L'Histoire est omniprésente dans quatre des principaux films qui seront en lice dimanche pour la 85e édition de la cérémonie des Oscars. Histoire immédiate, avec le "Zero Dark Thirty" de Kathryn Bigelow, le récit de la traque et de l'élimination d'Oussama ben Laden dans la nuit du 1er au 2 mai 2011 à Abbottabad, au Pakistan. Histoire un peu plus ancienne pour "Argo", le film de Ben Affleck où un agent de la CIA se faisant passer pour un producteur hollywoodien exfiltre six diplomates américains réfugiés à l'ambassade du Canada à Téhéran en pleine révolution islamique. "Lincoln", le biopic de Steven Spielberg, et "Django Unchained", le western que Quentin Tarantino situe juste avant la Guerre de Sécession, plongent un peu plus loin dans les racines des Etats-Unis, dans le combat contre l'esclavagisme et la guerre du Nord contre le Sud. "C'est une année intéressante du fait de ces films qui suscitent la réflexion et qui présentent un semblant de réalité. Un regard sur nos racines et sur notre avenir, qui conduit les gens à réfléchir", note Pete Hammond, éditorialiste du site professionnel Deadline.com. Les films en lice cette année offrent un contraste saisissant avec l'édition 2012 qui avait consacré "The Artist", la comédie muette en noir et blanc du Français Michel Hazanavicius avec Jean Dujardin et Bérénice Béjo. "The Artist" était une déclaration d'amour à l'âge d'or du cinéma hollywoodien. Cette année, entre terrorisme, esclavage, guerre et politique, le palmarès risque fort de consacrer un film en quête de sens dans une époque troublée et de leçons à tirer pour l'avenir. PROBLEMATIQUES MODERNES TRANSPOSEES DANS LE PASSE "Lincoln", le récit que Steven Spielberg consacre à Abraham Lincoln (Daniel Day-Lewis) et à ses efforts incessants pour convaincre le Congrès d'abolir l'esclavage en 1865, a trouvé un écho dans les affrontements politiques en cours aujourd'hui à Washington. "Ce film, souligne Robert Thompson, qui enseigne les cultures populaires à la Syracuse University, souligne combien il est difficile dans une république démocratique comme la nôtre de faire avancer les choses, et ce que cela requiert en demi-tours, en marchandages et en négociations. L'idée de se saisir de ces problèmes très modernes et de les transposer dans ce passé historique et noble est, de manière étrange, très réconfortant." Pas de réconfort à attendre en revanche de "Django Unchained", sorte d'hommage au western spaghetti truffé d'humour noir qui conte l'émancipation d'un esclave noir (Jamie Foxx)guidé par un tueur à gages allemand (Christoph Waltz). Le huitième long métrage de Tarantino, lauréat de la palme d'or en 1994 à Cannes pour "Pulp Fiction", a suscité la colère de Spike Lee, l'un des réalisateurs afro-américains les plus respectés, qui parle d'un affront aux ancêtres de sa communauté. "L'esclavage aux Etats-Unis n'était pas un western spaghetti à la Sergio Leone, c'était un holocauste", a-t-il dénoncé. Si le film a divisé les Noirs d'Amérique, il a aussi séduit en salle (150 millions de dollars de recettes pour la seule Amérique du Nord) et parmi les membres de l'Academy of Motion Picture Arts & Sciences, qui l'a retenu dans cinq catégories, dont celles du meilleur film et du meilleur réalisateur. PROVOQUER LE DEBAT Aucun film n'a plus divisé les Américains cette année que le "Zero Dark Thirty" de Kathryn Bigelow, distribué en salles moins de deux ans après la mort d'Oussama ben Laden tué dans un raid des commandos de l'US Navy SEALS au Pakistan. Des responsables politiques et des associations ont accusé la réalisatrice d'avoir fait l'apologie de la torture, dont la place est prépondérante dans la traque du chef d'Al Qaïda. Dans leur campagne avant les Oscars, les promoteurs du film l'ont présenté comme "le film ayant provoqué le plus de discussions de l'année". Son scénariste, Mark Boal, a expliqué que l'intention de "Zero Dark Thirty" était de provoquer les Américains, de les amener à poser des questions. "C'est une histoire qui parle de notre époque, de notre nation et de notre rôle dans le monde", a-t-il dit ce mois-ci lors d'un discours à la Loyola Marymount University de Los Angeles. "Il contribue au débat public sur notre gouvernement et sur ses actions." Ben Affleck, réalisateur et acteur principal d'"Argo", considère lui que son film est "tristement d'actualité". Même si l'action se déroule dans l'Iran révolutionnaire de 1979, il relève que les relations entre les Etats-Unis et l'Iran sont toujours marquées par des tensions incessantes. Ces quatre films se sont tous heurtés à un écueil classique: le respect des faits historiques, et les libertés qu'ils prennent par rapport à l'histoire. Mais Robert Thompson, spécialiste des cultures populaires à la Syracuse University, prévient: un film ne doit pas être jugé sur les mêmes critères qu'un essai historique ou un travail journalistique. "Le grand intérêt de l'art, c'est qu'il transpose des données en une expérience d'une grande valeur", dit-il.