Les responsables militaires, appuyés de la gendarmerie locale, sont passés à deux doigts de sauter sur un engin explosif dissimulé près de la cabane où ont été assassinés les deux agriculteurs de Bougara. La bombe artisanale a sauté au passage d'un sapeur pompier de la région, venu avec ses collègues transporter les deux corps à la morgue de Meftah, distance de 10 km. C'est la famille des deux personnes assassinées qui a donné l'alerte, après avoir attendu trois jours durant leur retour. Ceux-ci avaient l'habitude de passer la nuit «en haut», afin de semer, labourer ou récolter. Leurs petits champs leur permettaient une maigre pitance dont ils s'accommodaient fort bien, mais disparaître trois jours durant, cela donnait des appréhensions à la famille. Les militaires n'étaient pas au bout de leur peine. Partis chercher les deux cadavres sur les hauteurs de Bougara, ils en trouvent encore deux autres, ligotés, tués par balles, puis égorgés, avant d'être aspergés d'essence et immolés. A ces quatre assassinats, allait s'ajouter un cinquième, celui du sapeur-pompier qui a marché sur la bombe dissimulée sur le passage des troupes militaires. 2e génération Cette suite d'événements démontre bien que le GIA - dont chaque assassinat porte la marque très distincte de celle du Gspc - est encore opérationnel et dangereux. Réduit, crépusculaire, invisible, atomisé, il est encore plus dangereux, car on est arrivé presque à l'oublier dans le tumulte entretenu par le groupe salafiste pour la prédication et le combat (Gspc) qui s'est imposé comme l'organisation la plus importante et la plus hégémonique. Pratiquement, tous les anciens éléments du GIA encore en vie ont rejoint le Gspc, champion du salafisme djihadiste. Toutefois, certains nostalgiques restent encore fidèles au Groupe islamique armé. «En fait, il s'agit surtout des enfants des terroristes du GIA de la première heure, ceux dont le père est mort au maquis. Les enfants de terroristes, qui avaient entre huit et douze ans en 1992, au début de l'insurrection armée, ont aujourd'hui entre vingt et vingt-quatre ans, et ce sont eux, en majorité, qui continuent à mener les actes de violence. C'est ce que j'appellerais la deuxième génération du djihad». Plus démuni, moins important, crépusculaire, sans objectif militaire et politique, le GIA n'en reste pas moins dangereux. La manière atroce avec laquelle il continue à assassiner renseigne sur l'état nihiliste qu'il adopte sans reculer. L'émir actuel - s'il est encore en vie ou encore opérationnel - reste invisible, ses troupes, évaluées à moins de quarante hommes, dispersés dans la vaste plaine de la Mitidja, où ils continuent de porter des coups. Entre 2000 et 2002, le GIA a perdu ses deux dernières katibates importantes, celle dite El Khadra, stationnée dans les pourtours de Ksar El Boukhari et dirigée par Utbâ, et celle de Aïn Defla, dite Djound Allah, dirigée par un dénommé Abou Hafs Amine, lesquels avaient, dans deux communiqués, annoncé leur ralliement au Gspc. Cependant, en se concentrant exclusivement autour des fiefs traditionnels du GIA, la Mitidja et les portes de Blida, le groupe islamique armé reste opérationnel dans un réduit qu'il connaît et maîtrise mieux que quiconque. Depuis le début de l'année, il a perpétré plusieurs assassinats qui portent le nombre de tués à vingt-deux. C'est cela la guerre oubliée du GIA, une guerre insidieuse, non médiatisée, ignorée, banalisée, parce qu'elle tue à petit feu, en petits tas, et ne fait pas de tapage. Elle vise les hameaux, les paysans, les agriculteurs, les automobilistes retardataires sur des routes mal éclairées, les bergers qui ont été là, au moment où il ne fallait pas se trouver. Les armes sont toujours là, elles servent encore à tuer, à se venger, et si les balles arrivent à manquer, il reste encore le moyen d'en fabriquer d'autres, de moindre qualité certes, mais tout aussi mortelles, grâce à des petits appareils rudimentaires de rembourrage et de sertissage de douilles. Sur les hauteurs de Bougara, où ont été assassinés les quatre agriculteurs, on fait mine de ne pas s'inquiéter. A côté, Magtaâ Lazreg, ancien fief du GIA, devenu station thermale huppée mais hyperquadrillée par les forces de sécurité, est le nouveau pôle d'attraction des estivants de la région. En fait, c'est autour de ces collines verdoyantes qu'activent épisodiquement les hommes du GIA. Leur aire d'activité va de Médéa à Tablat, en suivant les contreforts de Chréa, Bougara et Larbaâ. Cette zone de transhumance est la dernière portion - congrue - de cette organisation qui mène la guerre à sa manière, et - surtout - à son rythme. Depuis les huit citoyens de Médéa, il y a près de six mois, il y en eut encore trois à Bourkika, quatre à Zoubiria près de Berrouaghia, quatre à Bougara, quatre à Ouamri, en plus de deux à quatre personnes tuées dans les villages et dans des circonstances non encore élucidées. Le modus operandi ne diffère pas beaucoup d'un attentat à l'autre. Ce sont toujours des attaques qui ciblent des personnes isolées dans des endroits très peu sécurisés. C'est la stratégie du moindre coût et du moindre risque, et qui tend, d'abord, à préserver la vie des assaillants et de tuer avec un minimum de consommation de balles. Dans la durée Malgré cela, certains hommes du GIA avaient été tués à Blida, Médéa, Bougara et Larbaâ depuis une année par les forces de sécurité. Pour la seule ville de Bougara, onze terroristes demeurent à ce jour recherchés par les forces de sécurité et sont vraisemblablement les responsables de tous les actes de violence perpétrés dans l'axe Bougara-Ouled Slama-Larbaâ, depuis quelques années. On parle des irréductibles de la région : Rahmane Abdelkader, Allel Slimane, Tengali Smaïl, Sid Djamel, Aguenini Menaouer, Chama Mohamed, Senouci Sid Ali, Tengali Mohamed, Boukhalfa Abdelkader, Ben Allel Mourad et Serguini Mourad. «Boukhalfa et Tengali ont été tués il y a plusieurs années par des patrouilles militaires», nous précise un capitaine. La guerre oubliée du GIA tire sa substance du passé, des querelles, de la vengeance inassouvie et de la haine toujours renouvelée. Une guerre insidieuse qui sera encore là, qui est inscrite dans la durée. Une guerre qui ne va pas choquer grand-monde car dans l'anonymat d'un village éloigné, elle prendra la vie des petites gens qui ont le privilège ou la malchance d'être méconnues et de le rester.