistes capables d'assumer leur fonction de jour comme de nuit et quelles qu'en soient les circonstances. L'hygiène doit y être impeccable, et les conditions d'accueil et de travail des plus correctes. Les conditions d'hospitalisation doivent être revues de fond en comble, estime la commission qui recommande le renouvellement de tous les mobiliers, l'affectation d'armoires, tables de chevet, frigo, «rideaux propres», bouteilles d'eau minérale et repas équilibrés aux malades. Les garde-malades doivent jouir de lits et de repas et, surtout, du respect des employés ; dans de nombreux hôpitaux, les garde-malades de sexe féminin se plaignent du comportement des personnels à leur égard (harcèlement sexuel). La commission juge inconcevable le comportement de certains directeurs d'établissement qui «punissent» des chefs de service en les traitant comme des «auxiliaires», qui refusent de doter les services en moyens adéquats, qui usent de moyens de rétorsion administrative à l'encontre du personnel médical… Elle propose l'institution de prix (jusqu'à 1 million DA) et une reconnaissance publique (médiatisée) pour récompenser les médecins méritants, outre leur prise en charge totale par l'Etat dans le cadre de leurs déplacements professionnels à l'intérieur du pays ou à l'étranger. Des séances de formation continue doivent être prévues pour tous les personnels, y compris les agents techniques. Plus important, la commission recommande de remédier dans les meilleurs délais aux disparités nord/sud. Elle propose de doter les établissements des régions du sud de véritables plateaux techniques et de les doter des personnels nécessaires, et d'accorder à ces derniers des avantages tant en nature (logements) qu'en numéraires (salaires et primes avantageux). Enfin, la commission prône un accès démocratique aux soins spécialisés à l'étranger dont abuse le personnel politique algérien, preuve, selon elle, que nos hommes politiques n'ont aucune confiance dans le système national de santé.