L'Oranie regorge de saints, à tel point que ses visiteurs s'étonnent du nombre de koubbas qui agrémentent ses paysages. Parfois, ils peuvent être une demi-douzaine à flanc d'une colline, s'étageant dans un séculaire cimetière dont les tombes ne sont plus que d'incertains tumulus. Pourquoi pas une balade touristique d'un autre type à travers le Témouchentois, entre marabouts de haute volée et marabouts topiques ? Suivez le guide … -Sidi El Bachir : Au sud-est et ouest de la daïra de Témouchent, il y a celle de Aïn Kihal, sur les monts qui relient ceux du Tessala à l'est aux Sebaâ Chioukh à l'ouest. Aïn Tolba est le pays de Sidi Ali Bou'moud. Ces dernières années, la waâda qui lui était dédiée est désormais offerte aux rijal leblad, une innovation qui constitue une rupture avec la tradition puisqu'elle introduit l'oubli. Aïn Kihal célébrait quatre saints, mais au fil du temps il n'y en a plus qu'un qui est honoré, Sidi El Bachir en l'occurrence. Sa descendance se trouve être nombreuse au point d'avoir formé une tribu. Aghlal et Aoubelil fêtaient leurs ancêtres communs avec d'autres douars alentours, c'était la waâda des Ouled Zaïr, une fraction de la confédération des Beni Ameur. Depuis près d'une décennie, chaque village s'est autonomisé. Aoubelil fête également Sidi Bouterfes, alors qu'à Aghlal, on s'est mis à célébrer rijal leblad, ce qui la ravalé au rang de fête du village : «Comme chez les Français», comment un interlocuteur mécontent. -Les trois marabouts : La commune de Sidi Ben Adda, daïra de Témouchent, est voisine de Beni Saf. Son chef-lieu s'appelait anciennement Trois Marabouts, les autorités coloniales ayant copié, pour son appellation, l'usage local en référence aux rijal leblad (les notables religieux). Mais à l'indépendance, c'est le nom de Sidi Ben Adda qui a prévalu, celui du wali de l'ex-douar-commune d'à côté. Ce fut la revanche du douar sur la cité. Cependant, cette dernière n'en continue pas moins de perpétuer, par une waâda, sa ferveur à son saint patron, Sidi Rabah, l'un des trois marabouts. A Témouchent, il y a plus d'une dizaine de saints, si bien que les autorités ont favorisé, depuis quelques années, l'organisation d'une waâda en l'honneur des Rijal Leblad, une manière de fédérer les dévotions et de les contrôler. Les koubbas sont mieux entretenues qu'à Sidi Ben Adda, même si elles n'ont pas toutes des serviteurs (moqadems ou khdims). Ce sont, comme partout ailleurs, des fermiers du coin ou des cantonniers auxquels il reste de la chaux, qui les en enduisent. En ville, ce sont des commerçants ayant fini de peindre leurs locaux qui leur passent un coup de pinceau. Ils font acte de «nia», une mystique d'un «à toutes fins utiles». Dans les années 1990, il en était autrement. Sidi Saïd, le saint patron de Témouchent, a failli être délogé de la mosquée où il repose, alors que Moulay Abdelkader a échappé à la démolition pure et simple. Cependant, selon certains interlocuteurs, les saints étant thaumaturges, les malheurs survenus plus tard à tous ceux qui avaient participé à l'outrage contre Sidi Saïd sont imputés à son mécontentement. -Sidi Bou'mima : Sidi Bou'mima où surtout les femmes s'y rendent par groupes pour passer un moment dehors et papoter en toute tranquillité. M'saïd, localité des Laghouat, fête depuis quelques années Sidi Cheikh chez elle. Elle ne se rend plus à Ouled Kihal, le communautarisme ayant perdu du terrain. De la sorte, sa petite population d'antan a bien grandi pour ne plus avoir besoin à s'agréger au reste des Laghouat pour faire nombre : «Et puis, si dans le temps, on y allait pour trois jours, maintenant on ne peut quitter son chez soi une heure de peur d'être cambriolé», explique un habitant. Ouled Boudjema, comme Terga, comprend deux populations tribales de différentes extractions, soit quatre douars qui ont été regroupés en un centre, avec barbelé autour, par l'armée coloniale en 1958 afin de couper le FLN/ALN de ses soutiens logistiques. Depuis, ils ne forment qu'une population, mais chacune a son wali. Les Laghouat vénèrent Sidi Chikh, alors les Belouati, qui sont les autochtones, célèbrent Sidi Ahmed Sasli situé en forêt de Sassel. -Bouzedjar : Enfin, en bord de mer, il y a Bouzedjar. C'est le seul village d'Algérie véritablement de marins pêcheurs, sa population à 99% vivant de la mer. Son wali est Sidi… Moulabhar ! Non, ce n'est pas une blague. Ce qui ne l'est encore moins, c'est qu'on ne lui offre une waâda que lorsque durant l'année sa baraka aura aidé à ce que les pêches soient bonnes. -Sidi Rahmoun : A l'ouest de la wilaya, la daïra d'Oulhaça est le pays des Oulhaça gherraba. Elle est l'exception en matière d'anthropolâtrie qui confirme la règle à travers la wilaya. Dans cette région montagneuse, s'étalant sur une cinquantaine de hameaux, il n'existe en effet qu'une seule koubba, celle de Sidi Rahmoun. Pour ce qui est des cultes en tout genre, Oulhaça n'est pas du tout démonstrative. Pour preuve, bien qu'elle ait donné nombre de chahids pour l'indépendance, il n'y a été érigé aucun cimetière de chouhada, chaque douar ayant préféré garder les siens dans l'anonymat parmi ses morts. Ceci étant, pas loin de Sidi Rahmoun, et dominant les plages mitoyennes de Malousse et Ouardania, il existe un sanctuaire qui fut le ribat tenu au XIVe siècle par Sidi Yacoub. Sa fondation renvoie autant à la légende qu'à l'histoire. L'imam-guerrier Yacoub a érigé un sanctuaire sur ordre des Zianides pour assurer la surveillance du large en raison des craintes d'une invasion chrétienne par mer. Côté légende, la fable raconte que des marins espagnols, secourus par le tenant du ribat, lui promirent la fourniture de la boiserie nécessaire à la toiture de sa petite mosquée-ribat. Il leur recommanda de confier les planches à la mer. Cette dernière s'ingénia à ramener à bon port la marchandise, assure-t-on. C'était le miracle nécessaire pour qu'à sa mort, l'imam-guerrier devint un Sidi. Mais si Oulhaça a si peu de koubbas, elle recèle néanmoins une zaouia qui a la particularité d'être la principale de la tariqa Djazoulia en Algérie. Sa waâda annuelle, haute en couleur avec dikr, medh mais aussi spectaculaires exhibitions des Aïssaoua, attire des khouans d'Algérie, du Maroc et de Tunisie. -Sidi Safi : Nous le découvrons quelques kilomètres plus loin du chef lieu de la ville, au sein d'un cimetière du même nom avec plusieurs santons autour de lui. Originaire de Mascara et établi depuis trois siècles dans l'ancien village minier qui porte son nom, Sidi Safi est d'une famille maraboutique et de commandement, les Bensafi ou Souafa. Beni Saf tirerait son nom de ce wali bien que le saint patron de Beni Saf soit Sidi Boucif. L'autorité morale qu'il exerçait était telle que les Européens, eux aussi, faisaient appel à son arbitrage pour un différend les opposant à un musulman. Le fait a été consigné, en 1900, dans une étude française (Edmond Doutté, Les Marabouts). En nous rendant à son sanctuaire, nous l'avons trouvé en plein travaux de réfection : «Non, monsieur, ce n'est pas la commune qui paie les travaux, mais un émigré», répondent les ouvriers. Le fait qu'un particulier débourse plusieurs dizaines de milliers de dinars pour remettre à neuf une koubba, sans soulever l'ire de qui que ce soit, est-il l'indice d'une évolution réelle des mentalités, sachant que les «woulia» ne sont plus en odeur de sainteté depuis que l'idéologie islamiste est dominante ? A Emir Abdelkader, troisième et dernière commune de la daïra, on ne célébrait le culte d'aucun wali. La politique s'en est mêlée en promouvant, en 1986, une waâda pour commémorer la conclusion du traité de la Tafna qui avait été négocié entre l'Emir et Bugeaud sur un monticule dominant l'agglomération du chef-lieu. Vite oubliée, elle a été réactivée en 1994 pour perdurer à ce jour. -Sidi Bouhadjar : Hammam Bou Hadjar, notoire cité des thermes, a pour nom celui de son saint patron, Sidi Bouhadjar. Il est à l'extérieur de la ville. Curiosité, au sein du nouveau cimetière, il existe un mausolée d'un genre nouveau, une koubba symbolique. Quatre buses dressées délimitent un espace autour de la tombe d'un imam décédé au début des années 1990 et auxquels des fidèles avaient voulu ériger une koubba. Le MSP a mené une acharnée campagne pour s'y opposer. Oued Berkèche ne vénère plus Sidi Nouali, sa waâda n'a plus cours, le culte des saints étant en désuétude, particulièrement au sein de la jeunesse que l'école a formatée au profit d'un autre salafisme que celui de la tradition locale. Une cavalcade, un tir nourri de baroud, le bal, la zorna ne font pas frémir ceux qui sont branchés à une nouvelle irrationalité ainsi qu'aux nouvelles technologies du divertissement, la décennie rouge les ayant empêché tout petit d'assister à des waâdas. Chentouf, un douar trop vite grandi après son érection en chef-lieu de commune, n'a pas de wali. Hassasna, pays de Laghouat, organise des festivités qui attirent foule tous les 1er juillet en l'honneur de Sidi Rayah. -Sidi Tadjine : Ainsi Aïn El Arba fête Sidi Tadjine dont, coïncidence du calendrier, la waâda se tient le 1er novembre. Ce jour-là, les visiteurs ont droit d'accéder à sa koubba située dans la cour d'une maison de maître bâtie par un colon. Le mausolée se trouvait sur le lot de terrain à bâtir qu'il avait acquis auprès de la municipalité d'alors. Il n'avait pas détruit la koubba. La commune de Sidi Boumediène commémore le saint éponyme, alors que Tamzoura rend hommage à Sidi Ghalem. -Sidi Djilali : Dans la plaine de la M'leta, à l'est de la wilaya, en bordure sud de la Sebkha d'Oran, c'est la daïra de Aïn El Arba. On est au pays des H'mayane et Douair, l'une tribu originaire de la région de Mechéria et l'autre autochtone, que lient la pratique du pastoralisme, de la céréaliculture à perte de vue et des traditions communes. Le saint patron de la région est Sidi Djilali qui trône en pleine M'léta. Le regroupement pour les festivités se fait pour les quatre communes de la région au niveau de Oued Sebbah. Cela n'empêche que les trois autres communes de la daïra célèbrent un saint particulier. -Moulay Tayeb : On le fête avec éclat chaque année, mais il n'a pas de koubba. Il s'agit de Moulay Tayeb qui avait propagé la tayebia dans le Touat. Ce sont les descendants des premiers Touatis installés lors de la création de Témouchent qui gardent vivace l'observance de la tariqa. Tous étant originaires du Touat. Karkabou, baroud, habits traditionnels bleu et blanc, chèches immaculés, danses collectives en plusieurs cercles sur des rythmes lents ou trépidants, font ressurgir un Sahara que peu de participants connaissent pour n'y avoir jamais mis les pieds. Il en est de même de la waâda des Sidi Blal qui, ces dernières années, ont abandonné leur pittoresque parade avec un taurillon noir. La côtière commune de Ouled Kihal est une des quatre communes de la daïra d'El Malah. Elle organise la plus courue waâda de la wilaya. Les Laghouat fêtent Sidi cheikh Abdelkader Ben Mohammed, chef de la grande famille maraboutique et guerrière des Ouled Sidi Cheikh, mort vers 1022- 1023. A El Malah, le wali en chef est Sidi Saïd, homonyme de celui de Témouchent comme de celui de Hassi Ghella. A Chabat El Laham, on dédie une waâda à Sidi Benknadil, mais pas à Sidi Mokhfi qu'on vénère aussi. Petite curiosité de l'anthroponymie, Sidi Mokhfi, à l'instar de tous les Sidi Mokhfi d'Algérie, comme de tous les Sidi Ghrib, sont des désignations de sanctuaires dont on a oublié le nom de l'occupant.