Evidemment, le frêne tutélaire n´a pas toujours existé sur cette place qui fut jadis assez large pour abriter un marché qui concerne toute la région. Son espace est limité à gauche par un cimetière contigu qui a longtemps servi d´annexe à la nécropole qui cerne la mosquée turque. A droite, il est concurrencé par un marabout qui consiste en une maisonnée dont la porte comme les deux fenê-tres, sont toujours closes contrairement aux autres sanctuaires ouverts à tous les vents et à tous les visiteurs ou pèlerins venus chercher une grâce, un peu de solitude, enfin un espoir de soulagement. Il faut dire que les marabouts sont fort nombreux dans et autour du village comme dans toute la région connue. Les populations leur vouent un culte assez inégal selon les circonstances et selon les vertus qu´on leur prête. Il faut dire que les croyances sont fort nombreuses et ce sont surtout les vieilles femmes qui en sont les adeptes: un grand arbre isolé, un caroubier de préférence ou une autre majestueuse essence assez ombrageuse pour imposer le respect au passant accablé par la canicule au point qu´il éprouve le besoin de faire une halte au pied de ce don de la providence qui prodigue ombre et fraîcheur. Il arrive même qu´un rocher proéminent ou de taille imposante, témoin d´un événement qui a marqué la mémoire collective, soit l´objet de toutes les attentions: on raconte qu´un chef de chantier qui voulait tailler dans la roche pour se frayer un chemin fut gravement blessé par un éclat. Et comme le chef cantonnier était un infidèle, les gens virent dans cet accident l´expression d´une justice immanente. Depuis, il est courant de trouver sur la pierre, une pièce de monnaie ou un morceau de pain, une véritable aubaine pour le vagabond qui connaît ces relais providentiels. Pour en revenir au marabout qui garde cest l´expression qui est la plus juste, parce que le marabout est désigné par le terme qui veut dire garde, sentinelle) la place, il a une particularité: il est entretenu et il est souvent le lieu d´offrandes dispensées par une seule famille. Il faut préciser tout de suite que les offrandes consistent souvent en distribution de galettes et de figues qui font la joie des gamins et des miséreux. La raison de l´existence de ce marabout est fort simple. Bien qu´il soit originaire d´un autre village situé dans un autre aârch, il a été vite adopté par le village car il a su mettre fin à une sanglante vendetta qui endeuilla deux familles du village pendant fort longtemps. Homme pieux et sage, il a durant toute sa vie été le médiateur éclairé entre des groupes opposés par des querelles d´une temporalité qu´il méprisait. C´est cette vie exemplaire, propre à tous les walis qui jalonnent les chemins des territoires berbères, qui leur vaut l´admiration d´une population qui a toujours donné à la religion la place qui lui revient: de l´autre côté de la politique. C´est aussi cette défiance vis-à-vis des hommes qui utilisent la religion comme fonds de commerce qui fait que les populations jugent l´homme sur le sens qu´il a donné à sa vie et non sur son discours.