Un travail colossal a été abattu pour reconstituer les décors du nouveau long métrage de Saïd Ould Khelifa. Il est 15h de l´après-midi au coeur du parc zoologique de Ben Aknoun. En voiture, en cette chaude et humide journée de juin, nous arpentons ses voies sinueuses, à la recherche hypothétique du lieu de tournage du film Zabana. Après maintes pérégrinations en plein milieu de cette forêt dans laquelle on n´a plus remis les pieds depuis notre enfance, nous retrouvons enfin, au bord de cette montagne boisée, flanquée d´un hangar, le fameux décor du nouveau long métrage de Saïd Ould Khelifa, en voie d´achèvement. A l´intérieur, il ne fait pas moins chaud ou juste un peu. Il fait gris. C´est grand. Plusieurs décors ont été plantés ici et là. Toute une armada de techniciens s´échine pour le bon déroulement du tournage des dernières séquences. «Silence! Moteur! ça tourne! Coupez!», entendons-nous inlassablement. Entre deux prises, le réalisateur consent à nous parler de ce film historique, unique en son genre. Un genre vraisemblablement bien en vogue. Cela dit, en ce moment, après le fameux Mostefa Benboulaïd et autres. En bon maître de cérémonie, Saïd Ould Khelifa nous guide à travers ce décor qui fait resurgir de plein fouet notre passé colonial, sous nos yeux. Encore plus rude lorsque nous assistons, sans broncher, à une scène de torture... Il s´agit de l´interrogatoire de l´un des compagnons de Zabana qui a été arrêté sur dénonciation du garde-champêtre, de Saint-Lucien (Oranie). Cet interrogatoire va permettre de remonter la filière jusqu´à Ghar Boujlida où le 8 novembre 1954, Zabana et son groupe ont été arrêtés. Tout le décor a nécessité un travail titanesque de... huit mois. Premier lieu à être visité, est le couloir de la mort de Serkadji sur deux étages. Une équipe entièrement algérienne l´a reconstitué. Il s´agit de la prison de Barberousse avant 1962, autrement dit en 1956, nous apprend-on, tel qu´il est visible sur les photos de l´époque, d´après les documents du ministère de la Justice avec l´aide de la direction de la prison de Serkadji actuelle. C´est un tiers du film qui a été tourné ici avec les cellules à l´identique, souligne Ould Khelifa. Outre le couloir de la mort, il a été reconstitué le bureau du directeur de la prison tel qu´il était à l´époque, la salle de torture, la cellule des condamnés à mort avec la guillotine qui fonctionne, hormis la lame, et qui pèse plus de 120 kilos, avec tous les détails macabres, le caisson pour le corps et le panier pour recueillir la tête. La cour a été aussi reconstituée avec la fenêtre du directeur qui donne sur elle. Cela est le décor de la partie algéroise du film car ce dernier s´échelonne en deux parties. La première partie s´étend des années 1950 jusqu´à l´arrestation de Zabana, le 8 novembre 1954. Cela a été tourné pendant trois semaines dans l´Oranie sur trois wilayas qui relatent la jeunesse de Zabana, à partir de 23 ans, ses débuts dans le militantisme, l´arrivée de Ben M´hidi dans la région pour nommer Zabana comme chef de section, puis son arrestation et son premier jugement par le tribunal d´Oran. La deuxième partie relate toute sa vie en prison, et la découverte d´autres responsables politiques, notamment son voisin Ali Zamoum, campé par Khaled Benaïssa. Il s´agit du deuxième personnage historique incarcéré en même temps que Zabana alias Imad Bencheni. A ceux-là, s´ajoute un troisième personnage important, Moha Touil, joué par Menad Mebarek. Ce sont là, affirme Saïd Ould Khelifa, les trois personnages récurrents dans la prison. Outre ces lieux, le film a nécessité de nombreux plans de tournage à l´extérieur, notamment à l´Amirauté, au tribunal d´Alger et la gare d´Alger. Le reste du film se déroule dans la prison dont le décor a été reconstituée à Ben Aknoun. «C´est pratiquement le premier film tourné en studio dans des conditions normales de production. Le tournage a duré 7 à 8 semaines. Nous sommes à l´avant-veille du dernier tour de manivelle. Le long métrage a nécessité plus de 300 rôles. Le casting a eu lieu durant tout l´été dernier. La moyenne d´âge ne devait pas dépasser les 30 ans. Outre les décors, les costumes et coiffures ont également dû être reconstitués, que ce soit des costumes de la ville ou de la campagne. On a pris soin d´être vraiment attentif à tous les détails, y compris au niveau de la langue. Zabana et ses compagnons s´exprimaient dans le parler oranais, avec l´accent de l´Ouest, nonobstant l´accent kabyle et l´arabe. C´est «une mosaïque de l´Algérie qui est représentée». Difficile de continuer à parler avec le réalisateur tant nous sommes à chaque fois interrompu par un «silence!». Sur le plateau, en effet, ce sont au minimum 15 personnes qui s´affairent à régler le moindre petit détail, comme un maquillage mal soigné ou une lampe un peu grande qui dépasse du cadre... l´ingénieur du son, la scripte, les assistants, les machinistes etc, tous veillent au grain simultanément. Zabana pour info a bénéficié de l´aide du ministère de la Culture, et celui des Moudjahidine, en attendant l´accord de la télé algérienne. «On a décidé de faire le film avec les moyens du bord». Zabana, fait remarquer le réalisateur de Vivantes! coïncidera avec la célébration du 50e anniversaire de l´Indépendance de l´Algérie. Le montage aura lieu en début juillet avec douze semaines en ce qui concerne l´image et huit semaines pour le son, en plus du mixage et de la musique qui est de Blaoui Houari. Le film sera ainsi fin prêt la première quinzaine de janvier 2012. Mais pourquoi un film sur Zabana? osons-nous la question. «Nous avons pu mettre la main sur des documents inédits qui n´ont jamais été exploités, du Conseil des ministres français, de la magistrature. D´ailleurs, nous avons reconstitué le Conseil des ministres français de 1956 avec François Mitterrand comme ministre de la Justice campé par François Galois. On a essayé donc de coller à la réalité de l´époque, mais surtout sortir des documents de première main qui n´ont jamais été utilisés, en tout cas dans le cinéma, à nos jours, sur la position de la France coloniale vis-à-vis de la question algérienne et de la colonisation de l´Algérie de manière générale. C´est aussi un procès de la vision qu´avait la France coloniale de la justice. Une justice expéditive qui reconnaissait, d´un côté, l´innocence de Abdelkader Ferrache mais pourtant, il a été exécuté en même temps que Zabana comme exemple. (Ferrache a été joué par Abel Jafri). La grâce de Zabana a été acceptée car il avait été blessé lors de son arrestation, mais malgré cela, il a été exécuté aussi sur ordre de René Coty, le président de l´époque. Ces documents d´archives que j´ai pu retrouver au bout de quelques mois d´investigations nous fait reconstituer pour les besoins du film une des salles de l´Elysée et ce, dans une grande salle qui ressemble beaucoup à la salle du Conseil des ministres français. Côté interprétation féminine, on peut retrouver aussi Anne Richard qui a joué dans Boulevard du palais» révèle Saïd Ould Khelifa.