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Les origines des relations historiques algéro-sud-africaines
De Bandung à Oujda
Publié dans Le Temps d'Algérie le 21 - 05 - 2012

«Il est un temps dans la vie de toute nation où il ne reste que deux choix : se soumettre ou se battre.» La documentation des relations historiques entre l'Algérie et l'Afrique du Sud, forgées durant la lutte contre le colonialisme et l'impérialisme en Afrique, a toujours été considérée comme une priorité par l'ambassade d'Afrique du Sud à Alger.
En effet, lorsque l'ambassade a entrepris ce projet, on était conscient du fait que ce ne serait pas un exercice ponctuel. Plutôt, on savait pertinemment que cette tâche allait être un processus continu qui se développera avec le temps. L'idée se renforçait davantage lorsqu'on continuait de rencontrer et d'interviewer des figures emblématiques des deux côtés et qui étaient sur le devant de la scène dans la création de ces relations.
Nous sommes également conscients que les gardiens de l'information sur les premiers contacts sont à un âge avancé. De ce fait, le besoin de documenter l'histoire de ces anciens combattants encore parmi nous devient une urgence.
Telle une mise en garde nécessaire, il convient de préciser que cette contribution ne se veut pas une narration des relations entre l'Algérie et l'Afrique du Sud.
Un sujet aussi important nécessiterait plusieurs mois de recherches, du fait que des bribes d'informations (certaines en arabe, d'autres en français) sur le sujet sont éparpillées dans les archives et devraient être rassemblées et traduites.
Par conséquent, cette contribution se présente comme une appréciation de ces deux géants de l'Afrique, situés à chaque extrémité du continent.
Depuis que nous avons commencé à documenter les relations historiques entre les deux pays, nous avons eu la chance de rencontrer les anciens combattants algériens qui étaient là dès la première heure, ceux qui avaient des contacts directs avec Nelson Mandela et Robert Resha, lorsque les responsables du mouvement de Libération sud-africain visitaient le mouvement de libération nationale algérien en mars 1962.
Nous citons parmi eux Cherfi Djamel Belkacem, Nouredine Djoudi et Djelloul Melaïka.
Pour s'écarter un peu de la question principale, il est important de relever que l'Algérie post-coloniale et son mouvement d'avant la libération, le Front de libération nationale (FLN), ont principalement été en contact avec le Congrès national africain (ANC).
Toutefois, il convient de souligner que l'ANC n'était pas l'unique mouvement de libération en Afrique du Sud à l'époque. En plus de l'ANC, il y avait le Congrès panafricaniste (PAC) qui s'était détaché de l'ANC le 6 avril 1959.
Suite à l'interdiction de l'ANC et du PAC, ce dernier avait alors envoyé Patrick Duncun, son représentant à Alger, en 1964. L'Algérie était un haut lieu des mouvements de libération d'Afrique et d'ailleurs.
Cette réalité a, en fait, incité le révolutionnaire de Guinée-Bissau, Amilcar Cabral, à appeler l'Algérie la Mecque des révolutionnaires. Parlant couramment le français, Duncan a réussi à obtenir de l'Algérie des moyens pour l'instruction de 100 guérilleros.
En outre, Duncan publiait le bulletin du PAC en français. Il n'est resté en poste à Alger qu'une seule année.
L'intellectuel révolutionnaire Jabulani Mzala Nxumal avait dit une fois : «Les pages blanches ne devraient pas être autorisées dans l'histoire.»
Dans ce contexte, la documentation des relations historiques entre l'Algérie et l'Afrique du Sud ne sera pas complète sans l'examen de la contribution propre du PAC à ces liens que nous célébrons aujourd'hui.
L'objet de cette contribution n'est pas de voir cet aspect dans le détail.
Toutefois, et afin de rendre justice à ce sujet important, nous puisons dans les archives de manière à comprendre toute la complexité des origines des relations algéro-sud-africaines.
Tout récemment, nous avons eu la chance d'interviewer d'autres figures emblématiques telles que le premier Président de l'Algérie indépendante, Ahmed Ben Bella, et le Docteur Chawki Mostefai qui avaient présenté à Mandela et Resha la lutte de libération algérienne et lui avaient appris les fondamentaux d'une lutte armée d'un point de vue stratégique et tactique.
A l'époque, l'armée populaire de libération de l'Afrique du Sud Mkhonto we Sizwe (la lance de la nation) ou MK venait d'être formée le 16 décembre 1961 avec Mandela comme premier chef d'état-major.
Vu les similitudes entre les luttes de libération de l'Afrique du Sud et de l'Algérie, Mandela a été chargé par son organisation, l'ANC, d'aller en Algérie entre autres pays, afin d'assurer une instruction militaire aux recrues du MK ainsi que l'aide matérielle, en plus de l'instruction théorique sur la guérilla qu'il a reçue du Docteur Mostefaï. Dans son autobiographie «La longue marche vers la liberté», Mandela raconte sa rencontre avec le Docteur Mostefaï.
Mandela mentionne que le Docteur Mostefaï lui a raconté comment le FLN avait cru au début qu'ils allaient vaincre l'armée coloniale française, et que plus tard, ils se sont rendu compte qu'une victoire purement militaire était impossible.
Le Docteur Mostefaï avait expliqué à Mandela que la guérilla n'était pas censée réaliser la victoire militaire mais plutôt libérer les forces politiques et économiques qui pourraient mettre l'ennemi à terre.
Le Docteur Mostefaï a conseillé à Mandela de ne pas négliger l'aspect politique de la guerre, tout en adoptant l'option militaire.
Dans ses mémoires récemment publiées «conversations avec moi-même», Mandela donne son impression sur les combattants algériens en général et sur le Docteur Mostefaï en particulier, comme on le constate dans cette conversation avec Richard Stengel :
Mandela : Mostefaï ? Oui, oui, il était le chef de la délégation algérienne au Maroc.
Stengel : Exact. Il vous avait longuement parlé, n'est-ce pas ?
Mandela : Oui, bien sûr, pendant plusieurs jours.
Stengel : Exact.
Mandela : On a passé en revue la révolution algérienne. C'est un homme génial, je peux vous le dire. Peu de choses m'ont autant inspiré que les conseils du docteur Mostefaï.
Stengel : Ah bon, comment ça ? Pourquoi ?
Mandela : Il nous racontait, vous savez, l'histoire de la révolution algérienne. Les problèmes auxquels ils ont fait face. Comment ils ont commencé. Ils ont commencé en pensant qu'ils allaient vaincre les Français sur le champ de bataille, inspirés par ce qui s'est passé au Viêtnam. Diên Biên Phu... C'était vraiment intéressant.
Stengel : Et pensiez-vous que ceci allait être un modèle pour le MK en Afrique du Sud ?
Mandela : Bien sûr. C'était une information sur la base de laquelle on pouvait élaborer nos propres tactiques.
Il apparaît bien de ce dialogue que le lancement de la lutte armée sud- africaine a grandement bénéficié des leçons apprises de la révolution algérienne et racontées par le docteur Mostefaï. En outre, la contribution théorique du mouvement algérien de libération nationale au mouvement armé de libération nationale sud-africain était importante durant cette période.
Cette contribution est succinctement rapportée par Tom Lodge dans son analyse des liens de Mandela avec le FLN et son aile militaire, l'Armée de libération nationale (ALN).(1)
Aucun doute que cette contribution reconnue par Mandela ait joué un grand rôle dans la politique sud- africaine. Il est à rappeler que la lutte armée était l'un des piliers utilisés par le mouvement national sud-africain pour ramener le régime de l'apartheid à la table des négociations, ceci, en plus de la mobilisation massive des forces sud-africaines réprimées et progressistes, les sanctions internationales ainsi que la campagne clandestine qui a été menée pour galvaniser la majorité des africains opprimés.
Compte tenu de ce qui précède, lorsque le régime de l'apartheid a finalement fléchi et opté non sans hésitation pour la table des négociations, ce n'était pas alors surprenant de voir l'ANC, conduit par Mandela, suspendre la lutte armée.
On peut donc audacieusement affirmer que l'apport du mouvement algérien de libération nationale a joué un rôle essentiel en orientant cette sagesse.
Le soutien indéfectible de l'Algérie à la lutte sud-africaine contre l'apartheid a été démontré encore une fois par l'expulsion par l'Algérie de l'Afrique du Sud de l'apartheid des Nation unies en 1974.
Ce tournant historique dans la lutte sud-africaine a eu lieu lors de la présidence algérienne de l'assemblée générale des Nations unies (UNGA) conduite par le Président Abdelaziz Bouteflika qui était à l'époque ministre des affaires étrangères de l'Algérie.
Cette décision était importante du fait qu'elle avait renforcé la lutte contre le régime de l'apartheid et assuré son isolement du reste du monde.
Dans ce contexte, l'ambassade conduite par l'ambassadeur Josef Kotane a rendu visite au docteur Mostefaï afin de le remercier pour sa contribution à la lutte de libération sud-africaine même dans sa phase la plus difficile.
Cette rencontre a également été une occasion pour l'ambassade d'obtenir un meilleur aperçu de cette période.
Aussi, l'ambassade, encore conduite par l'ambassadeur Kotane, s'est rendue chez le légendaire Président Ahmed Ben Bella (son domicile était tout près de notre résidence officielle) afin de le remercier encore une fois pour sa contribution à la libération de l'Afrique du Sud. Dans cette rencontre, le Président
Ben Bella nous a raconté des moments forts qu'il a eus avec Mandela et Resha en 1962.
Il a précisé qu'il les a rencontrés la première fois lors d'un défilé militaire à son honneur au lendemain de sa sortie de prison à la base Ben M'hidi.
Sur une note plus détendue, Ben Bella a raconté comment Mandela lui rendait visite à son domicile à Alger où ils savouraient la cuisine traditionnelle algérienne que Mandela appréciait beaucoup, et en particulier le couscous.

Raison d'être des relations algéro-sud-africaines : un contexte spécial
Les commentateurs des relations algéro-sud-africaines affirmeront par erreur que ces relations ont été établies lors de la visite de Mandela et Resha à Alger en 1962. C'est pourquoi il faudrait faire la lumière sur les origines de ces liens historiques. Il est certain, comme nous allons le découvrir, qu'il y avait eu des contacts antérieurs entre les deux parties ayant favorisé la visite de Mandela et Resha.
La Conférence de Bandung 1955Une recherche approfondie dans les archives révèle, en fait, que le premier contact important entre les représentants des mouvements de libération sud-africain et algérien, à savoir l'ANC et le FLN, a eu lieu à Bandung (Indonésie), lors de la conférence Asie-Afrique en février 1955.
Dans ce rassemblement important donc, le mouvement de libération sud- africain Alliance Congrès était représenté par Moses Kotane, alors secrétaire général du parti communiste sud-africain (SACP) et Maulvi Cachalia, dirigeant au Congrès indien sud-africain. En réalité, avant d'arriver à Bandung, Kotane et Cachalia ont rendu visite à Jamel Abdennasser, alors Président d'Egypte. C'était en Egypte qu'ils eurent leurs premiers contacts avec la commission nord- africaine des exilés du Maroc, d'Algérie et de Tunisie représentant la cause de l'indépendance de leurs pays à l'étranger.
Plus tard, au retour de Bandung, Moses Kotane notera entre autres un article publié dans The New Age Newspaper sur cette importante visite. (2)
Comme on peut le comprendre des informations données par Matthews, le mouvement de libération sud- africain voyait en l'Algérie postindépendance un partenaire stratégique dans la lutte pour la libération depuis 1962, notamment à cause des expériences semblables dans la recherche à éliminer la répression nationale.
Par conséquent, ces premiers contacts ont permis l'arrivée des combattants du MK à Alger pour recevoir une instruction militaire. Parmi les premières recrues à venir, il y avait des cadres de renom tels que Joe Modise qui est par la suite devenu commandant du MK et le premier ministre de la défense d'Afrique du Sud post-apartheid et Raymond Mhlaba, lui-même ancien commandant du MK, par la suite emprisonné sur l'île Robben pour trahison. Ces cadres ont ouvert la voie à un nombre de recrues tels Peter Mfene (Teddy Ncapayi), Amos Motaung (Phillip Habanyane), James Radebe (James Thabethe), Sly Plate (Sly Pilane),
Paul Majoe (Dan Mokhatle), Thami Sindelo (Thami John), Barney Pitso (Leonard Pitso), William Ntuli (Willy Williams, Peter Ngezi (Ngizi Peyise), Reddy Mampane (Reddy Mazimba), Sydney Soate (Sydney Molefi), James Mokheti (James Nato), John Zulu (Droom Zulu), Alfred Willie Mafamane, Fish Mekgwe, Zoni Selwane, Wellington Nziba, Mark Jones et Martin Skhosana.
En outre, peu après l'indépendance de l'Algérie en juillet 1962, la mission de l'ANC était ouverte à Alger, conduite par Robert Resha, qui a été tout de suite rejoint par Johnston Mfanafuthi 'Johnny' Makhathini.
En 1966, quand Robert Resha quitta l'Algérie, il fut remplacé par Makhathini. Godfrey Josiah Madileng Motsepe est ensuite suivi de Thamsanqa John aka 'Thami Sindelo'.
M. Victor Moche était le dernier représentant en chef avant l'instauration de relations bilatérales formelles entre une Afrique du Sud démocratique et l'Algérie.
Un partenariat stratégique
Alors que l'Algérie s'apprête à célébrer ses 50 ans d'indépendance (5 juillet 2012) et l'ANC ses 100 ans d'existence (8 janvier 2012), ce partenariat est au plus haut niveau, du fait que les deux pays continuent de travailler en étroite collaboration pour une Afrique pacifique, démocratique, non sexiste, non raciale et prospère, et de ce fait contribuant à une meilleure vie pour tout le monde. Cette interaction s'est illustrée par la collaboration bilatérale étroite entre les deux pays à travers le cadre de la commission binationale algéro-sud africaine dont les travaux sont axés sur les domaines d'interaction suivants :
l Qualité de vie
l Relations d'individu à individu
l Energie et infrastructure
l Ressources naturelles
l Défense, sécurité,
l Commerce
En outre, l'Afrique du Sud et l'Algérie travaillent main dans la main pour construire une Union africaine plus forte par ses structures. Cette interaction s'étend également au plan international où les deux pays, nourris par leur histoire et leur destin communs ainsi que par les principes de l'internationalisme œuvrent sans relâche pour le triomphe des causes justes et pour l'éradication des conflits armés, des inégalités économiques, du réchauffement climatique, du commerce déloyal, des maladies, de l'impérialisme, du racisme, du sexisme et de l'exploitation. Que ce partenariat fraternel et stratégique dure de longues années !
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(*) Ambassadeur d'Afrique du Sud
Traduit de l'anglais par :


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