Nécessité de renforcer la coopération entre les Etats membres et d'intensifier le soutien pour atteindre les objectifs    La réunion consacrée aux exportations présidée par le président de la République "importante et fructueuse"    Ligue 1 Mobilis: le CS Constantine bat l'USM Alger (1-0) et prend la tête du classement    Timimoun : commémoration du 67è anniversaire de la bataille de Hassi-Ghambou dans le Grand erg occidental    Accidents de la circulation en zones urbaines: 11 morts et 418 blessés en une semaine    Entrée prochaine de la première startup à la Bourse d'Alger    Le ministre de la Santé met en avant les progrès accomplis par l'Algérie dans la lutte contre la résistance aux antimicrobiens    Le Conseil de la nation prend part à Montréal à la 70e session de l'Assemblée parlementaire de l'OTAN    Touggourt : une quinzaine de participants à l'exposition de dattes à Témacine    La CPI émet des mandats d'arrêt contre Netanyahu et son ancien "ministre" de la Défense    Khenchela: 175 foyers de la commune d'El Mahmal raccordés au réseau du gaz naturel    Le Général d'Armée Chanegriha préside la cérémonie d'installation officielle du Commandant de la 3ème Région militaire    Meilleur arbitre du monde 2024: l'Algérien Mustapha Ghorbal nominé    Une action en justice intentée contre l'écrivain Kamel Daoud    Le recteur de Djamaâ El-Djazaïr reçoit le recteur de l'Université russe du Caucase du Nord    Attaf reçoit l'envoyé spécial du président de la République fédérale de Somalie    Foot féminin: maintenir la dynamique du travail effectué pour bien préparer la CAN-2025    Palestine: des dizaines de colons sionistes prennent d'assaut l'esplanade de la mosquée Al-Aqsa    La liste des présents se complète    Combat de la spécialité muay thai : victoire de l'Algérien Mohamed Younes Rabah    Ouassa Younes et Aribi Karim suspendus deux matchs    Poutine a approuvé la doctrine nucléaire actualisée de la Russie    L'entité sioniste «commet un génocide» à Ghaza    Liban : L'Italie dénonce une nouvelle attaque «intolérable» de l'entité sioniste contre la Finul    Un nourrisson fait une chute mortelle à Oued Rhiou    Sonatrach s'engage à planter 45 millions d'arbres fruitiers rustiques    Campagne de sensibilisation au profit des élèves de la direction de l'environnement de Sidi Ali    Sonatrach examine les opportunités de coopération algéro-allemande    Semaine internationale de l'entrepreneuriat    La 3e édition du salon «Algeria WoodTech», prévue du 23 au 26 novembre    Il y a 70 ans, Badji Mokhtar tombait au champ d'honneur    L'irrésistible tentation de la «carotte-hameçon» fixée au bout de la langue perche de la Francophonie (III)    La femme algérienne est libre et épanouie    Les ministres nommés ont pris leurs fonctions    «Dynamiser les investissements pour un développement global»    Le point de départ d'une nouvelle étape    L'Algérie happée par le maelström malien    Un jour ou l'autre.    En Algérie, la Cour constitutionnelle double, sans convaincre, le nombre de votants à la présidentielle    Tunisie. Une élection sans opposition pour Kaïs Saïed    Algérie : l'inquiétant fossé entre le régime et la population    BOUSBAA بوصبع : VICTIME OU COUPABLE ?    Des casernes au parlement : Naviguer les difficiles chemins de la gouvernance civile en Algérie    Les larmes de Imane    Algérie assoiffée : Une nation riche en pétrole, perdue dans le désert de ses priorités    Prise de Position : Solidarité avec l'entraîneur Belmadi malgré l'échec    Suite à la rumeur faisant état de 5 décès pour manque d'oxygène: L'EHU dément et installe une cellule de crise    Pôle urbain Ahmed Zabana: Ouverture prochaine d'une classe pour enfants trisomiques    







Merci d'avoir signalé!
Cette image sera automatiquement bloquée après qu'elle soit signalée par plusieurs personnes.



Nouvelle
Rendez-moi mon enfant Par Le�la Aslaoui
Publié dans Le Soir d'Algérie le 15 - 12 - 2005

Avant que nous ne p�n�trions dans la salle d�audience, mon avocat, Ma�tre Mourad, m�annonce ce qu�il appelle une excellente nouvelle : son confr�re ne r�pliquera plus. Mon adversaire, le docteur L� aurait exprim� � son conseil sa lassitude et souhaiterait en finir avec la justice.
Mon silence contrarie mon d�fenseur : �J�esp�rais vous faire plaisir.� Je ne r�ponds pas. Qu�aurais-je pu dire ? Civiliste talentueux et brillant p�naliste, ce champion de la proc�dure, devenu au fil des ans mon ami et confident, sait que son �scoop� m�aurait fait sauter de joie autrefois. Dans quelques instants, j�assisterai � ma vingt-septi�me audience ! Il est vrai que je ne suis pas oblig�e de me pr�senter, mais ma longue fr�quentation avec Dame Justice, m�a appris qu��tre victime et partie civile, exige un suivi assidu de son affaire et une vigilance de tous les instants. La premi�re fois que j�ai franchi le seuil du Palais de justice, j��tais convaincue que j�obtiendrai gain de cause en quelques semaines. C��tait, je m�en souviens fort bien, en mars 1985. Mon calvaire dure depuis vingt ans. Lorsque la machine judiciaire s�est emball�e, elle m�a abandonn�e au bord de la route. D�cid�e � aller jusqu�au bout, je refusais d��tre spectatrice � mon propre proc�s. Je me suis document�e, familiaris�e avec les lieux, la proc�dure, l�organisation judiciaire, le langage des juges. Toutes choses qui n�ont plus de secrets pour moi. Je ne ma�trisais pas pour autant la situation, mais je comprenais ce qui se disait et se faisait. J�ai enrichi mon vocabulaire par des mots savants comme : �enr�lement�, �plumitif�, �d�faut�, �it�ratif d�faut�, �appel�, �r�tractation�, �cassation�, �d�lit�, �crime�, �pr�judice moral�, �pr�judice mat�riel� � A quelque chose malheur est bon, a-t-on coutume de dire. S�il n�y avait pas eu mon affaire, aurais-je pu conna�tre le sens de tous ces termes ? Quelle chance que la mienne n�est-ce pas ? Cela ne me faisait gu�re avancer dans le temps. Chaque fois que j�obtenais gain de cause, le Dr L� usait des voies de recours. J��tais alors �appel�e�, �cass�e�, �rappel�e� apr�s cassation, �recass�e� et la valse infernale n�en finissait pas. Je n��tais plus Mme Nabila S� mais un simple num�ro. Plus exactement deux, trois ou quatre chiffres, selon le degr� de juridiction. J�ai alors appris � ne retenir que le plus r�cent, les autres devenant inutiles. Fatigu� le �grand� professeur de gyn�cologie et d�obst�trique ? Son gag ne me fait pas rire, pas m�me sourire. Dois-je avoir de la compassion ? Le remercier ? Le docteur L� sait qu�aujourd�hui, � cette avant-derni�re audience, il devra s�incliner parce qu�il ne pourra plus se pourvoir. La Cour supr�me a cass� le quinzi�me arr�t de la Cour d�appel avec la mention : �Sans renvoi�. Son pr�tendu �puisement est un baroud d�honneur. Apr�s vingt longues ann�es de proc�dure, il devra enfin me verser les dommages-int�r�ts qu�il me doit. En cette matin�e du mois de juin 2005, je devrais �tre heureuse d�avoir arrach� la victoire. Pourquoi alors cet arri�re-go�t amer au fond de la gorge ? Ces larmes que je r�prime difficilement ? Sans doute parce que mon triomphe arrive trop tard. Ce n�est pas la seule raison. Pour �tre v�ritablement r�par�e, l�injustice aurait d� �tre condamn�e publiquement �Au nom du peuple alg�rien�. C��tait ce que je voulais. Je n�ai pas �t� entendue. L�indemnisation ne panse pas les plaies et les souffrances. Durant toutes ces ann�es, le professeur L� a partag� son temps, entre l�exercice de sa profession dans son cabinet priv� et les cours dispens�s � ses �tudiants � l�h�pital. Lorsque l�un ou l�autre de ses amis osait �voquer �l�affaire�, il r�pondait agac�, qu�il n�avait rien � se reprocher et que j��tais atteinte de folie. Si seulement j�avais pu sombrer dans la d�mence ! Ma seule ali�nation mentale a �t� mon refus d�abdiquer et d�abandonner la partie. Je me demande moi-m�me o� j�ai pu puiser la force de continuer. Comme dans le �jeu de l�oie�, il me fallait � chaque fois recommencer, revenir � la case d�part et me battre � nouveau. �Pour le principe�, disais-je � ceux qui me reprochaient mon acharnement. Mais au fait c��tait quoi �le principe� ? Que voulais-je dire par �pour le principe ?� Obtenir que les grands soient punis comme les petits ? C�est l�affaire de la justice et non la mienne. Moi je ne fais pas de politique. En v�rit� je ne sais pas moi-m�me ce que signifie �pour le principe�. Je sais seulement que j�ai tout perdu un apr�s-midi d�octobre 1984. Et lorsqu�on a tout perdu, l�on n�a plus rien � perdre, alors il faut gagner pour pouvoir survivre et tenir le coup. De cette bataille-l�, je suis sortie victorieuse. Mais ce n�est pas le succ�s de Nabila S� mais celui d�une autre femme � bout de souffle, ext�nu�e, qui n�ose plus affronter son miroir tant elle a vieilli. Jusqu�� octobre 1984, j��tais persuad�e qu�une bonne f�e s��tait pench�e sur mon berceau. Tous deux instruits, mes parents faisaient de l��ducation de leurs trois enfants une priorit�. Leur entente �tait parfaite et si disputes il y eut, je n�ai jamais �t� t�moin d��clats de voix, de propos offensants ou de sc�nes de m�nage violentes. Cadre sup�rieur dans un minist�re, mon p�re nous a inculqu� le go�t de l�effort, de la pers�v�rance et du travail bien fait. Femme au foyer, ma m�re a une pr�sence extraordinaire et une forte personnalit�. Avec elle, tradition et modernit� ne se querellent jamais. S�v�re sans �tre injuste, elle nous a appris que la ponctualit� est synonyme de politesse. Elle �tait sans concession avec l�un ou l�autre de ses enfants qui ne respectait pas les r�gles d�hygi�ne et de propret�, les bonnes mani�res, ou dont les r�sultats scolaires �taient m�diocres. Une grande complicit�, beaucoup d�amour et de solides valeurs que nul n�aurait imagin� transgresser, c��tait cela ma famille. Un monde qui m�a permis de vivre une enfance heureuse. Issu d�un milieu ais�, mon p�re fut d�lest� en 1962 d�une bonne partie de ses biens immobiliers qu�il avait re�us en h�ritage. A l�Ind�pendance, j�avais onze ans, mais j�ai ressenti la blessure de l��charde enfonc�e dans son corps. L�Etat l�avait rackett� au nom du socialisme sp�cifique parce qu�il �tait �un affreux bourgeois dont il fallait faire fondre la graisse au hammam�( 1). Peu � peu je vis son visage s�assombrir. Il �tait triste et disait souvent que son seul rep�re �tait sa famille. Au minist�re, ses comp�tences n��taient plus une richesse mais un s�rieux handicap. �Hizb Fran�a�, �vendu, � la solde de l��tranger� �taient son nouveau statut, son �tiquette. Nul ne voulait se souvenir de ses deux fr�res morts pour la patrie, de son p�re emprisonn� de 1958 � 1962. Personne ne citait leurs noms lors des comm�morations officielles. Quelle importance d�ailleurs ? Un incognito n�est pas un h�ros mais un homme qui a accompli son devoir. Il n�y a pas de quoi pavoiser. De toutes les fa�ons, cela ne m�int�resse plus. Entre ceux qui se battent pour, disentils, r�tablir la v�ritable histoire et ceux qui crient haut et fort que c�est gr�ce � leurs seuls sacrifices que nous sommes ind�pendants, je suis totalement paum�e. D�j� au lyc�e, je ne comprenais pas pourquoi mon professeur d�histoire-g�ographie nous interdisait de prononcer les noms de Abane Ramdane, Mohamed Boudiaf, Krim Belkacem. Je n�ai toujours pas compris. Je disais donc que �Hizb Fran�a� d�plaisait de plus en plus avec ses mani�res raffin�es, son costume-cravate, ses chaussures impeccablement cir�es. Ras� de pr�s, parfum� et ma�trisant parfaitement les deux langues, il devenait suspect aux yeux de ses coll�gues et de sa hi�rarchie. Le sixi�me ministre mit fin � sa carri�re cinq jours apr�s sa nomination ! Retrait� avant l�heure mon p�re se demandait pour quelles raisons il devait endurer autant de souffrances pour avoir le droit d�aimer son pays. Bris�, cass� de l�int�rieur, son regard ne brillait plus. Dans le quartier o� il �tait n�, o� ses parents, ses grands-parents avaient vu le jour, il ne reconnaissait plus les visages et les lieux. Presque tous nos voisins avaient fui l�envahissement des nouveaux venus. Sa grande satisfaction qu�il partageait avec notre m�re fut notre r�ussite scolaire. Mon fr�re et ma s�ur sont pharmaciens. Je suis licenci�e en langue anglaise et enseigne dans un lyc�e de gar�ons. Lorsque j�ai eu trente ans, j�ai acquis un v�hicule que je conduis moi-m�me, j�exer�ais une profession que j�aimais et percevais un salaire. Mais je n��tais pas encore mari�e. Contrairement aux femmes de sa g�n�ration � mais �galement de la mienne � maman ne consid�rait pas le c�libat de sa seconde fille � la premi�re avait fond� un foyer � comme une tare ou une catastrophe. Ne subissant aucune pression familiale, je n��tais pas press�e de m�engager dans la vie � deux. Il existait cependant une ombre au tableau : certains ne m�appelaient pas �mademoiselle� mais �k�houti�, (ma s�ur) �khalti�, (ma tante) �hadja� (titre r�serv� � celles qui ont accompli leur p�lerinage). Pass� la trentaine, une femme devient une �k�houti�, une �khalti�, une �hadja�. Mari�es, divorc�es, veuves ou demoiselles, nous nous appelons toutes �k�houti� ou �hadja�. Ces messieurs auraientils peur de se br�ler la langue s�ils disaient �mademoiselle� ou �madame� ? A vingt ans, trente ans, quarante ans ou cent ans, nous sommes toutes des fleurs fan�es, des plantes dess�ch�es � jeter dans la corbeille � papiers ! Toutes des �k�houti� ! C�est tellement fraternel et si doux ! Cela ouvre la porte � toutes les folies : on se rapproche, on se tutoie, on �change de tapes sur l��paule, on se fait l�accolade. Cela s�appelle le �fraternalisme� et a pour anc�tres le tribalisme, le n�potisme, le r�gionalisme, le clanisme. Seul l��litisme n�a pas droit de cit� dans ce monde grouillant de �khawa� et �khouyi�te�(2) car vigilant et efficace, le populisme lui en interdit l�acc�s. Expliquer � un �khouya� qu�on est �Mademoiselle ou Madame� et seulement la s�ur de ceux que sa m�re a enfant�s, n�attire gu�re la sympathie. Mais quel bonheur de savoir qu�on est � sa place celle qu�on m�rite et tous les �khouya� � la leur ! Je ne pensais pas au mariage jusqu�au jour o� le p�re d�un �l�ve de premi�re ann�e secondaire (seconde), m�content des r�sultats de son fils, demanda � me rencontrer. C��tait en 1982. El�gant, s�r de
lui, mon interlocuteur qualifia d�incompr�hensible la chute de Karim, son fils, �excellent en anglais au coll�ge�, me dit-il. Chef d�entreprise, absorb� par son travail, il n�avait pas besoin d�autres soucis, crut-il judicieux de pr�ciser. Ce r�le de business-man d�pass� par les �v�nements me fit sortir de mes gonds.
- Vous �tes d�abord son p�re ...
- Je fus interrompue sans m�nagement.
- Merci de me le rappeler. Je suis �galement sa m�re puisque je suis veuf. Cela vous satisfait-il ?
- Je changeai de ton et fondais telle neige au soleil.
L�homme bless� m�attendrit. L�entretien ne ressembla en rien � un coup de foudre. Pourtant, je pris ce jour-l� la d�cision d�aider Karim � remonter la pente. Trois fois par semaine, je lui faisais r�citer les verbes irr�guliers. Il r�visait sa grammaire, sa syntaxe et �tait heureux de me remettre les exercices que je lui demandais de faire � la maison. Pourquoi lui et pas d�autres �l�ves ? Il n��tait pas le seul � avoir des lacunes. Au d�but, je voulais me persuader que c��tait � cause de sa condition d�orphelin. C��tait en partie vrai. Ce n��tait pas la v�ritable raison ou la seule motivation. M. Mohamed F, � p�re de Karim � m�habitua � d�autres visites. Tant�t c��tait pour m�exprimer sa satisfaction de voir mon �l�ve progresser et me remercier, tant�t pour me prouver qu�il s�int�ressait � la scolarit� de son fils. Nos rapports n��taient plus conflictuels et nous avions plaisir � bavarder, � �changer nos points de vue, nos opinions sur divers sujets. Peu � peu, je me rendis � l��vidence : pour la premi�re fois, je me sentais fortement attir�e par un homme. Je ne fus alors nullement �tonn�e de devenir sa femme une ann�e apr�s. Ce n��tait pas l�amour fou ni la grande passion. Mais Mohamed �tait de bonne compagnie et je me sentais prot�g�e par cet homme de cinquante ans. Karim m�avait accept�e et si l�on m�avait annonc� en ce temps-l�, que ma vie d��pouse combl�e allait basculer dans l�horreur, j�aurais ri aux �clats et cru � une plaisanterie de mauvais go�t. En f�vrier 1984, je sus que j�allais �tre maman. C�est mon �poux qui d�cida que ce serait le professeur L... qui suivrait ma grossesse et m�accoucherait. �C�est le meilleur obst�tricien�, me dit-il. Lors de mon premier rendez- vous, je fus �tonn�e de voir autant de femmes dans la salle d�attente. Elles aussi disaient : �C�est le meilleur.� Les unes affirmaient qu�il avait r�alis� des �miracles� chez des femmes st�riles, les autres rench�rissaient en usant et abusant d�adjectifs flatteurs et all�chants pour de nouvelles patientes comme moi. Lorsque vint mon tour, je me retrouvai face � un homme d�une rare froideur qui m�examina rapidement : �Votre grossesse ne pose pas de probl�mes particuliers, mais il faudra tout de m�me faire attention car vous �tes une primipare �g�e.� Je venais de f�ter ma trente-troisi�me ann�e et n�avais absolument pas l�impression d��tre une p�rim�e. Je me sentais en meilleure forme qu�� quinze ans. Sit�t rentr�e � la maison, je fis part � mon mari de mon intention de changer de cr�merie. Mohamed s�y opposa farouchement et je l�entendis me redire : �Il est excellent.� J�aurais pu passer outre mais je ne voulais pas contrarier mon �conjoint�. Je m�en suis mordu les doigts le restant de mes jours. Mois apr�s mois, le petit �tre qui �tait en moi me procurait un bonheur incommensurable. Il �voluait normalement et �se pr�sentait bien�, selon le docteur L ... Vint alors le grand jour, cet apr�s-midi d�octobre 1984. Heureuse d�accueillir mon b�b�, j��tais d�cid�e � supporter la douleur puisque au bout du parcours j�allais serrer dans mes bras et contre ma poitrine mon enfant. Je me rendis � l�h�pital accompagn�e de ma m�re, ma s�ur et mon fr�re. Mohamed �tait en voyage pour affaires. Il ne pouvait pas reporter son d�placement et �n�avait pas grand-chose � faire, le docteur L... s�occupera parfaitement de toi�, me dit-il. J��tais pein�e mais n�en laissais rien para�tre. Karim partageait ma joie et cela me r�confortait. Il voulait un petit fr�re. Je ne connaissais pas le sexe de l�enfant, je savais seulement que si c��tait un petit gar�on j�ajouterai � son premier pr�nom celui de mon p�re d�c�d� apr�s mon mariage. A treize heures trente, j��tais admise en salle Rendez-moi de travail. Le professeur L... fit son apparition en tenue de ville. Une sage-femme exp�riment�e et comp�tente lui expliqua que l�accouchement pouvait commencer. Il la fusilla du regard : �L�accouchement aura lieu quand je le d�ciderai. Je n�ai aucune le�on � recevoir de vous�. Il ressortit et ne revient qu�� dix-sept heures ! J��tais totalement �puis�e et effray�e par mon m�decinaccoucheur. Il hurlait, balan�ait les instruments par-dessus son �paule et le travail n�avan�ait pas d�un iota. Je n�avais plus envie de coop�rer et avais l�impression d��touffer. De plus en plus furieux contre lui-m�me, le docteur L... d�cida de pratiquer une c�sarienne. �Pr�parez le bloc, il faut sauver la m�re, tant pis pour le b�b�. Je crois bien avoir fr�l� la mort sans m�me m�en rendre compte. C�est alors que la sagefemme, jusqu�alors silencieuse, profita d�une courte absence du m�decin pour demander � un membre de l��quipe m�dicale � un malabar mesurant presque deux m�tres � d�exercer une tr�s forte pression sur mon ventre. Je dois la vie � Dieu et � cette dame que je ne remercierai jamais assez. C�est au moment o� le docteur L... revint en salle de travail que mon b�b� fit son apparition. Totalement surpris par cette venue impromptue, le professeur L... eut d��normes difficult�s � d�gager l��paule du b�b�. Il tira tr�s fort. Je ne pr�tais gu�re attention � ce qu�il faisait car j�entendis enfin le cri de mon enfant. C��tait un petit gar�on magnifique. Et m�me s�il ne l��tait pas, comme toutes les mamans, je le trouvais tr�s beau. Le lendemain, je le couvris de baisers et le serrai contre moi quelques instants. Puis on m�en s�para, je voulus qu�on me le ram�ne. J�eus droit � des r�ponses �vasives. Seule la sage-femme eut le courage de me dire la v�rit�. Mon b�b� �tait atteint d�une paralysie du plexus bracial parce que le m�decin avait proc�d� � une traction brutale au moment de la d�livrance. Qu�on ne s�attende pas � des explications savantes de ma part. Je ne suis pas le �super� Dr L... ! En ce mois d�octobre 1984, je sais seulement que mon beau b�b� vivra avec un bras gauche paralys�. Trois jours apr�s, le professeur L... daigna tout de m�me me rendre visite et m�expliqua qu�en accord avec le service chirurgie infantile, une intervention sera pratiqu�e sur le nouveau- n�. �On pourra le sauver�. Agac�e, je pose des questions, je veux savoir quelle faute a �t� commise. Suffisant, arrogant, mon interlocuteur me prie de me calmer : �La col�re n�est pas la solution !�. Je rentre � la maison d�vor�e par le chagrin. Mon petit bout ch�ri est rest� � l�h�pital en attente d�une op�ration chirurgicale. Je me dis que dans quelques semaines mon enfant sera peut-�tre comme les autres. De retour � la maison, mon mari ne semble pas aussi scandalis� que moi. �Je consid�re que tu es injuste. Le Dr L..... t�a sauv� la vie et puis nous aurons un autre b�b�. Non et mille fois non ! C�est ce b�b� que j�ai voulu, que j�ai port�, qui a boug� en moi. C�est ce b�b� que je veux serrer dans mes bras. C�est mon enfant que je veux ! Je comprends que mon �poux puisse �tre soulag� de me savoir vivante, �tant traumatis� par la perte de sa premi�re femme. Je ne parviens pas pour autant, � admettre qu�il ne veuille pas conna�tre la v�rit�. Serait-ce parce que le Dr L... �tait son choix � lui ? Serait-ce de l�indiff�rence ? Serait-ce parce qu�il a d�j� un enfant ? Ramzi-Rachid, mon b�b�, doit �tre op�r� d�but novembre. Il a tr�s peu de chances de r�cup�rer l�usage de son bras, me dit le chirurgien. �Mais qui ne tente rien n�a rien� me dis-je. Un matin, je m�appr�te � me rendre � l�h�pital au service p�diatrie lorsque retentit la sonnerie du t�l�phone, Mohamed �m�annonce� que notre b�b� a souffert de difficult�s respiratoires et qu�il est d�c�d� dans la nuit. Je crois avoir hurl� telle une b�te traqu�e et bless�e �C�est mieux ainsi parce qu�il aurait eu une vie g�ch�e et nous avec lui�, ajoute Mohamed qui pense me consoler de cette fa�on. Au moment o� nous nous appr�tons � quitter l�h�pital avec le petit corps inerte de mon b�b�, mon regard fixe sur son visage et son bras droit des marques rouges. Ce ne sont pas les seules. Il y en a aussi sur tout le corps. Nous demandons au praticien qui a conclu � une mort naturelle de nous expliquer le pourquoi de ces traces.
- En effet, j�ai bien vu. Ce sont des morsures de rats. Mais voyez-vous, l�enfant a eu des complications respiratoires. C�est la seule cause du d�c�s. Quant aux morsures, elles ont �t� faites sur un corps inerte. Le rat est une b�te timide qui se sauve au moindre bruit.
Je suis totalement fig�e, incapable de dire quoi que ce soit et de r�agir. Mon b�b�, mon petit ange, a �t� d�glingu� par le Dr. L... et mordu par les rats de l�h�pital mieux nourris que les malades ! Existe-t-il pire cauchemar ? Le rat un animal timide et apeur� par l�homme ? On aura tout entendu. Je me souviens de l��norme rongeur qui se baladait dans la capitale en plein jour. Il faisait fuir les matous les plus m�chants, r�put�s pourtant d��tre d�excellents chasseurs. Apr�s l�enterrement, je d�cide de d�poser plainte contre le professeur L... et contre l�h�pital. Mohamed s�y oppose farouchement.
- Je refuse que mon nom soit cit� dans les tribunaux. j�ai une r�putation � prot�ger.
- Mais enfin, je ne suis pas d�linquante, je suis victime. Qui donc sanctionnera le Dr L... si l�on ne s�adresse pas � la justice ?
- Et apr�s ? Cela nous rapportera quoi ? Un scandale rien de plus.
- Je t�avertis que j�ai d�cid� d�aller jusqu�au bout. Je ne renoncerai pas.
- Dans ce cas je te propose de le faire seule. Avant m�me que l�affaire ne soit enr�l�e j��tais divorc�e. Ma vie conjugale avait �t� de courte dur�e. Cela s�est fait dans la s�r�nit� et sans �clats de voix. Mohamed ne souhaitait certainement pas notre s�paration, mais il n�a jamais voulu comprendre que j�aurais volontiers admis que mon b�b� put succomber � une toxicose, � une maladie infantile ou autre... mais il est mort parce qu�un m�decin ne lui a pas donn� la chance de vivre. Et c�est cette injustice qui m�est insupportable � accepter. Apr�s mon divorce, ma famille devint mon unique soutien. Karim vivait mal la rupture. Ses r�sultats �taient � nouveau en baisse mais je ne pouvais plus rien pour lui. Seule l�affaire me pr�occupait. Ma�tre Mourad m�informa � la fin novembre 1984, que celle-ci serait appel�e pour la premi�re fois, en mars 1985. Il avait d�pos� plainte avec constitution de partie civile contre le Dr. L... et l�h�pital. Les reports du proc�s succ�d�rent les uns aux autres jusqu�au jour o� mon adversaire daigna se pr�senter comme pr�venu. Le tribunal d�signa un expert choisi au sein de la profession m�dicale. Celui-ci d�clara qu�il n�y avait pas eu n�gligence, imprudence ou maladresse et donc pas de faute m�dicale. Mon avocat demanda une contre-expertise. M�me constat, m�mes conclusions. La traction op�r�e par le Dr. L..., selon les deux praticiens, �tait normale parce que la venue du b�b� l�avait surpris. J�ignorais que mon petit ange aurait d� prendre la pr�caution d�envoyer un bristol � �mon� gyn�cologue pour lui annoncer son arriv�e. Celui-ci s�est bien gard� d�avouer � Dame Justice qu�il avait dit en pr�sence de nombreux t�moins : �Il faut sauver la m�re, tant pis pour le b�b�.� Il fut relax� d�abord par le tribunal, puis par la cour. C�est alors que ma�tre Mourad opta pour l�action civile. Elle d�buta en 1986/1987 et prendra fin aujourd�hui. Elle fut longue, on�reuse, �prouvante, �puisante et ai-je vraiment gagn� ? Gagn� quoi ? Quelques ann�es apr�s notre divorce, Mohamed m�expliqua un jour qu�il n�aurait pas �t� capable d�assumer. Je ne lui en demandais pas autant. Je voulais seulement qu�il me soutienne, qu�il soit solidaire. Qu�il soit l�, au moment o� j�avais besoin de lui. En v�rit�, mon ex traitait les drames de la vie comme les bilans de son entreprise : sans �tats d��me. Karim que je n�ai jamais cess� de voir est sur le point de lui succ�der et il ma�trise parfaitement l�anglais. La cour d�appel met l�affaire en d�lib�r�. L�arr�t sera rendu dans une semaine. Je sais que la justice m�octroiera des dommages et int�r�ts. A cette audience-l�, la vingt-huiti�me et la derni�re, je n�assisterai pas. Je ne ferai pas ex�cuter la d�cision de la cour d�appel en chambre civile. Qui donc pourrait comprendre que les billets de banque ne r�parent jamais les d�g�ts caus�s par l�injustice ? Je ne veux pas d�argent, mais mon b�b� � moi. Ma s�ur me reprochait r�cemment que j�avais perdu trop de temps. Durant ces vingt ann�es j�aurais pu me remarier et avoir un autre enfant, m�a-t-elle dit. Elle aussi n�a rien compris. Qui donc pansera ma blessure ? Qui me dira un jour que mon b�b� bougeait ses deux bras � la naissance et qu�il n�avait pas � subir dans un h�pital les assauts des rats ? Mon avocat me dit que le Dr L... est dispos� � verser la totalit� des dommages et int�r�ts. Mon adversaire a ajout� que j�aurais d� demeurer aupr�s de mon enfant et ne pas faire confiance au personnel du service p�diatrie. Pour autant, son conseil a bien pr�cis� que son client acceptait d�indemniser �la m�re indigne� que je suis. Ainsi l�accouch�e, totalement �puis�e n�a pas emp�ch� la brutalit� commise sur son enfant et n�a pas pens� � d�ratiser l�h�pital. Elle est la seule coupable. Grand Seigneur, le professeur L... m�a accord� n�anmoins les circonstances att�nuantes. Apr�s tout, ne devrais-je pas �tre heureuse de m�en sortir � bon compte ?
(1) C�l�bre phrase prononc�e dans un discours par le premier pr�sident de la R�publique (1962-1965).
(2) Fr�res et s�urs au pluriel


Cliquez ici pour lire l'article depuis sa source.