La bipolarisation est de retour. Un retour scellé, jeudi dernier à Moscou, entre le maréchal Abdel Fattah al Sissi, ministre égyptien de la Défense et le président russe, Vladimir Poutine. Au-delà de l'accord d'achat d'armes d'une valeur de 3 milliards de dollars, conclu lors de cette rencontre, c'est l'appui, sans équivoque, de Poutine à la candidature d'al Sissi à l'élection présidentielle égyptienne qui marque ce retour. «Je sais que vous avez pris la décision de présenter votre candidature à la présidentielle en Egypte. C'est une décision très responsable de s'investir d'une mission pour le peuple égyptien. Je vous souhaite, en mon nom et au nom du peuple russe, de réussir», c'est par ces mots adressés à al Sissi que Poutine a fait basculer le rapport des forces au Moyen-Orient. Les Etats-Unis ne seront plus la seule superpuissance militaire présente dans la région. A être juge et partie dans un conflit qui s'est installé dans la durée au point de devenir insoluble. D'ailleurs, Poutine n'a pas manqué de le rappeler lors de sa rencontre avec al Sissi en précisant que «la stabilité de la situation dans tout le Moyen-Orient dépend largement de la stabilité en Egypte». Ce retour de la Russie sur la scène moyen-orientale ouvre de nouveaux horizons et donne plus de chances à la recherche d'une paix durable dans le conflit israélo-palestinien. Jusque-là, le président Obama a toutes les peines du monde à faire plier les dirigeants israéliens pour conclure l'accord de paix qui prévoit la création d'un Etat palestinien sur les frontières de 1967. Tenu par le soutien «inconditionnel» des Etats-Unis à Israël, sa marge de manoeuvre en était fort réduite devant l'entêtement de Netanyahu à ne pas vouloir de la paix. D'autant que Tel-Aviv était en position de force depuis les accords de Camp David qui maintiennent l'Egypte dans le giron des Etats-Unis. Ce qui, du même coup, sécurisait les frontières d'Israël avec l'Egypte. Avec le rapprochement qui s'opère entre la Russie et l'Egypte, la donne change du tout au tout. Netanyahu a de quoi s'inquiéter. L'aide militaire et financière des Etats-Unis à l'Egypte perd de sa force. Le gel d'une partie de l'aide américaine à l'Egypte et les relations froides entre ces deux pays depuis des mois n'obligeront plus les Egyptiens comme par le passé. L'entrée en scène de la Russie comme nouvel allié donne à l'Egypte de nouvelles perspectives. Si l'administration américaine a fait savoir son mécontentement devant ce rapprochement russo-égyptien, elle ne peut pas pour autant arrêter le cours de l'histoire. Et si d'aventure, elle voudrait marquer son courroux jusqu'à suspendre son aide à l'Egypte, elle perdrait du même coup tout moyen de pression sur elle. Ce qui serait une menace supplémentaire qui viendrait peser sur Israël. D'ailleurs, nombre d'observateurs ont relevé que le rapprochement opéré jeudi entre l'Egypte et la Russie rappelle, par endroits celui qui avait eu lieu après l'agression de Suez en 1956. C'était l'époque de Nasser. De ce fait, et si la bipolarisation est de retour 25 ans après la chute du mur de Berlin, l'équilibre des forces en présence au Moyen-Orient fait un bond en arrière d'un demi-siècle. C'est presque un retour au point de départ. La sortie de l'Egypte de l'influence américaine est un sacré coup pour Israël. Elle va devoir revoir son attitude insolente avec l'administration Obama. Elle aura plus que jamais besoin de sa protection. Elle va devoir arrêter ses provocations avec l'implantation de nouvelles colonies. Elle va devoir se remettre plus sérieusement à la table des négociations avec les Palestiniens. Plus largement encore, ce rapprochement russo-égyptien favorisera la solution politique en Syrie. Poutine a remis, jeudi dernier, tout le jeu à plat!