Le Mali a maintenu l'organisation, hier, du second tour des législatives en dépit d'un contexte fébrile marqué par les attaques terroristes, la progression dans le pays du nouveau coronavirus et le rapt du principal opposant au régime du président Ibrahim Boubacar Keïta. Ces tensions, déjà présentes au premier tour du scrutin le 20 mars, n'avaient pas empêché sa tenue. «En démocratie, rien ne vaut la pleine légalité constitutionnelle ainsi que le jeu normal des institutions», a déclaré récemment le président Ibrahim Boubacar Keïta, dans un message à la nation, masque protecteur sur le visage. La majorité de la classe politique soutient le maintien de ce scrutin plusieurs fois reporté. Les bureaux de vote devaient ouvrir dimanche de 08h00 à 18h00. Les premiers résultats provisoires sont attendus en début de semaine. L'enjeu est de taille: renouveler un parlement élu en 2013 et dont le mandat devait s'achever en 2018, et faire avancer l'application de l'accord de paix d'Alger. Celui-ci, signé en 2015 entre les groupes armés indépendantistes et Bamako, prévoit plus de décentralisation via une réforme constitutionnelle qui doit passer par l'Assemblée. Or, la légitimité du parlement sortant est contestée. Mais comment motiver des Maliens qui remettent en cause la capacité de leurs dirigeants à sortir le pays de la guerre et de la pauvreté ? D'abord concentrée dans le Nord en proie à des rebellions indépendantistes, la crise a dégénéré avec l'arrivée de groupes terroristes dans le pays à partir de 2012. La violence frappe quotidiennement le centre et le nord du Mali et les voisins burkinabès et nigérien. Les attaques contre les soldats et les civils alternent avec les explosions de mines artisanales, les morts se comptent par milliers et les déplacés par centaines de milliers. Vingt-cinq militaires, selon le gouvernement, ont été tués entre les deux tours dans une opération revendiquée par un groupe affilié à al-Qaïda. «Dans le centre et dans le nord, est-ce que les populations pourront voter librement? Dans le centre, les groupes terroristes sont en train de menacer les populations» pour les dissuader de voter, affirme Ibrahima Sangho, chef de mission de la Synergie, plateforme d'organisations qui déploient des observateurs lors d'élections. Le premier tour du 29 mars a été marqué par des enlèvements de présidents de bureau, le vol et la destruction d'urnes. Dans les zones rurales de Tombouctou, les terroristes ont conduit de nombreux raids d'intimidation à moto. «Ne votez pas ou vous aurez affaire à nous», disaient-ils aux habitants, selon un rapport interne de l'ONU. Un millier de bureaux environ, sur plus de 22.000, n'ont pas ouvert, a admis le ministre de l'Administration territoriale Boubacar Alpha Bah, selon des propos rapportés par la télévision publique. Dans certaines régions du nord, le large taux de participation (plus de 85% à Kidal pour une moyenne nationale de 35,6%, avec des députés élus avec 91% ou 97% des suffrages) laisse envisager «une possibilité de fraude», dit un diplomate sahélien. Dans la capitale, la participation au premier tour a été de 12,9%. Ces faibles taux de participation sont dans la norme malienne, rappelle M. Sangho. Sur les 147 sièges de députés, 22 ont été pourvus au premier tour. Parmi eux, Soumaïla Cissé, le chef de file de l'opposition kidnappé le 25 mars alors qu'il était en campagne. A défaut de preuve formelle, tous les soupçons pèsent sur le groupe terroriste d'Amadou Koufa. Des négociations sont menées pour sa libération, selon son parti. «Soumaïla Cissé est un gros poisson qui pourra être échangé contre d'autres gros poissons emprisonnés», pense Bréma Ely Dicko, sociologue à l'Université de Bamako. Ce rapt sans précédent n'avait pas dissuadé les autorités de s'en tenir au calendrier électoral, pas plus que la progression du coronavirus dans le pays. Le Mali a officiellement déclaré 216 cas confirmés et 13 décès. Comme partout dans le monde, l'inquiétude est grande quant à la capacité de faire face à une prolifération. Un couvre-feu nocturne a été institué, les écoles ont été fermées, des restrictions imposées aux activités. Mais dans la capitale d'un des pays les plus pauvres de la planète dont une grande part de la population vit au jour le jour, les marchés, les mosquées, les transports en commun n'ont pas désempli. Le président malien a pris l'engagement que «toutes les mesures sanitaires et sécuritaires requises étaient rigoureusement appliquées» hier. Un important chef traditionnel sahélien, Ousmane Amirou Dicko, émir du royaume de Liptako, à cheval sur le Burkina, le Mali et le Niger, a appelé samedi à une trêve humanitaire pour éviter la propagation du coronavirus dans une région en proie aux violences terroristes et intercommunautaires.