Je savais bien que je n´allais pas y échapper. Je redoutais l´instant fatidique où mon téléphone se mettrait à sonner et que je verrais affiché sur le petit écran le prénom de mon ami Sid Ahmed, mon mentor, mon censeur en chef, mon rédacteur virtuel, ma muse... Il est directement, avec sa gouaille et son ironie habituelles, entré dans le vif du sujet, sans passer par les quatre chemins de la bienséance, de la civilité et de la diplomatie. «J´espère que tu vas nous "pondre" quelque chose de salé sur cette histoire de tablier rose et de tablier bleu! C´est une histoire à dormir debout! Comme si l´école algérienne n´avait que ce petit détail à régler! Je doute fort que cette idée lumineuse soit sortie du cerveau fécond d´un ministre de la République...» Il faut signaler au passage que Sid Ahmed, qui a l´esprit critique très développé a toujours montré un profond respect à l´endroit du ministre de l´Education nationale, M.Benbouzid, qui essaie de sortir notre système éducatif de l´ornière où l´avait engagé l´école fondamentale «l´école fend l´âme en table», avait coutume de clamer Sid Ahmed qui avait été déçu par le système éducatif. Et il prenait un malin plaisir à prononcer le mot «l´académie» en bégayant sur la deuxième syllabe du vocable qui désignait une institution qui, de concert avec la mosquée et la télévision, a produit les tristes clones que nous avons subis. J´étais bien d´accord avec lui, car les deux rares moments où j´ai eu affaire à cette structure, m´ont laissé un désagréable souvenir: la première fois, j´ai été mal reçu par un inspecteur qui portait le nom d´un outil de jardinier, la seconde fois, je suis revenu bredouille en voulant récupérer le dossier de mon épouse, enseignante. «Je suis sûr, (avait poursuivi mon interlocuteur) que cette idée saugrenue, ne pouvait naître que dans la tête de gens qui n´ont rien à proposer de concret aux citoyens. D´ailleurs, (insista-t-il avec véhémence) cela ne m´étonnerait pas que cette géniale idée soit sortie du cerveau d´une inspectrice, car cela fait, sans conteste, référence à la couleur des layettes qu´on prépare pour accueillir les nouveau-nés. Je dirais même plus: cette honorable fonctionnaire a dû bénéficier d´une formation du type égalitariste avec des influences françaises...C´est une idée à creuser. Mais je compte sur ton imagination et ta verve habituelles pour marquer cette mémorable sortie.» Je répondai avec embarras à mon ami que cette anecdote aurait pu inspirer les chansonniers du «Caveau de la République» et que le répertoire français compte assez de couplets célèbres sur lesquels on peut greffer cette histoire de tabliers. Mais comme je n´ai pas le talent d´un chansonnier ou la facilité du versificateur, je lui proposai les modèles de chansons sur lesquels il peut décliner à volonté le tablier rose et le tablier bleu. D´abord, je lui rappelai ce grand succès de la chanson française sorti en 1949 et qui avait occupé pendant des années, le hit-parade des amours enfantines chanté par Jean Sablon puis repris par d´autres artistes. Cela commençait ainsi: «Quand nous jouions à la marelle Cerisier rose et pommier blanc J´ai cru mourir d´amour pour elle En l´embrassant» On peut remplacer «cerisier» et «pommier» par le mot tablier et concocter une histoire d´amour dans une école où la mixité tend à disparaître. On peut aussi emprunter à Victor Hugo et Georges Brassens ce fameux refrain de La légende de la nonne: «Enfant, voici les boeufs qui passent, Cachez vos rouges tabliers» Là, l´adaptation serait plus cocasse si on disait: «Enfants, voici le ministre qui passe, mettez vos roses tabliers.» Ou alors sur l´air de «Maître Pierre d´Yves Montand: Qu´il fait bon à l´aca-cadémie Les inspecteurs sont tous des amis Ils ne font que des blagues à tous les instants Et ils font tout pour tuer le temps!» Ou alors, remettre du Guy Beart: «Quel chahut on a eu au coin de chaque rue pour cette histoire de tablier...» Tu vois, mon cher Sid Ahmed, il faut avoir seulement le temps de chercher, de creuser, de polir et de repolir...