Une artiste vraie, et bourrée de talent Emue, Nawell Madani fond en larmes devant son public lorsqu'elle a fini de se produire samedi à l'opéra d' Alger après avoir donné quatre représentations suite à l'organisation de la première édition du festival «Alger mon humour». Une manifestation que l'humoriste belge d'origine algérienne espère pouvoir pérenniser, pour peu qu'elle trouve ici des gens qui croient en elle, en son projet. Samedi soir pour clôturer cet événement, elle fera rentrer sur scène Djamil pour interpréter devant un public qui reprenait en coeur sa fameuse chanson «hchich ou pois chiche». Fatiguée mais téméraire Nawell Madani restera jusqu'à deux heures du matin encore sur les planches de l'opéra, pour peaufiner certaines séquences de son spectacle qui, en plus de son voyage à Alger mais aussi à Oran, en résultera un documentaire qui sera diffusé à la télé au printemps. Perfectionniste, Nawell Madani ne sentant plus ses jambes continuait pourtant inlassablement à répéter ses chorégraphies, entourée qu'elle était de son équipe et proches collaborateurs dont sa soeur, mais aussi sa mère qui, bien que cachée dans les coulisses, reste bien présente même si l'on parle beaucoup plus au final de son père. Mais toujours délicate et bienveillante Nawell Madani est toujours là pour contenter tout le monde. D'où cet entretien réalisé à deux heures du mat...En toute simplicité avec une artiste vraie, et bourrée de talent. L'Expression: Dans quel état d'esprit êtes-vous maintenant que vous venez de finir toute cette organisation folle de trois jours de spectacle d'affilée? Nawell Madani: Je suis très heureuse parce que l'accueil du public était extraordinaire. Il n'y a rien à dire. Commencer par le standing ovation et finir avec un public qui vous donne autant d'amour. C'est pour cela que j'ai craqué d'ailleurs. Oui j'ai pleuré à la fin, car j'étais en harmonie totale avec le public. J'ai reçu beaucoup d'amour et beaucoup de partage. Ces quatre représentations en trois jours, c'est tout un travail. Il a fallu faire avec les moyens du bord, mais il n'y avait pas les moyens techniques que j'attendais. On a dû travailler avec des moyens tunisiens, ceux qu'il y avait au théâtre, combinés avec des gens de France. On ne pouvait pas ramener de grosses choses. On a été limité dans le temps. Pourquoi l'opéra d'Alger? Parce qu'il n'y a pas d'autres espaces. Si vous jouez à la coupole, ceux qui sont à côté perdent complètement le spectacle, il y a tellement de monde qu'il n'y a pas de proximité avec le public. Et moi j'aime bien improviser et voir mon public et pour une captation filmique, il faut un nombre raisonnable de monde, sinon vous jouez devant un écran noir c'est comme au zénith. Une salle à quatre, cinq mille il n'y a pas d'échange, je voulais qu'il y ait cette ferveur et cet aspect un peu familial. En plus vous avez déclaré que vous n'alliez pas être payée. Ce qui s'est passé c'est que pour que ce projet existe il a fallu faire plusieurs dates. Je suis venue plusieurs fois pour chercher des sponsors. Mais je n'en ai pas eu. Ensuite pour que ça puisse exister, on a chiffré la billetterie et on s'est dit avec quatre représentations on peut donner cette qualité de spectacle. Il n'y a pas que la lumière qu'on paye, il y avait la captation, neuf caméras, une grue... il y a beaucoup de danseurs, et de techniciens qui viennent d'Europe donc qui sont payés en euros et déclarés. Donc ça chiffre très vite. Il y a énormément de staff. Il y a plus de 50 personnes. Et malgré ça, l'organisation locale, j'entends par là les agents de sécurité qui n'ont pas joué le jeu parce qu'ils ont laissé rentrer des gens. Il y a eu beaucoup de fuites. Des gens qui étaient venus de Sidi Bel Abbès, qui ont fait 4 heures, 5 heures de route qui n'ont pas pu rentrer à mon spectacle, ils avaient acheté le ticket. Il y a notre organisation et l'organisation locale et malgré l'effectif qu'on a la sécurité locale vous fait rentrer trois, quatre personnes qui prennent les places de gens qui ont payé. On a eu cela tous les soirs. Des gens qui avaient payé leurs places se retrouvaient sur des chaises sur les escaliers. On est venu avec un gros staff mais localement cela n'a pas suivi. Dommage! On a reçu beaucoup de plaintes par rapport à ça. Mais ce sont les aléas des premières. Il y avait une forte demande mais on n'a pas pu contenter tout le monde. On vous sent beaucoup émue et très aimante envers votre public parce que vous rêviez depuis longtemps de venir vous produire en Algérie mais pour donner quelque chose d'exceptionnel... De qualité oui. Parce que j'ai déjà vu des spectacles en Algérie.. On vous a vue dans Alge'Rire.. Oui c'est moi qui les ai poussés. Je leur ai présenté le comte de Bouderbala et d'autres humoristes. J'ai essayé de leur donner quelques conseils mais en termes de direction artistique, il n'y avait pas vraiment quelque chose qui tenait la route. J'ai essayé de les soutenir du mieux que je pouvais. Comme vous avez remarqué je suis une perfectionniste, j'offre de la qualité à mon public. Je suis venue deux fois pour faire Alge'Rire. Quand je suis venue pour la première édition je me suis dit que c'est une première, ils se font la main... Je suis revenue et c'était toujours autant approximatif. Ils avaient une très grande motivation. Mais derrière, tu ne fais pas un spectacle comme ça, sans un directeur artistique, sans un temps de répétition, sans être dans la précision. A partir du moment où les gens payent un billet peu importe le tarif, peut-être que ce sont des gens qui n'arrivent pas à joindre les deux bouts, il faut que cela soit parfait. Hier, une dame m'a dit: «J'ai un cancer, c'est le dernier moment que je passe avec mes enfants, je voulais qu'on vive un moment ensemble.» Il y a une dame qui m'a dit: «J'ai perdu mon mari cela fait deux ans que je ne suis pas sortie de chez moi. Je n'ai plus le goût de sortir et vous m' avez redonné l'envie de rire et que la vie continue.» Quand vous avez des gens comme ça, vous ne pouvez pas faire n'importe quoi... Vous sentez une certaine responsabilité qui vous incombe... Exactement. Je connais le salaire algérien, le Smig. Mais les gens viennent en famille, ils veulent partager cela avec leurs femmes et leurs enfants. Je dois moi sur scène donner plus qu'ailleurs, le maximum. Justement, vous passez de la scène au cinéma. Certains disent que votre film est un biopic mais vous, vous dites que c'est faux. Mais j'ai trouvé qu' il y avait beaucoup de choses de vous dans ce film... Non, ce n'est pas un biopic. Ma mère existe. Moi j'ai galéré 12 ans. J'ai vécu des choses beaucoup plus graves que dans le film. J'ai perdu beaucoup de gens sur la route. Je suis tombée malade et puis j'ai perdu ma voix. Je ne pouvais plus monter sur scène, j'ai eu des nodules aux cordes vocales. Et je la perds d'ailleurs assez facticement. J'ai failli devenir aphone. Au moment où j'ai commencé à toucher le succès ma voix s'est éteinte. Mon rêve, je l'ai vu disparaître du jour au lendemain. Il y a plein de choses que je n'ai pas relatées. J'ai édulcoré pour que ça reste de la comédie quand même. C'est inspiré de certains faits parce que je voulais que ça sonne juste, authentique pour que ça soit précis mais ce n'est pas ma vie. J'ai cru comprendre que vous avez galéré aussi pour avoir les musiques dans votre film... Exactement. J'avais pas d'argent. Je suis coréalisatrice, coscénaritse et maintenant productrice. En fait, je suis devenue productrice à mes dépens. Moi je fais les choses avec le coeur. Les gens ne se battent pas autant comme vous. Et quand je suis arrivée presque à la fin de mon tournage ma production a fait faillite. Le cinéma va très mal en France. Et pourtant, c'était un grand producteur et il n'avait plus d'argent pour le terminer. J'ai dû faire un levé de fond pour terminer le film et payer la musique. Parce que j'avais déjà monté mon film. S'il fallait que j'abandonne, il aurait fallu que je remonte et casse complètement le film. Il y avait des chorégraphies qui étaient faites sur de la musique que je devais avoir dans mon film de Beyoncé, Michael Jackson, Chaka Khan... ça coûte très cher. Il y a des musiques où j'ai mis un an et demi pour avoir les autorisations. Celle qui devait jouer votre mère est décédée entre-temps. Pourriez-vous raconter cette histoire svp? Une personne avec laquelle j'ai commencé à écrire. Elle devait jouer ma mère. Elle a eu un cancer pendant ma prépa de film. Je croyais qu'elle allait nous rejoindre. Elle allait être présente dans le film de près ou de loin. Elle a commencé à écrire avec moi et après je me suis fait aider par d'autres scénaristes. C'est une actrice d'une cinquantaine d'années qui s'appelait Akila Sari. Vous savez, c'est fou, parce qu'on a vécu une histoire extraordinaire... Cela faisait près de 30 ans qu'elle n'était pas venue en Algérie et sa mère avait une magnifique villa en bord de mer. On a appris qu'elle avait une tumeur au cerveau. On est revenu ensemble en Algérie. On était à l'aéroport, on a commencé à rouler et je ne l'entends plus parler. Elle commence à pleurer. Alors qu'elle disait quelle n'était pas attachée à l'Algérie. Elle finit par me dire: «On est amoureux de ce pays à vie.» Elle s' en est rendu compte ici. Sa mère allait nous quitter alors on a fait tous les papiers pour récupérer la maison de sa mère et on l'a enterrée. Et quand on est rentré en France, elle avait mal au dos... Elle fait une radio et on apprend qu'elle a le cancer. On devait préparer le film. Je lui ai dit: «Soigne-toi et rejoins-nous mais en fait elle ne nous a jamais rejoins. Je la remercie à la fin du générique. C'était une femme extraordinaire, d'une intelligence rare. On avait rêvé de ce festival ensemble... Vous avez donc décidé de le lancer carrément ce festival, c'est bien décidé? C'est la première édition et j'espère que maintenant il va y avoir des gens qui auront envie de nous aider. J'aimerais ramener de plus gros guest. Mais il faut les payer bien sûr. Je ne peux plus faire ramener des gens comme ça. C'est ridicule ce que l'on vit. Mais voilà, on l'a fait. J'espère que ça va donner envie aux Algériens de nous aider. Parce que tous les pays ont leur festival d'humour qui rayonne à l'international. J'aimerai que mon pays ait son festival. Je me bats aussi pour ouvrir une académie d'art. Une petite école de théâtre, chant, danse et stand up. C'est comme dans toutes les écoles en France. Au Maroc, ils en ont. C'est un peu comme Fame, avec des horaires pour chaque discipline. Il y aura une salle de théâtre pour jouer, une salle de danse avec miroir où il y a un roulement de danse etc Mais vous reviendrez vous installer en Algérie. Vous en seriez la directrice, comment cela va se passer? On prendra des professeurs avec des rotations. Je viendrai faire des stages, je suivrai pour que tout se passe correctement et je viendrai initier les jeunes acteurs, les jeunes humoristes une fois par mois. Je prendrai des profs d'ici et de là-bas. Il y en a ici de très bons que j'ai rencontrés. De très bons danseurs qui savent très bien danser en solo, mais ils n'ont aucune notion de chorographie et ils n'ont pas de polyvalence. Ils ne savent que la break dance et quand on fait partie d'une compagnie, il faut toucher un peu à tout, au contemporain, au classique, au collectif.. J'aimerais initier des jeunes et moins jeunes à tout ça... Vous avez rencontré le ministre de la Culture. Vous lui en avez parlé? Oui. Le message est lancé. Après, une école ça ne demande pas grand-chose. C'est un lieu et après c'est de l'humain. On aura trois ou quatre professeurs de théâtre, deux de danse, avec les élèves qui vont payer on peut s'agrandir, mais il faut au moins qu'elle existe! Il faut que les jeunes puissent pousser ses portes et qu'ils puissent s'exprimer. Ce n'est pas normal que les jeunes ne trouvent pas d'école de théâtre, de stand up d'acteur, d'improvisation... Aujourd'hui vous préférez être réalisatrice ou comédienne? Je préfère être réalisatrice. La mise en scène ça me plaît plus que le jeu. Je préfère être derrière la caméra. Mon bonheur c'est d'être dans les coulisses et voir Chouchou tout déchirer. Quand je vois un jeune comme ça qui vient de Bel Abbès, c'est lui qui subvient aux besoin de sa maman, il joue dans des mariages, quand je vois qu'il déchire comme ça à l'opéra d'Alger c'est qu'il est bon! Quand il me dit c'est mon plus beau jour de ma vie, ma mère est là. Qu'est-ce tu veux que je te dise après ça? Vous avez fait beaucoup de belles rencontres depuis que vous êtes venue en Algérie? Oui artistiquement, j'ai fait plein de belles rencontres. Les gens étaient très heureux de nous accueillir dans la salle. Les Algériens sont exigeants. Et les entendre dire «hata!» c'est qu'ils sont contents. Un prochain scénario sur le feu alors? J'écris un deuxième film. Cette fois cela ne va pas être inspiré de ma vie. La boucle est bouclée. Même mon film je ne voulais pas le faire sur mon histoire. C'est le producteur qui avait aimé le spectacle et qui m'a dit que ce serait bien de s'inspirer de cette fierté d'aller à la conquête de mon père, il me disait qu'il fallait qu'on fasse un film. Le film sur Diams ça va mettre un peu plus de temps. Je n'ai pas envie de repartir dans une galère pour les autorisations. En fait, je suis sur plusieurs pitchs. Je n'ai pas qu'un seul. J'ai plusieurs producteurs qui veulent travailler avec moi. Franchement, j'ai plein d'histoires en tête. Quand on écrit le pitch on pense toujours que c'est une bonne idée et quand on passe au traitement on voit que ça ne peut pas tenir un scénario. On a lancé trois pitchs avec des coscénaristes. Pour vous dire, je voudrais carrément faire un film sur la vie de Khaled. Parce que je trouve cela extraordinaire son parcours, il vient d'Oran, il ne parlait pas français et il se retrouve à travailler avec Jean-Jacques Goldman... il était perdu, puis il s'est retrouvé, ce sont les aléas de la vie. Personne n'a encore fait une histoire sur un chanteur de raï. Khaled est connu sur un plan international. Son histoire est celle d'une épopée. C'est comme Rocky Balboa, c'est sans fin, les épopées, je trouve que ce sont des road-movies qui se terminent bien et j'adore ça! Ce sont des histoires qui m'ont inspirée, Billy Elliot, Flash dance, Million Dollar Baby..mais aussi Whiplash un film fantastique sur un batteur et la réalisation est dingue et puis Moonlight que j'ai beaucoup aimé...