C'est avec une longue rétrospective sur l'histoire de notre pays depuis la nuit des temps, intitulé Djeddi (mon grand père) que le poète Ben Mohamed entama, jeudi dans la soirée au Palais de la culture à Alger, son récital poétique, sans «ligne rouge aucune», ni interdit. D'une grande modestie, le poète a tenu à saluer avant son récital des personnes qu'il connaît, en descendant de l'estrade échanger quelques mots avec eux au milieu de la foule. Djeddi est la traduction de la tirade de la célèbre pièce théâtrale Babor Ghreq (Le bateau a coulé) que ce parolier a repris pour toute la symbolique et la dimension historique du pays qu'elle renferme. Pour lui, son grand-père symbolique «une conscience qui ne dort jamais». Cette longue tirade lue, dans un silence olympien observé par l'assistance, d'un certain âge et aimant le verbe du poète. Entrecoupé de gorgées d'eau, ce récital est parti de 1967, l'année où il a écrit des vers sur le mariage et la condition féminine. Par ce geste, il voulait certainement saluer la volonté, le courage, mais aussi le sacrifice et les conditions difficiles de l'Algérienne. Elles étaient, d'ailleurs, nombreuses à venir écouter ce ciseleur du verbe, et auteur de paroles justes et pointilleuses tirées du quotidien, en cette veillée de Ramadhan. Puis c'est autour de ses écrits des années 1970 que le poète s'est attardé, en se permettant même non pas de s'autocensurer, mais de faire l'impasse sur quelques-uns, tant ils étaient nombreux. Ces années marquées par l'émergence d'une conscience sur l'identité amazighe ont inspiré de nombreux artistes, poètes et chanteurs qui avaient donné libre cours, en dépit des conditions très difficiles à leur imagination et leur talent. Cette décennie a été celle des années d'or de la production culturelle. Ben Mohamed cet ancien animateur de la Chaîne II de la Radio nationale, plusieurs fois censuré par «ceux des bureaux supérieurs», comme il aimait décrire ses responsables, achève cette «épopée» par des poèmes sur le mouvement de 1980 à Tizi Ouzou et sur une note d'espoir intitulé Yibwas (Un jour). Comme s'il voulait être chronologique, Ben Mohamed est revenu avec la force de son verbe sur le parcours politique, notamment du pays, en s'arrêtant sur les plus importantes. Ainsi, Yemma (ma mère), Ayeneth (la chose), Adhrouhagh adedjegh thamourth (je pars, laisser le pays) sont autant de poèmes lus et longuement ovationnés par le public. Le dernier poème, après un hommage à Malek Ouary, écrivain et romancier d'expression française décédé en 2001, est aussi une rétrospective sur un autre flash back sur les présidents du pays, en partant de Ben Bella jusqu'à Bouteflika et en passant par Boumediene, Bendjedid et les autres. Une fois de plus, cet homme de culture a su capter et amener avec lui son assistance, qui même si elle apprécie la portée du verbe de Ben, s'est réjouie de retrouver sur scène celui qui a été comme en témoigne M'hand Djeloui, docteur d'Etat en littérature amazighe, derrière l'internationalisation de la chanson kabyle. Les paroles de Vava Inouva écrites par Benmohamed et chantées par Idir traduites en plusieurs langues ont permis au monde de découvrir la chanson kabyle. A côté d'Idir, Nouara, Djamel Alem, Takfarinas et Matoub Lounes ont chanté les paroles du poète qui ne pouvait le faire lui-même, mais qui était persuadé que ses vers étaient destinés à être chantés comme l'a souligné M. Djeloui qui a qualifié le poète de celui qui «évolue en silence». Pour M. Djeloui, la poésie de Benmohamed qui a grandement contribué à l'évolution de la chanson kabyle a fait l'objet de recherches et d'études dans les universités, car elle lui a aussi donné une autre dimension. Celle de la moderniser et de la mettre au diapason de la poésie mondiale. «Benmohamed qui se disait beaucoup occupé à rassembler ses poèmes dans un recueil, a promis de le faire très prochainement. Pas pour gagner de l'argent, mais pour le mettre à la disposition du citoyen», a souligné le docteur.