M. Ahmed Guessoum est chercheur et enseignant à l´Université des sciences et des technologies Houari-Boumediene de Bab Ezzouar, à Alger. Au cours d´une conférence qui a eu lieu, samedi dernier à Médéa, il a révélé, selon l´APS, que la fuite des cerveaux a occasionné au pays des pertes estimées à 40 milliards de dollars pour la seule période de 1992 à 1996. Vous avez bien lu 40 milliards de dollars partis en fumée en 4 ans avec des «harraga scientifiques». Le chercheur s´est basé sur un rapport du conseil national économique et social (Cnes) datant de 2005. Il est vrai que la période citée fait partie de la décennie noire en Algérie. Ceux qui, parmi les élites, ont préféré prendre la «poudre d´escampette» sont estimés durant cette période à des dizaines de milliers. Après eux, 40.000 autres chercheurs auraient quitté l´Algérie entre 1996 et 2006. Et l´hémorragie continue. Ils sont aux Etats-Unis, au Canada, en Grande-Bretagne, dans les pays émergents également, mais aussi et surtout en France pour des raisons évidentes de langue et de proximité géographique. En l´état actuel de la situation, on peut avancer, sans se tromper, que des centaines de milliards de dollars d´investissements algériens dans la formation de ces élites sont partis en fumée. Bien sûr, c´est la faute aux conditions qu´on n´a pas su créer pour les retenir. Les arguments ne manquent pas pour «justifier» ces départs. «Sous-employés»,«déconsidérés», etc. Aujourd´hui M.Benatallah, secrétaire d´Etat chargé de la Communauté nationale à l´étranger, essaie de battre le rappel de ces cerveaux. Samedi dernier, il était à Londres où l´association des compétences algériennes à l´étranger (ACA) a réuni un grand nombre de chercheurs algériens établis au Royaume-Uni. Il essaie de les convaincre de «mettre leur savoir et leurs compétences au profit de leur pays». Auparavant, le secrétaire d´Etat était à Lyon, en France, où il a tenté la même démarche avec nos cerveaux établis dans l´Hexagone. Sera-t-il entendu? Rien n´est moins sûr. D´abord et intelligents qu´ils sont, ils savent, sans qu´on leur dise, que leur pays a besoin d´aide. Ensuite, il faut se demander si les conditions qui les ont poussés à partir ont changé. Certaines oui, d´autres non. Le terrorisme pour ceux qui l´ont fui a été repoussé. Les conditions sociales des chercheurs se sont nettement améliorées. L´Algérie est un vaste chantier où les opportunités d´affaires, avec ou sans l´aide de l´Etat, sont à l´infini. Contrairement d´ailleurs aux pays d´exil de nos cerveaux où la chute du pouvoir d´achat n´est que «l´apéro» de ce qui reste à venir. L´Irlande, la Grèce, puis l´Espagne et la France. Nos cerveaux savent tout cela. Ils savent aussi qu´ils ont une dette envers leur peuple. C´est avec son argent qu´ils ont été formés. Qu´ils sont ce qu´ils sont aujourd´hui. Ils savent tout, nos cerveaux. Ils n´ont besoin de personne pour cela. Ni de Benatallah ni de la toute nouvelle association «Nabni» qui vient avec «un plan de 100 mesures» vouloir faire chaque année un bond de 50 ans avec nos élites à l´étranger. Allons! Allons! Ils savent tellement tout, nos cerveaux à l´étranger, que vouloir les draguer avec des discours nous laisse sceptiques. Les choses sont tellement plus simples. Un billet d´avion et les voilà chez eux où ils connaissent toutes les adresses pour se réinstaller. Même en gardant un pied là-bas. Mais sans statut de supercitoyens. Sans tapis rouge ni Boualem Titiche (Allah Yerrahmou!). Un peu de reconnaissance (on allait dire du ventre), un peu de loyauté et c´est tout. On ne dit même pas patriotisme. Il paraît que cela fait ringard dans le milieu universaliste des élites. Mais s´ils savent tout, ils doivent savoir aussi que les Algériens restés au pays ne sont pas amnésiques.