La liberté de la presse ne s'use que si l'on ne s'en sert pas. En Algérie elle n'a pas toujours, pour ne pas dire jamais, été en odeur de sainteté. C'est pourtant ce pays qui paya le prix fort pour acquérir cette liberté lorsque plus de soixante journalistes et une vingtaine d'assimilés ont été assassinés. Ciblée par les groupes armés intégristes depuis l'avènement du pluralisme politique, la presse l'est également par le pouvoir politique, ou plutôt les clans qui accaparent le pouvoir politique en Algérie. Aujourd'hui, comme hier, la liberté d'expression est sérieusement menacée. La commercialité a bon dos, et c'est sous ce couvert spécieux qu'encore une fois les édiles, épinglés dans des affaires scabreuses, veulent faire taire cette presse décidément trop bien informée. Trop bien informée, car, ci cela n'avait pas été le cas les plaintes auraient plu drues comme la grêle. Mais les dossiers en béton sur les dilapidations des biens immobiliers de l'Etat et les détournements des richesses de Sonatrach, ne laissaient aucune échappatoire. On recourt à la facilité consistant à mettre en branle les imprimeries talon d'Achille des journaux algériens. La presse a fait son travail d'investigation, ouvert des pistes que les pouvoirs publics n'ont pas daigné non pas suivre, mais à tout le moins faire vérifier. Alors on met des journaux dans le collimateur de la loi quitte à affabuler et...même piétiner des contrats commerciaux en bonne et due forme dans l'objectif nous dit-on, de sauvegarder l'éthique commerciale. Et ce sont les quotidiens Liberté, Le Matin, El Khabar, Le Soir d'Algérie, L'Expression et Er-Raï qui ont eu la malencontreuse (?) idée de faire leur travail d'informer qui sont sommés de filer doux. Ne pas paraître est, à la limite, un risque du métier accepté avec ses avantages et inconvénients. Car, c'est la règle du jeu. Mais sur quelle règle se meuvent ceux qui décident en début de week-end où tout est fermé, sans sommation ni avertissement préalable, de mettre en demeure les éditeurs de journaux de payer ou de mourir. Ce qui est un peu le cas pour nombre de titres coincés par des impondérables qui échappent à toute analyse. En réalité, cette menace de suspension est tellement transparente qu'il faut être plombé pour ne pas voir qu'elle est cousue de fil blanc. Il y aura seulement dans l'Algérie de Bouteflika une autre suspension politique de journaux. Ce qui n'ajoutera rien, on l'a compris, à sa gloire. De ce fait, il est surtout regrettable que des politiciens n'aient pas le courage de leur décision eux qui font tout faux. Car, ce ne sont pas les imprimeurs qui ont réclamé leurs créances, mais ont été poussés à le faire dans la foulée du Conseil gouvernemental restreint autour de Ouyahia quelques heures avant l'envoi des fax. La décision est donc politique, d'autant que la manière avec laquelle les journaux sont sommés de se mettre en règle est plutôt suicidaire pour les sociétés d'impression si l'on ajoute que ce sont les journaux ciblés qui non seulement payent rubis sur l'ongle, mais encore font vivre les imprimeries de l'Etat. Le gouvernement, qui n'en est pas à son premier impair, vient de se rendre, encore une fois, coupable d'une énième récidive mettant dans l'embarras et en porte-à-faux ses imprimeries. Ce qui se passe depuis ce week-end est la répétition de ce qui a eu lieu dans les années 1990 où plusieurs titres nationaux ont été punis, car trop indépendants, indociles ou seulement ayant une conscience de leur métier et essayant de le faire le mieux possible. Quel est le crime de la presse nationale? A l'évidence un crime de lèse-majesté, si l'hôte du palais d'El Mouradia s'estime à l'égal d'un roi et attend de ses sujets allégeance et soumission. Mais les Algériens, la presse singulièrement, qui ont payé le prix fort pour avoir le droit de dire, ne sont pas prêts à baisser la tête surtout lorsqu'ils sont motivés par la mise à sac au vu et au su de tout le pays. Ce que les gouvernements ne semblent pas avoir réellement assimilés. Ce prix fort, ce sont les milliers d'Algériens assassinés par les terroristes, ou morts pour que vive libre l'Algérie. La presse algérienne dans son combat de chaque jour pour la liberté de dire ne peut moins et est engagée envers tous ses martyrs de l'indépendance et de la liberté d'expression. «Dans notre pays, tout est falsifié, perverti», affirmait il y a quelques années un homme politique aujourd'hui bien dans sa peau de ministre. «L'époque, assène-t-il, se caractérise par la fraude, la promotion des médiocres, le rappel des figures honnies du passé, l'achat des hommes et des partis. Le pouvoir ne voit pas les problèmes en termes d'avenir pour tous, mais de durée pour quelques-uns» ajoutant «l'encanaillement c'est mettre des personnes à des places qu'elles ne méritent pas, c'est prêter serment et trahir ses engagements, c'est préférer les fripouilles aux hommes de principe (...) un Etat perd son honneur quand il couvre des pratiques irrégulières, quand sa justice est partiale, quand ses représentants abusent de leurs positions pour s'enrichir.» Non vous n'avez pas deviné, c'est M. Boukrouh aujourd'hui reconverti en spécialiste de la privatisation. Aujourd'hui, les scandales financiers (affaire Khalifa notamment) et les détournements des biens immobiliers font la «Une» de la majorité des quotidiens. Dans un pays des droits de l'Homme qui respecte et honore sa justice et ses lois, des enquêtes auraient été ouvertes par le premier juge d'instruction jaloux des lois de son pays et soucieux de montrer que la justice est au-dessus de tous. Or, rien de tel, car il ne s'est pas trouvé le plus petit juge ou procureur qui ait pris sur lui de sauver l'honneur de cette justice au nom de laquelle on emprisonne des cadres de l'Etat (cf. l'affaire Cosider) ou qu'il s'est trouvé un juge pour dire halte au passe-droit. Aussi, museler la presse c'est surtout montrer que dans un pays ou la cooptation fait loi, la loi et la justice sont encore à des années-lumière et ceci explique un peu cela.