La famille jijelienne accueille avec enthousiasme le mois de Ramadhan. C'est une période au cours de laquelle ses membres ont l'occasion de se retrouver pour partager la rupture du jeûne. Dès l'annonce de l'iftar, le jeûne est rompu avec deux ou trois dattes pour certains, quelques cuillerées de soupe ou simplement une gorgée d'eau pour d'autres, avant l'accomplissement de la prière. Comme pour les précédents, le Ramadhan de cette année est un mois où le changement dicte sa loi. L'exception n'est pas dans le jeûne en lui-même du lever au coucher du soleil, mais plutôt dans son impact sur la vie sociale et économique. Tout commence par ces commerces qui poussent comme des champignons à chaque coin de rue et dans les marchés populaires. Auparavant, les Ramadhans se suivaient et se ressemblaient, ce qui n'en sera pas de même avec celui-là. Certes, il y aura comme toujours toutes les senteurs, toutes les couleurs, toutes les pyramides de gâteaux sucrés, les rangées de vendeuses de galettes et de crêpes, les coups de gueule et les empoignades des fumeurs en manque, surtout au niveau du marché de la pêcherie du centre-ville. mais, pour ce Ramadhan, faire trempette, matin et après-midi, histoire de «tuer une journée» de Ramadhan caniculaire, est la nouveauté. Dans cette cité du littoral, les magasins ouvrent tardivement leurs portes. A 9 heures, les rideaux sont encore baissés et seules quelques échoppes échappent à ce constat. La vie reprend son cours normal et progressif aux environs de midi où le marché central focalise l'attention des citoyens qui se présentent là, les «yeux plus gros que le ventre». Pour ce mois de pénitence, on a pu constater qu'il y a moins de vendeurs de pâtisseries orientales (zlabia, kalb ellouz…) compte tenu des mesures prises pour organiser cette activité. Les jeunes revendeurs de ces produits se sont pourtant «glissés» dans quelques quartiers pour écouler leur marchandise dans des conditions d'hygiène assez douteuses. Les petits commerçants de fortune ont également fait leur apparition pour vendre toutes sortes d'herbes et de condiments nécessaires à la cocotte. Partager avec les nécessiteux, une règle Au-delà de son caractère familial, le mois sacré est aussi une occasion pour certains d'approfondir leur spiritualité. Ainsi, à l'heure de la rupture du jeûne, beaucoup de fidèles préfèrent se rendre dans les mosquées en prenant avec eux leur f'tour pour le partager avec des nécessiteux, des ouvriers, ou des étudiants. Certains s'y rendent en groupe pour permettre à tous les membres de la famille, notamment aux plus jeunes, de s'imprégner de l'atmosphère de piété qui règne en ces lieux, particulièrement pendant le mois sacré. Même les foyers modestes se sacrifient au cours de ce mois pour présenter un minimum de bienséance en accord avec Ramadhan. Ainsi, de nombreuses familles qui vivent en dessous du seuil de la pauvreté essaient plus ou moins de faire bonne figure durant ce mois sacré. Elles font tout pour dissimuler leur dénuement. Ce qu'il faut cependant souligner, c'est la vague de générosité émanant de la majorité des familles jijelies. De la plus riche à la plus humble, le mot d'ordre est de partager. C'est le cas de cette famille habitant le centre-ville. Chaque jour elle offre des repas complets aux ouvriers qui œuvrent depuis plus de trois mois dans un chantier mitoyen à leur maison. Les familles vivent intensément ce mois de piété. Alors, elles allient spiritualité et vie quotidienne. Pour elles, le spirituel n'empêche pas de festoyer, une caractéristique commune à beaucoup de Jijeliens. Pour eux l'idée directrice de l'islam «dine oua dounya» est vécue dans le sens profond de l'expression. A chacun son passe-temps Côté animation, la vie spirituelle est marquée par une intense activité dans les mosquées, notamment par des prières surérogatoires (tarawih). La direction de wilaya des affaires religieuses et des wakfs a élaboré dans ce contexte un riche programme de conférences, causeries religieuses et de concours de récitation du Saint Coran. Les lauréats seront primés la veille du 27e jour de Ramadhan (Leilat el Qadr), lors d'une veillée officielle dans la grande mosquée «Mohamed Tahar Sahli», au chef-lieu de wilaya. Les cafés ont aussi leurs adeptes pour de longues parties de dominos, de cartes et autres jeux de société. Les cybercafés sont également pris d'assaut par des nuées d'internautes qui gardent pendant des heures les yeux «scotchés» sur les écrans des micro-ordinateurs. Il y a aussi les amateurs des randonnées pédestres le long de la mer pour y écouter le ressac des vagues berceuses, en attendant un nouveau jour. Le changement dicte sa loi jusque dans la façon de préparer ses repas. Une tradition pour les familles de Jijel de ressortir la vaisselle en terre cuite, servant notamment à préparer la chorba ou à faire cuire la galette. Les femmes trouvent durant ce mois l'occasion de concocter des plats traditionnels authentiques et sortent pour cela les marmites en terre cuite que l'on voyait dans les cuisines de nos grand-mères. Selon un commerçant installé au centre-ville, le chaudron en terre cuite rouge qui sert à la cuisson des soupes et autres plats mijotés, est très demandé. Il souligne que la résistance au feu et aux amplitudes thermiques de ces marmites est supérieure aux récipients en pyrex.