Cet univers magique qu'Amine Kouider a su dépeindre a subjugué le public qui suivait dans un silence religieux l'interprétation de Carmen. L'Orchestre philharmonique d'Alger, sous la direction du maestro Amine Kouider, aura récemment gratifié le public algérois d'un moment fort agréable, par une interprétation de la Nouba Zeidane et de Carmen du compositeur français Georges Bizet. Devant un auditoire connaisseur, Amine Kouider a su montrer ses capacités dans l'orchestration à la fois d'extraits la Nouba Zeidane et de Carmen, joués avec brio par le duo Nathalie Espallier (mezzo soprano) et Pablo Vegrilla (ténor). Ce n'est pas la première fois que l'orchestre philharmonique d'Alger nous présente des symphonies à l'instar de Sherazad de Rirnaky Korsakov et des compositions d'Iguerbouchen, ou encore des oeuvres de Mozart, Beethoven, Tchaikovski, Strauss, Chopin et tant d'autres grands noms de la musique. La dernière prestation de l'orchestre philharmonique d'Alger, fin décembre écoulé, qui a eu pour cadre, successivement, l'Auditorium de la Radio et le Palais de la Culture, a replongé l'assistance dans l'Andalousie de l'Age d'or. Ce n'est point par hasard qu'Amine Kouider a exécuté comme prélude aux extraits de l'Opéra Carmen, la Nouba Zeidane dans un Darj «El Haoua Dhal Al Oussoud ; Aâtouf wa joud Bi Alladhi An châa Bahak» (L'amour qui humilie les lions ; Soyez cléments pour ceux qui ont créé votre beauté). C'est dans l'Andalousie mondaine que cette nouba fut exécutée pour la première fois par Zyriab et qui inspirera Camille de Saint-Saens, dans sa Danse affolante. Dans ce jeu sémantique de symboles, et de signes, dont seule la prosodie arabe connaît les secrets, par ses métaphores impétueuses de brûlante frénésie, que l'Orchestre phoilharmonique d'Alger a su faire vibrer par accords interposés, découvrant jusqu'au coeur du partenaire, battant comme une muse au rythme d'une mélodie transcendantale. Et pourtant, c'est de Carmen qu'il s'agira, après une heureuse transition vers l'Opéra, magistralement réussie par l'Orchestre philharmonique d'Alger. Un orchestre dont la cinquantaine de musiciens a su merveilleusement traduire toutes les nuances de l'oeuvre de Georges Bizet, ô combien critiquée en son temps par un public effarouché par sa hardiesse, rompant avec les canons d'alors, par la mise en scène d'une antithèse de l'héroïne bien pensante et le choix d'une fin tragique. II aura fallu attendre les grands compositeurs Brahms et Wagner, pour que l'opéra Carmen soit réhabilité. Une réhabilitation à titre posthume, alors bien que Bizet avait, dès ses dix-huit ans, bénéficié des faveurs d'un jury pour sa cantate Clovis et Clotilde et que sa musique fut consacrée par le prix de Rome pour le sérieux de son exécution. Bizet, auquel Berlioz prodigua les plus belles louanges dans sa chronique musicale du Journal des Débats. Car Bizet était de ces virtuoses admirés jusque par le grand Liszt, pour sa dextérité au piano. De la danse bohémienne aux grandes variations chromatiques, Bizet cherchant le succès et le prestige, épousera Geneviève Halevy, la fille de son maître, mais son incorporation dans la Garde nationale, au moment du siège de Paris, le fait penser à partir loin de ce qu'il affirme lui-même à sa belle-mère, être «la fureur des Blancs et des Rouges, où il n'y aura plus de place pour les honnêtes gens, où la musique n'aura plus rien à faire et qu'il faudra s'expatrier». Mais, en fin de compte, Bizet adhérera au parti de l'ordre et de la peur, qui écrasa les Communards et rentre à Paris en 1871. C'est là que Bizet tente de monter Djamileh d'après Namouna d'Alfred de Musset. Cet opéra dans lequel Bizet, remaniant son art musical, se rapproche de Verdi dans Ayda, peut répondre à un mode de partitions «orientalisantes». Las ! On critiqua les «platitudes» de la composition de Djamileh, et Bizet de se reprendre pour s'investir dans l'opéra intitulé Patrie, qui en revanche, eut un beau succès, le souvenir de la guerre franco-prussienne et des autres guerres du Second Empire, pouvant expliquer cet engouement, que l'on retrouve dans l'oeuvre de Prosper Merimée et dans le personnage de Carmen. C'est en s'inspirant de la trame de la nouvelle de Merimée «Carmen», que Bizet, monte un opéra-comique sous le même titre. Carmen est cette gitane de Séville qui s'amourache d'un jeune officier, Don José, qui tombant sous son charme, en oublie sa promise fiancée Micaela. Voyez donc, tout près de la manufacture de tabac (inspirant une célèbre marque), José regardant la fleur de cassis lancée par Carmen, répliquant «Coupe-moi, brûle-moi, je ne te dirai rien! Je brave tout, le feu, le fer et le ciel même», s'ensuit un dialogue poignant où Carmen et Don José nous dévoilent le fatal dénouement. Carmen est le diminutif de Carmencita, cette gitane, cette héroïne de basse condition, dont Mérimée affirme détenir l'histoire d'un Basque chrétien de haute noblesse engagé dans les Dragons et envoyé dans une manufacture de tabac à Séville, où travaillent plus de 500 femmes, qu'il aurait rencontrée à Cordoue. Jeux de sentiments, rixes, duels et scènes de jalousie, feront que cette oeuvre de Bizet soit vue comme indécente par le public de son époque, mais elle sera réhabilitée pour devenir l'opéra le plus joué au monde et une source d'inspiration de nombreux films, dont les plus récentes adaptations de Carlos Saura en 1983 et de Francesco Rosi en 1984. Devenu un véritable mythe, jusqu'à inspirer le monde de la publicité et de la consommation, Carmen fera la gloire de Georges Bizet. Une gloire qui pour être posthume, imposera le compositeur à l'univers de la musique universelle. Cet univers magique, tout en palettes musicales, qu'Amine Kouider a su dépeindre grâce à une partition lyrique dirigée avec une maestria telle que le public, subjugué, suivait dans un silence religieux l'interprétation de Carmen. Mais la magie ne se dissipa pas aux dernières notes de l'Orchestre philharmonique d'Alger, car tombé sous le charme, le public en redemande. Nous en faisant les plaideurs, nous ne manquons pas de souffler au maestro l'idée de présenter à l'avenir Djamileh. Cet opéra qui nous fera retrouver cet univers oriental d'antan, à travers son langage harmonique savoureux, qui nous emportera en symbiose avec les plus belles mélodies arabes. Amine a su nous faire voyager, par sa verve mélodique, à Séville, qu'il nous fasse donc, encore une fois, succomber au charme de son tapis volant. Ce n'est donc qu'un au revoir, en attendant Djamileh.