L'action diplomatique du front de libération nationale (FLN) pendant la guerre de libération et les déserteurs français durant cette lutte ont été parmi les principales communications présentées hier lors du colloque du quotidien El Watan à Riad El Feth (Alger) sous le thème «Cinquante ans après l'Indépendance : quel destin pour quelle Algérie ?» Parmi les sujets aussi importants les uns que les autres, celui de Matthew Connelly, historien et professeur à la Colombia University, qui a écrit «L'arme secrète du FLN, comment de Gaulle a perdu la guerre d'Algérie». Dans sa communication, l'invité au colloque a tenté de répondre à la question : comment l'Algérie avait gagné la guerre par la voie de la diplomatie ? Il a indiqué avoir consulté des archives de la guerre et avoir été surpris de découvrir que l'action diplomatique était au cœur du dispositif du FLN. Ainsi, dès 1948, Aït Ahmed, un des chefs historiques de la révolution, avait écrit un rapport dans lequel il est souligné qu'«aucun autre peuple n'a affronté autant d'obstacles pour l'indépendance». Il préconise une stratégie qui met l'accent sur le soutien étranger afin d'isoler la France de ses alliés. En ce sens, il invite les nationalistes à chercher un équilibre entre un soutien des pays socialistes et des pays occidentaux. Cette stratégie fait l'unanimité des militants du PPA puis du FLN. Le chercheur a constaté que le 1er Novembre 1954 avait une profondeur stratégique et que par cet appel, les combattants voulaient internationaliser la question algérienne, réaliser l'unité nord-africaine, donner une tribune au peuple algérien. La France va vite comprendre que la diplomatie est un danger bien plus grand que les actions armées, et tentera d'entraver l'inscription de la question algérienne à l'ordre du jour de l'Assemblée des Nations unies. Aussi, chaque exploit des moudjahidine va susciter un soutien des pays étrangers. Le chercheur parle de phénomène de résonance et de réciprocité pour expliquer cet état de fait, car la perception des forces françaises va dépendre de ces évènements extérieurs, surtout qu'à une période donnée, le FLN va mettre la priorité sur son action diplomatique. La bataille d'Alger pour gagner le combat à l'ONU Pour illustrer sa théorie, il précisera que le FLN a lancé la bataille d'Alger pour avoir une tribune à l'ONU et gagner le combat à l'Assemblée générale. Le FLN va s'entourer de journalistes, de cinéastes, de photo-journalistes pour montrer au monde les atrocités commises par l'occupant, s'appuyer sur les rapports des droits de l'homme, des ONG, dans le but d'avoir une plus grande visibilité et que la cause algérienne soit entendu de tous. «En somme, les responsables du FLN veulent gagner la bataille sur le front de l'opinion mondiale et des lois internationales liées notamment aux droits de l'homme» a-t-il relevé. Pour contrecarrer les visées internationalistes du FLN, la France fera savoir que cette guerre est une sorte de croisade, la défense de la civilisation contre le djihad. De hauts responsables français avertissaient en 1958 que «la France est face à un Diên-Biên Phu diplomatique». Pour optimiser son action diplomatique, le FLN va créer le gouvernement provisoire (GPRA). La Chine sera le premier pays à le reconnaître avant d'être suivie par d'autres. Le GPRA sera accueilli dans de nombreuses capitales mondiales. Aussi, les chefs de l'ALN font en sorte de ne pas porter atteinte à la réputation du GPRA car ils savent que cela aurait une incidence sur la diplomatie. Par ailleurs, le chercheur note un paradoxe. «Plus l'armée française confortait ses positions et démantelait des réseaux, plus elle était amenée à faire des concessions pour obtenir la paix», a-t-il souligné en notant que «c'est l'ONU qui aura détaché la France de l'Algérie et ce n'est pas la France qui a donné l'indépendance à l'Algérie, mais c'est l'Algérie qui a donné l'indépendance à la France». En conclusion, le chercheur se demande pourquoi l'action armée prime sur la diplomatie dans l'écriture de l'histoire de l'Algérie. Pour lui, cet état de fait est dommageable car cette lutte diplomatique s'inscrit dans le cadre des relations internationales. Il considère que l'une des plus grandes réalisations du peuple algérien est d'avoir bousculé les lignes, changé les règles des relations internationales. Il cite les exemples de Arafat et de Mandela, qui ont compris les aspects positifs de la lutte poltique. «La conscience du monde peut aussi mettre fin à la guerre» a-t-il dit. Une guerre niée par la France Tramor Quemeneur, enseignant à l'Université Paris VIII, a traité des insoumissions, les refus d'obéissance et les désertions de soldats français pendant la guerre d'Algérie, thème de sa thèse en 2007. Auteur de nombreux ouvrages dont «photographies d'appelés pendant la guerre», il s'est attelé à étudier les refus des Français à participer à la guerre et les liens que peuvent avoir ces refus avec le colonialisme ou l'anti-colonisation. Il a relevé qu'au début, la guerre d'Algérie était niée par une bonne partie des Français de la métropole, avant d'être une réalité par le biais notamment de l'action du FLN en France, du soutien des intellectuels français. Il dénombre trois catégories de personnes ayant refusé la guerre. Les insoumis sont au nombre de 11 000 qui ne se sont pas présentés le jour de l'appel et sont condamnés entre un mois à un an d'emprisonnement. Il a expliqué que l'antimilitarisme animait une bonne partie d'entre eux. Les bagnes militaires vont cristalliser le refus de bon nombre de ces personnes. L'autre catégorie qui avait dit non est liée au refus d'obéissance. Selon lui, cette donnée est inquantifiable car c'est le refus d'obéir à un moment donné. La punition n'a pas de résonance dans l'espace public puisqu'elle se produit à huis clos dans un tribunal militaire. Le chercheur souligne cependant que ces personnes ne sont pas forcément contre la guerre, mais il admet qu'une évolution dans ces refus va basculer vers un refus de participer à la guerre. 300 manifestations en France contre la guerre La troisième catégorie est celle des objecteurs de conscience. Il en dénombre environ 450. Ces derniers ont un lien avec l'anticolonialisme et ont puisé dans la lutte contre l'esclavagisme et la lutte pacifiste de Ghandi. La quatrième catégorie, ce sont les déserteurs. Il en dénombre environ 900. Ce sont les soldats qui quittent illégalement leurs unités. Ils sont condamnés à de fortes peines pouvant aller jusqu'à la peine de mort. Concernant la guerre d'Algérie, il note que peu de soldats ont déserté sur place mais plutôt avant de partir, par peur pour leur vie. Ces personnes n'ont pas de lien avec la lutte anticolonialiste. Il indique que comparé au nombre d'appelés, 1, 2 million, le chiffre des déserteurs peut paraître dérisoire, mais il précise qu'il a été manipulé afin de faire croire que la guerre est acceptée par tous. Aussi, il nous indique que trois périodes structurent le refus de participer à la guerre. Dès 1955, l'armée française comprend que l'on est dans une période insurrectionnelle, et août 55 constitue un tournant dans la guerre. Cette période, qu'il a appelée «le temps des rappelés», correspond au décret publié dans la précipitation en août 55 du «rappel et maintien sous les drapeaux». Ainsi, beaucoup de soldats qui étaient retournés à la vie civile vont devoir reprendre du service. Pour certains, cette mesure passe mal et à partir de ce moment, différentes manifestations vont se dérouler en France, avec des soldats qui sont sous les drapeaux et donc dans l'interdiction de manifester. Il citera plusieurs manifestations, dont celle de septembre à novembre 1955 à la gare de Lyon où 600 personnes ont bloqué les trains. Les soldats finiront par être envoyés en Algérie par avion. Par ailleurs, lorsque Guy Mollet est nommé président du Conseil, il met en place dès février 1956 une mesure de maintien des rappelés. La mesure passe mal mais l'armée est préparée aux émeutes. Le ministère de l'Intérieur reconnaîtra qu'il y a eu 300 manifestations et qu'un train sur 5 a eu des problèmes pour circuler. En second temps, le chercheur aborde des trajectoires personnelles telles que celle de Henri Maillot, célèbre déserteur, qui créera le mouvement «jeunes résistants» qui accueillera les déserteurs. Puis il aborde le réseau des porteurs de valise, le plus connu étant le réseau Janson. Au printemps 60, ces réseaux sont découverts. Un débat va s'ouvrir en France sur la question des déserteurs qui verra son apogée avec le manifeste des 121 qui reconnaît le droit à la désobéissance civile. Enfin, le chercheur nous indique qu'une troisième voie s'est formée au cours des années 60 à travers le mouvement des non-violents. Ces personnes mettent en place des actions civiles, et manifestent contre la torture. Leur victoire sera la création d'un statut des objecteurs de conscience en 1963. A l'indépendance, les déserteurs qui ont été arrêtés sont restés en prison pour certains d'entre eux jusqu'en 1963.