Abordant les réformes annoncées par le roi du Maroc, Driss Sedraoui a soutenu qu´il y a absence de volonté politique auprès des hautes autorités du Maroc pour introduire un changement politique et démocratique, tant la corruption est érigée en mode de gestion. Selon lui, les geôles marocaines grouillent encore de détenus politiques, défenseurs de droits de l´homme et d´étudiants. L´Expression: Le roi a annoncé, il y a quelques semaines, des réformes politiques et sociales. Comment qualifiez-vous ces réformes, sont-elles suffisantes pour répondre aux aspirations des Marocains? Driss Sedraoui: Le roi du Maroc n´a pas annoncé, en réalité des réformes. Il a proposé plutôt des projets de réformes. Ces projets ont été confiés en partie, à des commissions désignées et installées à l´occasion par les hautes autorités du pays. Donc, elles ont installé, à titre illustratif, la commission de la révision de la Constitution, qui est chargée, à l´évidence, de recueillir les propositions, les différentes proposions qui ont été faites par les partis politiques, les syndicats, mais aussi par les animateurs de la société civile. Néanmoins, il se trouve que ces commissions comptent, fort malheureusement, des personnes connues et vomies par les Marocains. Car, elles sont impliquées dans des dossiers de corruption et abus de pouvoir. A ce sujet, il faut dire que nous, animateurs de la Ligue, avons déjà formulé notre refus de prendre part aux travaux de ces commissions, créées suivant des orientations bien précises, mais aussi pour des objectifs inavoués arrêtés au préalable par le roi. Donc, en l´absence d´une volonté effective de la part des hautes autorités marocaines d´entamer des réformes ou proposer des projets de réformes qui seront confiés à des structures indépendantes et ayant une crédibilité et une légitimité auprès du citoyen marocain, nous avons refusé catégoriquement de faire des propositions ou de prendre part à une quelconque commission dont les desseins demeurent le maintien de l´ordre établi et mener, par voie de conséquence, les Marocains en bateau. Vous ne croyez pas aux projets de réformes annoncés par le roi? En effet, il est carrément inconcevable de croire que le roi est animé d´une volonté effective et fin prêt à répondre aux aspirations et revendications posées par la rue marocaine. Les campagnes de répression, d´arrestations et d´intimidation visant les animateurs du «Mouvement du 20 Février», les défenseurs des droits de l´homme, les membres syndicaux et les militants politiques, sont une preuve qui renseigne, à plus d´un titre, sur la nature répressive des hautes autorités qui n´entretiennent rien que le langage du bâton à l´égard de toute personne qui ose crier son ras-le-bol ou sa colère. Cela d´une part, et de l´autre, on ne peut pas lancer des réformes ou entamer des changements profonds avec des gens connus pour avoir contribué largement à ériger la corruption comme mode de gestion et user et abuser de leur pouvoir, confisquer les libertés individuelles et collectives des Marocains réduits à de simples sujets. Donc, nous disons, haut et fort, que pour réaliser des changements et ouvrir de nouveaux horizons plus cléments pour le peuple marocain, il faut passer par des étapes précises et claires. En premier lieu, il faut, entre autres, libérer tous les détenus politiques, poursuivre en justice tous ceux qui sont impliqués dans des affaires de corruption et dilapidation de deniers publics, et ont exercé l´abus de pouvoir. A ce sujet, il faut dire que les rapports du Conseil supérieur de la comptabilité du Royaume marocain viennent confirmer que ce sont des centaines de hauts cadres qui sont foncièrement impliqués dans les dossiers sus-cités. Deuxièmement, il faut que l´on cesse de traîner les journalistes devant les tribunaux et ouvrir le champ d´expression à tous les niveaux pour que tous les syndicats, partis politiques et associations trouvent un terrain de manoeuvre et exercent pleinement leurs droits et libertés. Comment s´organise la société civile au Maroc. A-t-elle une marge de manoeuvre. Pouvez-vous manifester librement? La société civile au Maroc trouve énormément de difficultés aussi bien pour s´organiser que pour s´exprimer. Tous les champs d´expression et de dialogue sont verrouillés et largement contrôlés. D´où, d´ailleurs, nous enregistrons régulièrement des arrestations, des agressions physiques, des intimidations et longs interrogatoires, visant les animateurs de la société civile. L´arrestation du journaliste Rachid Ninni et d´autres membres d´organisations de droits de l´homme refusant de se soumettre à la logique des maîtres de l´heure, en est un exemple phare. A cela s´ajoute également la création des structures parallèles et supplétives, liées directement aux centre décisionnels du Maroc. Avez-vous une estimation sur le nombre de détenus politiques au Maroc? Nous sommes en train d´inventorier les dossiers des détenus politiques, mais ce qui est certain c´est qu´ils sont des centaines. Ces détenus appartiennent à différentes catégories. Certains sont emprisonnés dans le cadre des événements du 16 mai et les explosions de la Maison Blanche et d´autres sont des étudiants et des détenus de ce qui est appelé le dossier de la «cellule Blirdj» ainsi que des syndicalistes et défenseurs des droits de l´homme. L´Algérie et le Maroc sont les rares pays arabes à ne pas connaître de révolte. C´est dû à quoi selon vous? Au Maroc, nous avons un système fondé sur une monarchie alors qu´en Algérie il y a, en réalité, un système d´ordre militaire. Pour se maintenir, les deux systèmes usent et abusent de leurs appareils répressifs contre leurs peuples, en leur interdisant de manifester et sortir dans les rues pour exprimer, pourtant pacifiquement, leurs revendications et les changements qu´ils souhaitent réaliser. Aujourd´hui, au Maroc, il y a un sérieux risque de voir les manifestants hausser le ton et élargir la liste des revendications pour inclure certaines revendications, qui demeurent jusqu´ici un sujet tabou. Donc, les arrestations et la mort de manifestants peuvent constituer une étincelle susceptible de déclencher de véritables révoltes. Tandis qu´en Algérie, le calme observé aujourd´hui par la rue prédispose à un éventuel grand mouvement social. Sachant, qu´il est de la culture du peuple algérien d´enregistrer régulièrement des cycles de révoltes sociales. Donc, il faut dire que ni le Maroc ni non plus l´Algérie ne seront épargnés par le vent de la révolte tant qu´il y a absence d´une volonté politique de la part des deux systèmes de répondre aux aspirations de leurs peuples respectifs.