Les députés tunisiens devaient voter, hier, la confiance à un nouveau gouvernement pour la troisième fois en moins d'un an, une instabilité éprouvant la jeune démocratie déjà confrontée à un rebond de l'épidémie de nouveau coronavirus et à ses conséquences sociales. Plusieurs partis ont annoncé à la dernière minute un soutien qui doit permettre au gouvernement de technocrates, mené par l'ex-ministre de l'Intérieur Hichem Mechichi, d'obtenir les 109 voix sur 217 nécessaires pour gouverner. Lors de l'ouverture de la plénière, M. Mechichi a présenté son programme devant les députés, disant vouloir arrêter l'«hémorragie» des finances publiques en relançant notamment la production de pétrole et de phosphate -entravée par des manifestations de chômeurs-, mais aussi réformer l'administration tunisienne, préserver le pouvoir d'achat et protéger les plus démunis. Le mouvement d'inspiration islamiste Ennahdha, principal parti parlementaire qui est loin d'avoir la majorité mais se retrouve en arbitre, a annoncé qu'il voterait pour ce gouvernement «malgré ses réserves». Le choix est cornélien: soutenir un cabinet apolitique prenant à rebours les grands partis, ou ouvrir la voie à des législatives anticipées. Si les députés ne votent pas la confiance au gouvernement, le président Kaïs Saïed, pourra dissoudre l'Assemblée, entraînant des élections début 2021. Dix ans après la révolution, la Tunisie poursuit sa démocratisation, fragilisée par les luttes politiciennes et sa difficulté à réformer son économie. Le Parlement élu en octobre 2019 est composé d'une myriade de partis antagonistes, qui peinent à constituer une coalition gouvernementale cohérente. Après le rejet en février par l'Assemblée d'un chef de gouvernement choisi par Ennahdha, M. Saïed avait nommé Elyes Fakhfakh, qui a gouverné quelques mois avant d'être poussé à la démission par la formation islamiste. Mais M. Saïed a gardé la main en désignant fin juillet Hichem Mechichi. Cet énarque de 46 ans a constitué une équipe qualifiée de «gouvernement du président» par les médias et composée de juges, universitaires, fonctionnaires et cadres du privé. Les ministères régaliens ont été confiés à trois spécialistes du droit, sans carrière politique et inconnus du grand public, avec un ancien chef de campagne du président comme ministre de l'Intérieur, selon des médias tunisiens. Au total, le gouvernement est composé de 25 ministres et de trois secrétaires d'Etat, dont huit femmes. Après des négociations menées sans prendre en compte la classe politique, des formations qui étaient acquises au président ont annoncé qu'elles voteraient contre le gouvernement. Mais Ennahdha et son allié libéral Qalb Tounès, 80 voix à eux deux, se sont résolus à le soutenir «vu la situation difficile du pays», dans l'espoir de le remanier partiellement ensuite. Ennahdha évite donc d'assumer la responsabilité de nouvelles élections, alors que le pays fait face à des défis économiques et des mobilisations sociales. Cela semble écarter aussi une troisième option: la nomination par M. Saïed d'un quatrième chef de gouvernement. Car des dissonances sont apparues ces derniers jours entre MM. Saïed et Mechichi sur certains noms de ministres, laissant augurer de tensions. Le gouvernement sera chargé de reprendre les discussions avec le Fonds monétaire international, dont le programme quadriennal a expiré au printemps. M. Mechichi a mis en garde contre une situation «difficile» et des «indicateurs dangereux», avec un endettement de 80 milliards de dinars, et une somme de 7,5 milliards de dinars (environ 2,5 milliards d'euros) à rembourser en 2020. Il devra également faire face au chômage, propulsé à 18% par la crise sanitaire, au rebond de la pandémie, et aux déficits de l'important secteur public, une gageure en l'absence d'un solide soutien parlementaire.