«Il y a des gens qui sont vivants, on dirait qu'ils sont morts et il y a des gens qui sont morts et qui demeurent toujours vivants.» Si Moh ou Mhend Treize longues années après son assassinat, il est toujours là, plus présent que jamais. Ses mots sont dans toutes les têtes, ses mélodies sur toutes les lèvres et ses attitudes dans tous les souvenirs emmêlés d'une luxuriante mémoire collective. Dans une de ses célèbres chansons testaments (d'ailleurs toutes ses chansons le sont plus ou moins), n'avait-il pas prédit à ses détracteurs (et ils étaient fort nombreux de son vivant!) qu'ils l'entendraient à chaque carrefour et que sa voix détonera pour toujours. Le poète, le vrai, est toujours visionnaire: il voit au-delà des montagnes et des temps. Il est l'héritier et le continuateur d'un Si Mohand spolié, d'un El-Hasnaoui exilé, d'un Slimane banni. «Je suis un mort en sursis; je suis conscient du danger permanent qui pèse sur moi de la part de groupes armés et des terroristes islamistes, du pouvoir, sans compter tous ceux que je dérange et qui me détestent. Je sais que je vais tomber entre leurs mains, il est probable qu'ils m'auront un jour ou l'autre. Cependant, quoi qu'il arrive, l'Algérie est ma patrie, je préfère mourir parmi les miens et si on m'assassine, qu'on me couvre du drapeau national et que les démocrates m'enterrent dans mon village. Ce jour-là, j'entrerai définitivement dans l'éternité». Il aura l'avantage sur eux d'avoir été tué plusieurs fois: par le gendarme, par les terroristes deux fois et par la censure imbécile, chaque fois qu'elle peut. D'ailleurs, ce n'est pas un hasard si pendant que Berbère TV lui rendait un hommage appuyé, notre vaillante chaîne Thamazight diffusait allègrement un concert andalou. Il n'aurait pas dédaigné cela, lui qui avait intuitivement réussi à maîtriser tous les styles et tous les modes tout en restant toujours lui-même. C'est toutefois l'avis de musicologues éclairés qui se sont penchés sur l'oeuvre du chanteur, du poète, du barde, du troubadour, de l'aède... Car, il est tout cela à la fois tant ses talents sont multiples, mais ce qui domine chez lui, c'est l'esprit patriotique dans le sens le plus large du terme. Car c'est avant tout un patriote, lui, le chantre de la recherche identitaire. Il n'est pas le premier poète assassiné par la bêtise humaine puisque, avant lui, Lorca fut fusillé par les franquistes, Desnos par les nazis, Machado rend l'âme sur le chemin de l'exil, Marlowe par des crapules dans une taverne... «La souffrance enfante les songes / Comme une ruche ses abeilles / L'homme crie où son fer le ronge / Et sa plaie engendre un soleil / Plus beau que les anciens mensonges....Je ne sais ce qui me possède / Et me pousse à dire à voix haute/ Ni pour la pitié ni pour l'aide / Ni comme on avouerait ses fautes / Ce qui m'habite et qui m'obsède...». Seules les paroles d'un grand poète sont taillées à la mesure du poète et la «Complainte de Robert le Diable va comme un gant à celui qui va braver tous les dangers pour faire passer son message, sa vérité: «Tu portais dans ta voix comme un chant de Nerval / Quand tu parlais du sang jeune homme singulier / Scandant la cruauté de tes vers réguliers / Le rire des bouchers t'escortait dans les Halles / Tu avais en ces jours ces accents de gageure / Que j'entends retentir à travers les années / Poète de vingt ans d'avance assassiné / Et que vengeaient déjà le blasphème et l'injure... / Je pense à toi Desnos qui partis de Compiègne / Comme un soir en dormant tu nous en fis récit / Accomplir jusqu'au bout ta propre prophétie / Là-bas où le destin de notre siècle saigne». Quand je pense à Desnos, c'est Matoub que je vois.