A l'oeuvre dès la campagne électorale pour les élections du 23 octobre 2011, la tendance à la bipolarisation du débat politique entre islamistes et modernistes est désormais une ligne de partage communément admise. Objet de toutes les surenchères et manipulations, la question identitaire et religieuse en Tunisie occupe le devant de la scène depuis des mois, éclipsant les problèmes cruciaux de l'emploi et des inégalités, déclencheurs de la révolution il y a plus d'un an. A l'oeuvre dès la campagne électorale pour les élections du 23 octobre 2011, la tendance à la bipolarisation du débat politique entre islamistes et modernistes est désormais une ligne de partage communément admise. Les incidents violents provoqués au cours des derniers mois par les radicaux salafistes - très minoritaires mais de plus en plus présents dans le champ public - ont précipité l'affrontement idéologique entre les deux «camps». «La révolution tunisienne n'avait ni leader ni idéologie, elle est partie d'une fracture sociale énorme. Mais aujourd'hui, nous assistons à une lutte entre les tenants de l'islam modéré et tolérant qui caractérise la Tunisie à un islam ultraconservateur et d'inspiration wahhabite», estime Emna Mnif. Ancienne leader du parti libéral, Afek Tounes, cette médecin est aujourd'hui à la tête du «Mouvement citoyen» Kolna Tounes, un des organisateurs de la manifestation d'hier pour fêter l'indépendance et défendre «la démocratie et les valeurs républicaines». Ce rassemblement survient cinq jours après une démonstration de force de sympathisants islamistes qui ont manifesté devant l'Assemblée nationale pour réclamer l'inscription de la chari'â dans la future Constitution du pays. «C'est vrai, la politique se fait dans la rue actuellement, car il n'y a pas de prise de position tranchée des partis quels qu'ils soient» sur la problématique identitaire, souligne Mme Mnif. Vainqueur des élections d'octobre, le parti islamiste Ennahda, particulièrement, reste silencieux. Parce que lui-même divisé, et par souci de ménager sa base radicale en vue des futures élections, estiment des analystes. Parce que la question religieuse permet d'évacuer les points cruciaux comme la croissance en berne, le chômage à 19%, ou les régions sinistrées du centre du pays, accuse l'opposition. «La polarisation du débat permet d'éviter de parler des vrais problèmes», déplore le leader communiste Hamma Hammami, en énumérant les priorités selon lui: «Une constitution à rédiger, des attentes populaires à satisfaire, une crise économique et sociale à régler». Encore plus tranché, l'économiste Mahmoud Ben Romdhane, membre du parti de gauche Ettajdid, estime que «les problèmes religieux servent à cacher l'incompétence du gouvernement». «La direction politique du pays n'a aucun programme, aucune vision, est peu crédible internationalement. Pendant ce temps la situation sociale ne cesse de s'aggraver et la sympathie des partenaires étrangers pour le printemps tunisien a fait long feu», tranche-t-il. Comme pour répondre aux critiques, le ministre chargé des Dossiers économiques, Ridha Saïdi, a annoncé lundi que le gouvernement présenterait fin mars devant l'Assemblée constituante son programme économique et social. Misant sur la relance du tourisme - sinistré en 2011-, une saison agricole «exceptionnelle» et la relance de l'activité dans les phosphates, le gouvernement table sur une croissance de 3,5% en 2012, a-t-il dit à l'agence TAP. «L'emploi est perçu par le gouvernement actuel comme une priorité absolue», a assuré le ministre. «Nous attendons! Nous espérons que les promesses seront concrétisées dans la loi de finances complémentaire» qui sera votée fin mars, déclare Youssef Abdel Kaoui, président de l'association des diplômés chômeurs de Tataouine (sud). «Jusqu'à maintenant, il n'y a rien de nouveau pour nous», ajoute-t-il. Les diplômés chômeurs représentent quasiment un quart des quelque 800.000 demandeurs d'emploi en Tunisie.