«Le dossier autoroute Est-Ouest», un dossier attendu comme on attend l'arrivée du... Ramadhan Il est écrit sur les nuages que les gros dossiers doivent encore attendre avant de... Cour d'Alger. Mercredi 25 mars 2015. Au Ruisseau, la triste et morne bâtisse sise place Emiliano-Zapata commence dès 7h30 du matin à être l'objet de petits soins. Les premiers arrivés sont, comme toujours, Belkacem Zeghmati, le procureur général, et son «ombre» Abdi Benyounès, le président de cour, Mokrane, le dévoué secrétaire général et Belkacem Boulahya, le préposé à la sécurité globale des lieux. En face, les gardiens du parking se frottent les mains, c'est la journée «bénie» avec ce procès tant attendu. «Le dossier autoroute Est-Ouest», un dossier attendu comme on attend l'arrivée du... Ramadhan. Les policiers savamment placés sont discrets. Le scanner et le portail métallique sont O.K. Les appariteurs bien nippés comme l'aime bien Louh, le ministre de la Justice, doivent laisser de côté les «tape-cinq» pour des saluts discrets et fermes. Les magistrats arrivent au parking. Ils rejoignent aussitôt les 7e et 8e étages en vue d'entrer dans le vif du sujet. Il y a bien sûr Tayeb Hellali, ce magistrat à qui on a remis le dossier du jour. Il y a aussi les inévitables présidents de chambres: Amar Benkharchi de la «première» et Mohammed Regad de la «septième». En tenue irréprochable 8h 15. Les premiers avocats arrivent aussi dans une tenue irréprochable. Ceux du conseil de l'Ordre ont pignon sur le parking de la cour, le reste gare en plein parking public payant, mais excellemment surveillé. Depuis 2003, aucun vol n'a été signalé, mais des rixes, si. Maîtres Djemil Chelgham et Mahmoud Nouri garent les premiers. A l'intérieur de la cour, au premier étage, la salle qui va recevoir dans moins de deux heures les 17 accusés du dossier le plus attendu de cette session criminelle, est elle aussi l'objet de petits soins. Une question: la salle sera-t-elle aussi vaste qu'espéré, car souvent avec le nombre effarant de témoins, les journalistes commencent leur mission dans des conditions exécrables. Il faut seulement faire confiance à l'équipe chargée de l'organisation. Et voilà Nacef, l'adjoint de Zeghmati qui sort la tête de l'...ascenseur. Il descend prendre en main tout ce qui ne marche pas. Il va faire en ce jour près de 10 km à pied! L'audience étant publique, les proches des accusés et inculpés arrivent à leur tour pour arracher une place à l'intérieur de la salle. Les premiers accusés en liberté provisoire arrivent aussi. Certains qui n'ont jamais mis les pieds dans une juridiction, sont flanqués de leurs avocats. Les avocats! Ah, ces avocats! Les premiers arrivés causent toujours autour de la tenue, les vendredi, samedi et dimanche, de la Journée nationale de l'avocat. Ceux d'Alger, qui n'ont pas pu se déplacer sur la Coquette (c'est très très loin, Annaba! ouh là, là!) en sont encore autour de l'absence de nombreux confrères à El Aurassi. Maître Miloud Brahimi, pour ne pas changer, raconte la dernière à son confrère et ami de 45 ans, Saïd Mellali: «Tu sais Saïd, la dernière fois j'ai été pris dans une circulation automobile, je ne te dis pas. J'ai eu chaud!» articule Miloud qui voit Saïd cligner des yeux sous une pluie battante: «J'avais un rendez-vous important», ajoute l'avocat de la rue Larbi Ben M'hidi. «Et avec qui? Miloud?» «Avec un.... Suisse.» Nous vous laissons deviner la bonne minute de détente crachée par ce bon vieux inusable Miloud. Et voilà maître Nacéra Ouali-Tinedeghar qui pointe devant le portail d'entrée, surveillé comme le lait sur le feu... La jeune et mignonne Hinda Aïda Iguedjtal vient d'arriver de El Djamila (Aïn Bénian): «Je viens apprendre les us et coutumes des débats de la criminelle d'Alger. J'ai déjà suivi ceux de Tipasa et Blida, je suis émue de voir mes aînés à l'oeuvre», lance-t-elle le sourire brun au coin des lèvres épaisses. Maître Moue'ness Lakhdari, l'avocat blond, arrive sur les semelles avec son légendaire sourire qui illumine ses beaux yeux nets, résultat du couche-tôt de l'avocat. Maître M'hamed Yahia-Messaoud passe directement au guichet unique avant le «service confraternel» qui consiste à voir l'avocat de Abane Ramdane serrer les mains des confrères qui déambulent dans la salle des «pas perdus» en attendant l'appel de Tayeb Hellalli, le président du tribunal criminel, assisté de Hadj Mihoub Sidi Moussa et Hammadouche. A 9h, on en était encore à l'accueil. Maître Nouri entre dans la salle d'audience flanqué de ses clients chinois qui ne sont pas bien dans leur peau avec cette accusation qui leur colle, colle, colle... Maître Khaled Bergueul, pour ne pas changer, évoque le non-événement qu'a été la Journée de l'avocat: «Pour moi, c'est une grande journée pour nous remémorer le martyr Ali Boumendjel, c'est tout!». Maître Nadjib Bitam, venu de Batna, s'est plaint des conditions catastrophiques de l'état de certaines de nos routes. Maître Habib Benhadj est de passage au guichet unique. Il en profite pour saluer Maître Fatima Ladoul pour la partie civile. Maître Kamel Maâchou arrive et se dirige directement vers Maître Chenaïf qui parcourt à la va-vite un quotidien national. 9h20. Aïssa le greffier de l'audience s'assoit avec en face, une petite bouteille d'eau au cas où... 9h50. Tayeb Hellalli, le président, fait son entrée. D'emblée, il demande aux avocats debout de s'asseoir. «Il y a beaucoup de sièges vides, Maître!» dit-il avant de vérifier si les journalistes sont bien installés juste derrière les avocats. Le greffier commence l'appel des parties. Des «présent» fusent des trois cours de la salle. Maître Toufik Ouali prend place aux côtés de Maître Kourtel, Me Zoubida Amrani, Maître Mohammed Bachi est serein et Maître Farid Nachef discutent à voix basse, puis c'est le tour des accusés et inculpés -détenus et non détenus - d'être appelés. Hellali appelle Maître Brahimi, Bourayou, leurs jeunes assistants se lèvent - les «témoins» doivent être en pleine circulation.... Maître Nabil Ouali lui, fait les cent pas dans la salle comme d'habitude, il ne tient pas en place. Maître Benarbia Jr se lève au seul nom de son client. On appelle l'interprète en chinois. Elle se lève et se dirige vers la barre. Une vive discussion est engagée. Nous n'entendons rien. C'est encore pire pour l'accusé japonais! Le micro y est mais le son niet! A 10h10, c'est encore le défilé à la barre des accusés et inculpés. Hellalli vérifie (encore) l'identité de chacun d'eux. Les perturbateurs Maître Aziz Brahimi va droit sur maître Amara debout avec son «Ouissam» de la glorieuse ALN. Le président interpelle un agent: «Faites taire les perturbateurs qui se trouvent dans la salle des «pas perdus». Puis il reprend l'appel: la société suisse. La langue utilisée est le... français! Le Suisse qui s'avance d'un pas pesant n'est pas... «petit»! Maître Naziha Selmi. Le jeune huissier de salle est visiblement las à force d'être debout avec, sous les yeux, l'urne où se trouvent les jetons du tirage des jurés tout à l'heure. Un mobile retentit, Hellalli menace: «Je vais ordonner la saisie, attention!». 10h18. Maître Khaled Bourayou entre en décontracté. Maître Mohamed Fatnassi, un des doyens d'Alger, est sagement assis. Il a dû apprécier la remarque du juge qui a prié les «personnes appelées» de répondre «présent» et à haute voix! Il y a aussi des absents. C'est au tour des témoins où l'on note aussi des absents. Les parties civiles sont aussi appelées, histoire de vérifier si elles sont bel et bien présentes. Dans la foulée, nous notons beaucoup d'avocats qui viennent d'entrer dans cette noble profession. Puis, c'est le tour des avocats qui ont des questions à introduire. C'est évidemment Maître Bourayou qui entre dans l'arène: «La partie civile s'est constituée. Il s'agit du Trésor public - que les accusés récusent d'ores et déjà. C'est le parquet qui l'a constitué. Il n'en a pas le droit. Après cinq ans d'instruction, le Trésor public ne s'est jamais fait remarquer, alors que beaucoup de marchés sont passés par le Conseil des ministres.» L'avocat de Abane-Ramdane venait de balancer un pavé dans la mare. C'est lancé, le match a débuté. Maître Fatnassi s'étonne que le président ait répondu que ce n'était pas le moment d'introduire une telle question et qu'il fallait attendre le côté «civil» pour faire des observations. Les débats vont crescendo. Plus d'une quarantaine d'avocats suivent; une douzaine est debout. Maître Khaled Bergueul dit respecter le point de vue de certains confrères mais rappelle que le tribunal criminel fonctionne par la force du Code de procédure pénale: «Nous nous opposons à toute personne qui veut piétiner la loi.» «La constitution ou pas du trésor public ne nous gêne nullement car il n'a pas la décision finale du procès» s'est écrié maître Bergueul qui, à un moment, avait vu un confrère hocher la tête: «Cessez de n'importuner, je travaille! Et donc le respect doit être de rigueur!». Un bref murmure court lorsque maître Djemil Chelgham prend la parole pour proposer au président de donner acte à la défense pour son opposition à la constitution du trésor public comme partie civile. «Pseudo-victime? «Oui», Hellali remercie l'avocat et laisse maître Bachi vider ses tripes à son tour. A 11h10, le tribunal se retire en vue de délibérer autour de la question de la constitution ou non du trésor public en qualité de partie civile. Hellalli et ses deux anges gardiens de conseillers trouvent inopportun d'en parler.... Maître Akila Teldja-Drif entre sur la plante des pieds, c'est complet, ça l'est à telle enseigne que maître Mane Bokreta et maître Naziha Selmi sortent discuter le temps que le brouhaha de la barre cesse, maître Toufik Ouali, l'aîné de la «secte» du «19» est pensif. Il a terminé de relire une énième fois son mémoire. Il le trouve au top! Maître Brahimi intervient pour dire sa colère qu'en 2015, le trésor public qui n'est en rien concerné dans ce dossier vienne se constituer partie civile est «une honte pour la justice de ce pays!». Devant l'insistance de l'accusé principal à ne se présenter à la barre qu'en présence de ses avocats, dont Maître Bourdia de Paris qui n'aurait pas obtenu à temps le visa, il ne restait plus à Tayeb Hellali qu'à renvoyer le procès à une date ultérieure. Quatre heures de palabres pour un... report! C'est ça aussi la Justice algérienne respectueuse du droit sacré de la défense. A noter enfin que l'accusé principal avait, au cours de son refus d'avoir à ses côtés un conseiller algérien, lancé depuis le box: «Je n'ai confiance qu'en mon avocat.» Il venait ainsi de jeter un glaçon dans le dos des avocats nationaux qui ont tiqué sans commentaire!