Mal connaître leur histoire, mène les peuples à retomber dans les mêmes pièges de «l'histoire». lorsqu'on ignore son passé, on est amené souvent à refaire les mêmes erreurs, c'est l'une des suggestions que l'on peut dégager à la lecture de Le retour d'Ibn Toumert de l'écrivain romancier Salim Saâdoun réédité et en vente dans les librairies algériennes. Auteur de plusieurs ouvrages dont Femme de pierres publié à l'Enal en 1989, Le puits des anges en 2003, cet ancien enseignant de français né dans la région de Haïzer vient de rééditer son roman, Le retour d'Ibn Toumert dans lequel il retourne, une seconde fois, dans sa quête de l'identité, à un personnage qui a marqué d'une main de fer son époque, Ibn Toumert ou le Mehdi. Ce personnage amazigh fondateur du règne de la dynastie almohade a mis l'épée au service de la religion pour régner avec une si rare violence. Entre les lignes du roman de Saâdoun, on peut lire les affres que les populations de l'époque ont dû subir sous son règne où la religion a été réduite à son extrême conception. Dans une myriade métaphorique, l'auteur nous ramène à notre époque, mais encore sous le choc de l'extrémisme religieux de ces siècles qui ont suivi la chute de la dynastie almoravide et l'émergence de celle des Almohades. L'auteur nous ramène en effet à une autre époque, la nôtre, qui vient juste de sortir des griffes sanguinaires de l'intégrisme religieux des années 90. Le peuple algérien venait de sortir, mais vit encore ses balbutiements inquiétants d'une vision réductrice, rigoriste et extrémiste de la religion. Deux époques marquées par la montée de la pensée religieuse rigide, réductrice et extrémiste qui rappelle, avec des traces indélébiles pourtant, que les peuples qui oublient, ignorent ou renient leur histoire sont condamnés à revivre les mêmes erreurs. Le roman se lit d'un seul élan tellement le lecteur se retrouve porté par la succession des événements et les chassés-croisés entre les questionnements sans fin du héros inconnu d'ailleurs. Toutefois, on ne pouvait lire toutes les lignes et entre les lignes sans faire parler l'auteur. C'est pourquoi, nous lui avons posé quelques questions et il nous a sympathiquement répondu. L'Expression: En fait, nous aimerions comprendre pourquoi vous évoquez et vous titrez Ibn Toumert alors que vous décrivez la situation actuelle. Vous faites un rapport? Slimane Saâdoun:Mon dernier roman porte en effet le titre de Le retour d'Ibn Toumert. La réponse à votre question risque d'être longue, car je ne veux pas qu'il y ait d'ambiguïté. Je ne m'intéresse pas à l'homme dont on connaît l'oeuvre, le parcours, la doctrine, mais aux méthodes qu'il avait employées pour mettre à bas la dynastie des Almoravides et réussir à installer la dynastie des Almohades. Si on n'est pas en mesure de porter un jugement sur les méthodes qu'il a utilisées vu le contexte de l'époque, par contre les mêmes méthodes employées de nos jours peuvent difficilement être acceptées. En effet, on assiste chaque jour dans notre pays et dans le monde à des velléités de mainmise sur la société qui rappellent l'atmosphère du temps d'Ibn Toumert. Son rigorisme allait jusqu'à interdire toute distraction, dont la danse et la musique. On raconte même qu'un jour il s'est mis en colère contre la soeur du calife et ses suivantes parce qu'elles se promenaient dans la rue le visage découvert, et qu'il les a poursuivies en frappant les mules de son bâton au point de faire tomber de sa mule la soeur du calife. La pratique des rites religieux était obligatoire. Le moindre soupçon de tiédeur dans la pratique religieuse porté sur un individu ou un groupe d'individus entraînait l'extermination. C'est ainsi que Ibn Toumert ordonna l'exécution de toute une tribu, plus de 15000 personnes, car elle était considérée comme peu sûre. Autre analogie avec la période d'Ibn Toumert: il avait une aversion profonde pour toute interprétation personnelle du Coran et de la Sunna. C'est lui, et lui seul, en qualité d'imam impeccable, infaillible, qui déterminait l'interprétation à donner aux textes. Pour le Mehdi, il y avait le Coran et la Sunna d'un côté, et l'épée de l'autre. Pour lui, l'acte de penser était un crime, un sacrilège, un blasphème! Et aujourd'hui, on n'apprend plus aux jeunes générations à réfléchir, on leur apprend à répéter, à appliquer. On leur présente des modèles, des exemples de comportement et on exige d'eux de les suivre. Seuls les théologiens ont le droit de réfléchir. Leur rôle est de présenter le résultat de leur réflexion. Et aux autres d'appliquer. En lisant le profil que vous dressez d'Ibn Toumert et de son époque, on se rend compte que notre société a vécu déjà les affres de la conception extrémiste de la religion. La tragédie des années 90 n'est donc pas la première. Elle est la conséquence de l'ignorance de notre histoire. Qu'en pensez-vous? Oui, c'est le sens même du titre. Ce n'est pas le personnage lui-même qui est revenu, mais ses méthodes, la vision du monde qu'on veut imposer par la force à un peuple. Ce n'est pas seulement l'ignorance de l'histoire qui est la cause, mais c'est aussi la volonté délibérée de faire table rase de tout ce qui représente l'authenticité illustrée par les langues, l'histoire ainsi que les modes de vie et de penser. Le même personnage, c'est-à-dire Ibn Toumert, vous l'évoquez aussi dans votre premier roman Le puits des anges. édité chez L'Harmattan. Expliquez-nous un peu... Oui, je fais référence à Ibn Toumert dans mon roman Le puits des anges paru chez l'Harmattan (Paris) en 2003. Le titre renvoie justement à une méthode employée par le Mehdi pour se débarrasser de ses ennemis et de tous ceux dont il craignait la trahison. Abusant de la crédulité des gens, il leur fit croire que des anges cachés dans un puits pouvaient attester de la capacité d'un de ses proches à distinguer les bons des mauvais. Le résultat fut que l'individu (El Wancharissi pour l'Histoire) désigna, selon les historiens, des milliers de gens comme des réprouvés qui furent mis à mort. Je fais référence à ce personnage dans le même but: montrer que le retour des pratiques du temps d'Ibn Toumert sont anachroniques, inadmissibles aujourd'hui. Qui est le personnage qui évoque sans cesse son identité, qui cherche à comprendre l'amour, la vie. Bref une vision philosophique de la vie. Cherche-t-il le présent ou le passé? Anwa, le personnage principal du roman, est un jeune homme qui poursuit en fait trois quêtes. La première est celle de son identité personnelle, de ses origines, il veut savoir qui sont ses parents, ce qu'ils sont devenus. La deuxième quête se rapporte à son pays. Il veut connaître l'histoire de son pays dont le contenu est falsifié, faussé, malmené, travesti, dont les personnages historiques mis en avant ne représentent ni modèle ni repère pour la jeunesse, un pays dont on veut même travestir la géographie, puisqu'on veut le détacher de son emplacement géographique naturel pour l'ancrer à un autre continent. La troisième quête concerne le mystère de la femme. Le jeune homme a vécu dans une société où les filles et les garçons sont séparés dès l'age de 6 ans, dans laquelle les hommes et les femmes ne se connaissent pas, ne se voient pas. Le jeune homme veut savoir ce qu'est une femme, en quoi elle est différente de l'homme, pourquoi elle représente un danger pour l'homme selon ce qu'on lui apprend. Et paradoxalement, c'est la rencontre d'une femme, le deuxième personnage principal, Nouara, qui va l'aider à trouver des réponses à ses trois quêtes: à découvrir la vérité sur ses parents, puis sur son pays et enfin à lever le voile sur le mystère de la femme à travers sa relation avec elle. En quelque sorte, la femme représente le secours, le salut, contrairement à ce qu'on raconte. Bien entendu, il cherche à connaître le passé, à rétablir la vérité sur lui-même, sur son pays et sur la femme pour pouvoir partir du bon pied. La chute optimiste de votre roman qui se matérialise par la destruction du cheval de Troie parle-t-elle d'un avenir heureux? Optimiste... Je ne sais pas. Je constate que la condition de notre survie est dans la destruction du cheval de Troie. On a affaire à une vente concomitante: on veut nous fourguer une culture qui n'est pas la nôtre avec la religion. Parlez-nous aussi des principales sources d'inspiration en tant qu'écrivain. Je m'inspire de ma vie quotidienne, de celle de mes enfants et de la situation du pays. Mais mes préoccupations essentielles, dans mes projets d'écriture, sont en permanence liées à quelques thèmes récurrents: l'identité, la femme, la liberté... D'autres projets d'écriture à l'avenir? Oui, sûrement, j'ai envie de toucher un peu à d'autres genres littéraires. Après un recueil de nouvelles, La femme de pierre, qu'une maison de Tizi a bien voulu rééditer (Editions Numidie), une nouvelle fois, une recueil de poésie, Soleil d'outre-tombe, je suis sur un roman historique que je compte achever d'ici la fin de l'année et j'ai envie d'écrire un roman d'amour dans lequel la femme dira sa misère et son besoin de liberté.