La première observation qui frappe tout visiteur qui s´attarde un peu dans le modeste mais accueillant logis de Abdelhamid Benzine, c´est le nombre et la variété de visiteurs qui viennent rendre visite au maître des céans. Il y a de quoi faire un inventaire à la Prévert: des retraités nostalgiques, des anciens amis de la clandestinité, des artistes en mal d´inspiration, des éditeurs, des journalistes, des syndicalistes, le fils d´un ancien compagnon de lutte venu chercher un témoignage chaleureux et sincère, des écrivains, des amis de longue date, des réalisateurs TV et cinéma... Bref, le monde de la culture éprouvait le besoin de faire une courte escale chez celui dont la porte était toujours ouverte. Comme je l´avais dit plus tôt, un immense tableau de M´hamed Issiakhem faisait face au bureau: j´en ai oublié le motif tant Abdelhamid avait attiré mon attention sur l´inscription en bas du tableau: une phrase en rouge repassée en noir. «S´il avait vécu plus longtemps, M´hamed aurait retouché encore ce tableau», me confia-t-il. «C´est dommage que lui et Yacine soient partis aussi tôt: la gauche manque cruellement de personnages hauts en couleur comme eux...». Dans les archives de Benzine, on pouvait aussi trouver le passage d´illustres écrivains, passage court mais marqué par une annotation d´une main au bas d´une feuille. Mais de toutes les connaissances de Benzine, la plus attachante est sans conteste l´ami de toujours, Y.Z. C´est drôle mais Y.Z. que j´avais connu en janvier 1970 autour d´un café au Saint-Georges, m´a été présenté par une délicieuse collègue aujourd´hui disparue. Personne affable, discrète, franche, droite et humble. C´était le personnage parfait qui n´attirait pas les regards ni les oreilles... Originaire de l´ouest du pays, il avait fait partie de la même promotion que le regretté Kasdi Merbah (qu´il m´a dépeint d´ailleurs comme un sympathique personnage qui chantait du Brassens souvent...) mais Y.Z. avait passé la frontière pour participer à la lutte armée: il fut fait prisonnier au cours d´un accrochage et atterrit dans le même camp de P.A.M. que Benzine. C´est là sans doute qu´ils se connurent. Au lendemain du cessez-le-feu, il intégra la Wilaya IV puis reprit ses études qu´il acheva brillamment. Il fut recruté en novembre 1969 à la RTA puis licencié par le nouveau directeur de l´Unique. Notre ami Y.Z., ancien moudjahid, eut quand même droit aux excuses du directeur qui, lui propose de réintégrer son poste. Y.Z., mortifié et écoeuré, n´en fit rien et préféra chercher son pain ailleurs, dans la dignité. Dès lors, je ne le revis qu´épisodiquement. Il me demandait soit des nouvelles de ma collègue qui avait quitté le polygone étoilé! soit la revue de l´U.a.a.v. (Syndicat audiovisuel) que je recevais régulièrement. Il faut dire qu´il lisait abondamment et qu´il était au courant de toutes les parutions écrites comme de tous les cancans touchant les hommes politiques...C´est lui qui débarque un matin à El Manchar prit une pile de numéros et la mit sous le nez de Benzine qui découvrit ainsi le modeste hommage que je lui avais rendu. Il feignit la surprise en me trouvant attablé avec Benzine. Il rompit le pain avec nous et la discussion s´engagea sur les «archives» de Benzine. C´est alors que je fis la proposition de reprendre les interviews de A.B. et de réécrire sa biographie évidemment, sous l´étroite supervision de Benzine. Y.Z. en fut enchanté mais Abdelhamid demeura sceptique: il était trop préoccupé par sa santé chancelante. C´est alors que rentra A.F.A. réalisateur du film sur Kateb Yacine.