Le remaniement ministériel, annoncé par le chef du gouvernement, Hichem Mechichi, et voté par l'Assemblée le 27 janvier dernier, ne passe pas encore, faute de l'accord du président Saïed à appeler les ministres à prêter serment. L'absence du Tribunal constitutionnel se fait ressentir. Hichem Mechichi a annoncé le 17 janvier dernier les noms des 11 nouveaux ministres concernés par le remaniement. Toutefois, ces ministres n'ont pas encore pris leurs fonctions à cause d'un différend sur les prérogatives entre les deux têtes de l'Exécutif, le président de la République, Kaïs Saïed, et le chef du gouvernement Hichem Mechichi. Le président Saïed avait pourtant averti Mechichi, au cours de la séance du Haut comité de la Sécurité nationale tenu le 26 janvier, la veille du passage devant l'Assemblée, qu'il n'allait pas appeler à prêter serment des noms «suspectés» de corruption ou de conflit d'intérêts. Mechichi avait cru pouvoir passer, ayant l'aval de l'Assemblée. Différends «La Constitution du 27 janvier 2014 a été concoctée, en contournant des différends comme ceux que nous vivons actuellement, concernant la nécessité de validation, par l'Assemblée d'un remaniement ministériel», constate le député Mustapha Ben Ahmed. La Constitution ne stipule pas un tel vote, ajoute le député, qui rappelle que la référence d'un tel vote revient à l'article 144 du règlement intérieur de l'Assemblée. Or, le règlement intérieur de l'Assemblée n'est pas une loi de l'Etat, répond le président Saïed. Donc, et «même si d'anciens chefs de gouvernement, en l'occurrence Habib Essid et Youssef Chahed, ont appliqué pareilles mesures, et que le défunt président Béji Caïd Essebsi a validé un tel processus, cela ne veut nullement dire que la Constitution a été respectée, avant un avis du Tribunal constitutionnel sur la validité constitutionnelle dudit article 144 du règlement intérieur de l'Assemblée», écrit l'universitaire, spécialiste en la matière, Slim Laghmani. Le chef du gouvernement a essayé de trouver des arguments juridiques pour forcer son passage. Il a consulté le Tribunal administratif (TA) et a réuni la fine fleur des constitutionnalistes tunisiens. Mais, le TA a déclaré être incompétent en la matière, alors que les juristes lui ont répondu que le différend est politique et ne se résout que par le «dialogue» entre les deux têtes de l'Exécutif tunisien. Le Pr Laghmani a proposé un arbitrage entre des experts désignés par les deux Présidents. Mais, comme tout arbitrage est volontaire, les deux concernés n'ont pas donné de suite. Face à certaines propositions demandant à Mechichi de démissionner ou de changer les quatre ministres contestés, le chef du gouvernement assure qu'il est «un soldat au service du pays et qu'un soldat ne déserte pas le champ de bataille». Mechichi ne veut pas non plus faire de forcing et nommer, lui-même, les ministres, de peur de voir leurs décisions ultérieures frappées d'inconstitutionnalité. Impasse juridique et constitutionnelle, en l'absence d'un Tribunal constitutionnel. Dessous Nul de raisonnable ne saurait dissocier l'actuel différend du fait que Mechichi a été désigné par Saïed, suite à la démission d'Elyes Fakhfakh, alors qu'il était ministre de l'Intérieur de ce dernier. Etant indépendant et ayant besoin de majorité parlementaire pour avoir la confiance de l'Assemblée, Mechichi a promis aux deux premiers partis l'ayant soutenu, Ennahdha et Qalb Tounes, un remaniement ministériel pour les «récompenser», le soir même de l'obtention de la confiance, l'aube du 2 septembre. Il s'agit, surtout et le moment venu, d'écarter des ministres, proposés lors de la formation du gouvernement par le président Saïed et nommer, à leur place, des ministres proposés par lesdits partis. Ce fut fait moins de cinq mois plus tard, sans qu'il n'y ait eu de véritable bilan des ministres en place, sauf le fait qu'ils ont été proposés par les sphères du président de la République. Ce dernier l'a déclaré, lorsqu'il avait reçu des députés représentant plusieurs partis de la coalition gouvernementale et de l'opposition, le mercredi 10 février. Saïed a écarté de cette réunion les partis Qalb Tounes du magnat des médias Nabil Karoui, le Parti destourien libre dérivé de l'ancien régime et le bloc Al Karama, connu pour être des populistes proches d'Ennahdha. Etant un spécialiste du droit constitutionnel, le président Saïed a compris que son rôle est important dans l'interprétation de la Constitution, en l'absence d'un Tribunal constitutionnel, selon les termes de la Constitution. Et, contrairement à ce qu'a déclaré le président de l'Assemblée, l'islamiste Rached Ghannouchi, dans une interview à Al Jazeera, que «la Constitution n'accorde pas au président de la République le droit de refuser des ministres, ayant obtenu la confiance de l'Assemblée», Mechichi n'a trouvé aucune institution judiciaire pour valider pareils propos. Du coup, il a demandé à Saïed de lui fournir les noms des ministres contestés, voire de ceux qu'il accepte pour prêter serment. Les noms circulant comme étant «contestés», sont ceux de l'Emploi, Youssef Fennira (conflit d'intérêts), de l'Industrie, Ridha Ben Mosbah (soupçons de corruption), de la Santé, Hédi Khaïri (conflit d'intérêts) et de l'Energie et des Mines, Sofiane Ben Tounes (soupçons de corruption). Pour les remplacer, les sphères proches de Mechichi disent qu'il pourrait garder l'actuel ministre de la Santé, le Dr Faouzi Mehdi. Les autres portefeuilles sont en cours de discussions. Mais, tout reste possible. Advertisements