Le Temps d'Algérie : Qu'y a-t-il de changé dans votre vie depuis votre mémorable consécration aux Jeux olympiques de Londres ? Taoufik Mekhloufi : Un grand changement s'est produit dans ma vie. Je suis passé à un statut de star. Je suis un peu perdu. Il me faut un peu de temps pour retrouver mes repères. Une chose est certaine, je reste comme j'étais avant mon sacre historique à Londres, je suis toujours le même. J'essaye de gérer comme je peux ce changement et ce passage au rang de star. Comment avez-vous vécu la finale du 1500 m à Londres et qu'avez-vous ressenti avant le coup d'envoi de la course ? J'avais un seul objectif en tête, gagner la médaille d'or et devenir champion olympique. J'étais bien concentré sur ma course. J'ai tout donné sur la piste. N'aviez-vous pas peur de ne pas disputer cette finale après votre suspension par le Comité olympique international ? Je n'étais nullement perturbé. Tout le monde s'est affolé, sauf moi. Certains me disaient que ce n'est pas la fin du monde de rater une finale olympique et que c'est une question de destin. J'ai vécu le plus normalement du monde cet épisode. Je ne me suis pas affolé. J'étais prêt à tout. Je suis croyant et je me fie au mektoub. L'épisode de votre suspension vous a donné plus de volonté et de hargne, n'est-ce pas ? C'est certain. Je ne m'attendais pas à vivre une telle mésaventure. On m'a accusé d'avoir triché en abandonnant la course du 800 m, alors que je souffrais réellement d'une blessure au niveau du genou. Si j'avais forcé, ma blessure se serait aggravée et j'aurais tout perdu. Ce qui s'est produit la veille de la finale du 1500 m m'a donné encore plus de force et de détermination. La concurrence était rude avec l'armada kenyane. Les athlètes du Kenya voulaient vous enfermer et vous barrer la route, mais vous avez déjoué de fort belle manière leur piège. C'était le tournant de la finale, n'est-ce pas ? J'ai vécu la même chose au meeting de Monaco. Tous les athlètes essayent de bien se placer dans les 500 derniers mètres, surtout lorsqu'il y a une course très ouverte comme celle de cette finale des JO. Il faut être très vigilant et gérer intelligemment sa course. J'étais très averti. Mon entraîneur m'a mis déjà en garde et m'a donné des consignes pour bien me placer avant la dernière ligne droite. C'est ce que j'ai fait. Pourquoi vous êtes-vous engagé sur le 1500 et le 800 m ? Je voulais courir sur les deux distances. Je me suis senti prêt à décrocher des médailles dans les deux spécialités. Mais lorsque j'ai vu le programme des courses, je me suis dit qu'il fallait miser plus sur le 1500 m. Les dates étaient très rapprochées et je devais sacrifier le 800 m où le Kenyan David Rudisha était archi-favori et intouchable. Lorsque j'ai battu le Kenyan Kioprop dans les séries, j'étais très confiant et sûr de remporter la finale du 1500 m. Le chemin était très ouvert pour une consécration olympique. Kioprop était le grand favori et j'ai réussi à le vaincre. Le roi était déchu et la course pour le trône était ouverte. Votre finish nous a rappelé celui de Noureddine Morceli. Avez-vous épousé le style de Morceli ? Morceli était mon idole et l'idole de tous les jeunes Algériens. C'est un grand champion et je lui voue un grand respect. J'ai beaucoup travaillé la vitesse avant les Jeux olympiques de Londres. Le fait de courir le 800 m m'a beaucoup aidé aussi. Lorsque je prends mon élan, je termine toujours en force mes courses. Deux prometteurs athlètes algériens, Larbi Bouraâda et Zahra Bouras, ont été suspendus pour dopage avant les JO. N'avez-vous pas craint de subir le même sort ? Je tiens d'abord à dire que Larbi Bouraâda et Zahra Bouras sont innocents. Je les connais bien. Bouraâda est un grand ami. Les deux athlètes n'ont rien à voir avec le dopage. C'est inimaginable. C'était un coup dur pour eux et pour l'athlétisme algérien. Bouaraâda était parmi les favoris du décathlon aux JO et Bouras avait aussi des chances sur le 800 m. Personne n'est à l'abri du dopage. Une suspension pour dopage, je la compare carrément à la mort. C'est terrible. Avant les JO, vous avez décidé de changer d'entraîneur. Peut-on en connaître les raisons ? J'ai pris tout seul la décision de changer d'entraîneur. Personne ne m'a influencé. J'ai senti que je stagnais avec Amar Brahmia. Je n'ai pas progressé énormément et je sais que j'ai des qualités pour faire mieux. J'étais aussi très fatigué. Je faisais tout seul, mais je ne nie pas que la Fédération algérienne d'athlétisme et Brahmia m'ont également aidé. Avez-vous informé Brahmia de votre décision de changer de coach ? Je lui ai envoyé un message. Je l'ai remercié pour tout ce qu'il avait fait pour moi et je lui ai exprimé mon désir de changer de cap. Je n'ai aucun problème avec lui. Je ne nie pas qu'il a contribué lui aussi à ma réussite. Chacun des trois entraîneurs que j'ai connus dans ma jeune carrière, en l'occurrence Ali Redjimi, Amar Brahmia et le Somalien Aden Jama, ont contribué à mon sacre olympique. Il m'était difficile de changer d'entraîneur et de groupe, mais c'était inévitable. Comment était établi le contact avec votre nouvel entraîneur ? C'est l'athlète qatari Hamza Derouiche qui m'a proposé à cet entraîneur somalien. Cela s'est fait via le réseau social Facebook. J'ai reçu une invitation de la part de Hamza Derouiche et je l'ai accepté comme ami. Je l'ai informé de ma situation ici en Algérie et il m'a proposé alors de rejoindre son groupe. Je lui ai donné mon accord et il a suggéré mon nom à Souleymane Aden Jama qui a quelque peu hésité au départ à me prendre, car je n'étais pas un athlète très connu ayant déjà fait ses preuves. Je me sens bien, en tout cas, dans le nouveau groupe composé d'athlètes de plusieurs nationalités. Avez-été sollicité par d'autres entraîneurs après votre sacre olympique ? Non, je pense qu'il serait idiot de me solliciter après un sacre olympique. Il serait idiot de ma part aussi de changer de coach. On ne change pas une équipe qui gagne. Vous êtes très sollicité après votre titre olympique. Arrivez-vous à vous organiser ? Je suis effectivement sollicité de partout. Depuis mon retour au pays, je n'ai pas mangé chez moi et je n'ai pas dormi assez. Tout le monde veut m'inviter chez lui, surtout à Souk Ahras. Je ne peux pas circuler librement. Je suis surtout touché par les sollicitations des petits enfants qui tiennent à m'embrasser. Je sens que j'ai fait quelque chose d'exceptionnel pour eux. Je vais reprendre les entraînements dans un mois et je vais me consacrer entièrement au terrain. Après le sacre de Londres, je n'ai pas le droit de décevoir mes compatriotes. Je dois être à la hauteur des attentes du peuple algérien en général. Quels sont vos prochains objectifs ? Mon prochain objectif c'est les championnats du monde d'athlétisme qui se dérouleront l'été prochain à Moscou. Je vise le doublé, soit le 800 m et le 1500 m. Je ferai le maximum pour remporter les deux titres. La Fédération algérienne va saisir l'IAAF pour que les dates des deux spécialités ne soient pas très rapprochées. Allez-vous vous attaquer au record du monde du 1500 m ? Il faut allez crescendo. Je suis encore loin du record que détient El Guerroudj, mais je ferai le maximum pour le battre. Je tiens à remercier El Guerroudj pour son soutien lors des derniers JO de Londres. El Guerroudj vous a-t-il donné des conseils avant la finale ? Oui, il m'a conseillé d'être complètement effacé et réservé pour évacuer la pression. Il ne voulait pas que tous les regards soient braqués sur moi. Qui est la première personne qui vous a contacté après votre sacre olympique ? C'est ma mère. Je discute toujours avec ma mère avant et après mes courses. Elle est mon porte-bonheur. Comptez-vous garder votre titre olympique aux JO de 2016 ? Oui, j'aspire à un second titre olympique en 2016. J'aurai alors 28 ans, soit l'âge de la maturité. Je ferai tout pour offrir à mon pays un autre titre olympique. Outre l'athlétisme, avez-vous pratiqué une autre discipline ? J'aime jouer au football comme tous les jeunes Algériens. Je jouais toujours des matches avec mes amis à Souk Ahras. Quelles sont vos équipes préférées sur le plan national et international ? J'aime bien le jeu du FC Barcelone, la seule équipe à garantir le spectacle, avec un joueur exceptionnel comme Messi. Je ne rate pas les Clasicos entre le Barça et le Real. C'est les seuls matches que je vois en entier. Je n'arrive pas à rester pendant des heures devant le petit écran. Même les films, je ne les vois jamais en entier. J'ai hâte de voir la fin et je fais toujours avancer le film. Sur le plan national, je ne supporte aucune équipe de football. Je suis par contre un fan de l'équipe nationale. Vos contacts avec Sonatrach ont-ils abouti ? Rien n'est conclu encore, mais c'est juste une question de temps. Je serai bel et bien sous la bannière de Sonatrach qui n'est plus à présenter. Pouvez-vous lancer un message à la jeunesse algérienne ? Je demande à mes compatriotes d'avoir confiance en eux. Rien n'est impossible dans la vie. Il faut juste avoir la volonté, le courage et faire des sacrifices pour réussir. Les jeunes Algériens sont doués et ils peuvent réussir comme moi.