Pour les Etats-Unis confondre Daesh et l'armée syrienne est juste une «erreur» La Russie a appelé les Etats-Unis à «prendre des mesures pour éviter de tels incidents à l'avenir... Les actions des pilotes, s'ils n'obéissaient pas, comme nous l'espérons, à des ordres de Washington, vont de la négligence criminelle au soutien direct aux terroristes de l'EI», souligne le communiqué russe. Au lendemain du bombardement par l'aviation de la coalition internationale, emmenée par les Etats-Unis, des positions de l'armée syrienne à Deir Ezzor, faisant selon l'OSDH 90 morts et plusieurs dizaines de blessés, la Russie est montée au créneau pour dénoncer cette «bavure» et exiger une enquête approfondie sur les causes effectives de ce que Washington qualifie de regrettable erreur. Moscou insiste par différents canaux, entre autres le Kremlin et le ministère de la Défense russe, pour obtenir des explications alors que l'ambassadrice américaine à l'ONU Samantha Power a réitéré des «regrets» pour cette frappe erronée de la coalition menée par les Etats-Unis contre une position militaire syrienne tout en accusant la Russie de chercher à «monter un coup» en convoquant le Conseil de sécurité. La frappe, qui a tué des dizaines de soldats syriens, «n'était pas intentionnelle et nous regrettons bien sûr les pertes en vies humaines», a affirmé Mme Power à la presse puis elle s'est livrée à une violente diatribe contre Moscou qui a convoqué une réunion du Conseil de sécurité pour cette bavure, reprochant pêle-mêle à Moscou son «moralisme, sa mise en scène et son cynisme». Pour étayer son argumentation, elle a riposté avec des attaques sur le fait «que le régime syrien frappait volontairement des cibles civiles avec une régularité effrayante», accusant la Russie de «ne rien faire pour l'en empêcher». Ainsi, a-t-elle brandi la carte de la soi-disante utilisation des armes chimiques par le régime de Bachar al-Assad qui, affirme-t-elle, «a torturé des milliers de prisonniers». Et Samantha Power s'effarouche en concluant que «pourtant, face à tant d'atrocités, jamais la Russie n'a exprimé sa consternation ni demandé une réunion d'urgence du Conseil», la qualifiant de «diversion». Ainsi formulée, la position des Etats-Unis apparaît bien plus qu'ambivalente et confirme le «manque de transparence» évoqué hier par le président russe Vladimir Poutine. Non seulement, les Etats- Unis ont violé leur engagement à ne pas viser les positions syriennes mais, étrangement, ils tentent de justifier l'injustifiable en cherchant à se dédouaner d'une frappe qui n'est rien d'autre qu'un coup de couteau porté à la trêve par certaines factions terroristes que Washington se refuse à reconnaître comme telles. Dés lors, l'ambassadeur russe à l'ONU, Vitali Tchourkine, craint que l'incident soit un «mauvais présage» pour la survie de cet accord et préfigure le peu de chances pour que «(les Etats-Unis) trouvent un moyen de convaincre tout le monde qu'il sont sérieux à propos d'un règlement politique en Syrie et de la lutte commune contre les terroristes». Ceci, on le saura mercredi prochain, lors de la rencontre qu'auront les ministres des Affaires étrangères russe et américain, Serguei Lavrov et John Kerry, en marge d'une réunion du Conseil de sécurité sur la Syrie, dans le cadre de l'assemblée générale de l'ONU. Entre-temps, l'armée syrienne est repartie à l'offensive dès hier pour reprendre les positions investies à la faveur du bombardement coalisé par le groupe Etat islamique (EI) à Deir Ezzor et dans sa périphérie. Une source militaire syrienne a indiqué que «l'armée a repris la plupart de ses positions sur le mont Thourda, soutenue par une couverture aérienne russo-syrienne. L'aviation des deux pays a bombardé les abords de l'aéroport, des quartiers tenus par les jihadistes et la route reliant Deir Ezzor à Mayadine, plus au sud». Outre la ville de Deir Ezzor, le mont Thourda est stratégique parce qu'il domine l'aéroport militaire tenu par l'armée syrienne qui doit empêcher Daesh de menacer, avec son artillerie, la circulation aérienne. raids et bombardements se succèdent dans cette zone où l'EI tente de maintenir ses positions, malgré la perte, hier, de trente terroristes. Il faut dire que Daesh est en perte de vitesse sur tous les fronts, notamment à Alep et aux environs de Damas et que ses principales forces sont délibérément concentrées sur Deir Ezzor, un axe vital pour son repli éventuel vers Mossoul, en Irak, où l'organisation terroriste fait également face à une importante offensive de l'armée irakienne. Depuis plusieurs mois, l'armée syrienne secondée par l'aviation du régime et celle de la Russie tente de briser la mainmise de l'EI sur la quasi-totalité de cette province, les troupes du président Bachar al Assad ne contrôlant que l'aéroport et quelques quartiers de cette ville stratégique. Le bombardement meurtrier intervenu à Deir Ezzor était-il destiné à handicaper la progression de l'armée syrienne et à favoriser celle des factions rebelles? Pour Moscou, il ne fait aucun doute que la prétendue «opposition modérée» se cache derrière cette frappe qui constitue un coup, sinon fatal, du moins gravement préjudiciable, au cessez-le-feu conclu tout juste cinq jours auparavant. La trêve, déjà particulièrement fragile au regard des manoeuvres et des arrière-pensées de cette «opposition modérée», est ainsi mise à mal alors que la surenchère des Etats-Unis, en écho aux autres pays membres de la coalition, redouble opportunément pour «exiger» l'acheminement de l'aide humanitaire au profit des zones rebelles assiégées. Une aide dont les tenants et les aboutissants demeurent incertains puisque Fateh al Cham, anciennement Jabhat al Nosra, groupe syrien d'Al Qaïda, est à la tête des factions rebelles et entretient des relations, plus ou moins avouées, avec Daesh. Une ambiguïté qui n'empêche nullement les négociateurs américains de traîner les pieds pour inscrire sur la liste des mouvements terroristes certaines de ces mouvances islamistes financées et diligentées par certains Etats arabes du Golfe. Le cessez-le-feu a-t-il échoué? Pour la Russie, la question est pendante et les prochaines quarante-huit heures vont être déterminantes pour une réponse adéquate. Comme il est plus que probable que l'incident soit classé sans suite par le Conseil de sécurité de l'ONU, la condamnation de la frappe réclamée par Damas n'ayant aucune chance d'aboutir, il restera ces «explications complètes et détaillées» du Commandement des forces américaines au Moyen- Orient (Centcom) qui affirme que «les forces de la coalition pensaient qu'elles frappaient une position de combat de l'EI qu'elles suivaient depuis un certain temps avant le bombardement» et que «la coalition ne ciblerait jamais intentionnellement une unité militaire syrienne». Le ministère russe de la Défense qui a récemment informé les Etats-Unis de la présence d'un «important groupement de combattants armés dans le nord de la province de Hama (centre) et de sa tentative éventuelle d'y lancer une offensive» va-t-il transcender tous ces problèmes pour ne songer qu'à préserver une trêve que nombreux sont les camps désireux de la voir échouer? Militaires et politiques syriens et russes ont pris la mesure des manoeuvres dilatoires et de la duplicité qui anime bon nombre des parties mobilisées au sein de la coalition conduite par les Etats- Unis et leur volonté de concentrer les efforts sur l'éradication de l'EI pourrait céder face aux coups de boutoir incessants de cette «opposition modérée» dont la composante suscite bien plus que des doutes.