Accompagné de sa femme, algérienne de son état, le nouvel ambassadeur de France en Algérie, un poste officiellement entré en vigueur depuis le 29 juillet dernier, M. François Gouyette, a fait sensation dés son entrée dans la salle de spectacle de l'Institut français d'Alger, mardi dernier. Il a surtout retenu l'attention de l'auditoire, tout au long de la rencontre qui s'est voulue, par l'ambassadeur, bilingue, c'est-à-dire parlée dans les deux langues, française et arabe. D'ailleurs, il en fera mention tout au long de cette rencontre en réitérant sa volonté de «faire parler l'arabe durant les conférences, que ce soit par les intervenants algériens ou étrangers qui maîtriseraient cette langue, au sein même de l'institut et ce, afin de se rapprocher davantage du public algérien (...), je pense, notamment à des conférenciers comme Alain Gresh, Gilles kepel ou encore Slimane Zeghidour...». Un signe de positivité et de bienveillance de la part du nouveau médiateur entre la France et l'Algérie. Un regain d'intérêt dans la consolidation des relations franco-algériennes dont il a voulu témoigner devant un parterre composé du monde culturel et artistique algérien maîtrisant, d'ailleurs, lui-même, parfaitement l'arabe classique et dialectal n'ayant pas cessé d'accumuler cette fonction d'ambassadeur un peu partout sur le territoire du monde arabe et maghrébin, notamment en Tunisie récemment ou encore au Moyen-Orient tel en 2001 où il a été installé en tant qu'ambassadeur à Abu Dhabi, puis chargé du processus méditerranéen en 2005. Redirigé vers la Libye en 2008, il atterrira en Tunisie en 2012, puis en Arabie saoudite en 2016. Et c'est de là que vient aussi son assiduité de parler arabe... Un attachement profond à l'Algérie Toutefois, son érudition incontestable du Maghreb vient de son père, Maurice Gouyette, qui a vécu en région kabyle, à Béjaïa notamment, et dont l'orateur en a fait part lors de cette rencontre qui a été des plus enrichissantes en matière diplomatique et surtout culturelle, révélant ainsi le potentiel d' un homme d'une très grande culture musicale arabe et particulièrement algérienne, dont le genre malouf de Constantine lui est très cher et dont il se sent très proche. Il avouera aussi sa tristesse de ne pas avoir revu son ami Hamdi Benani avant son décès... «Je suis là pour échanger avec l'auditoire sur des avis, des idées et des souvenirs...», dira-t-il en langue arabe, en préambule à cette conférence. Et de souligner: «Je suis venu à la culture et au Monde arabe par l'Algérie. Un parcours singulier parce que moi j'ai eu le privilège, la chance et l'occasion de découvrir l'Algérie à la fin des années 1960 où j'ai accompagné mes parents. Mon père a vécu toute son enfance au début des années 1940 en Algérie, en Kabylie, à Constantine puis à Alger. Je me suis rendu, après, chaque année, tous les étés en Algérie où j'étais accueilli par des familles algériennes, à Alger, Blida notamment. Je me suis ainsi familiarisé avec leurs coutumes. J'ai appris l'arabe dialectal. Ça m'a donné l'envie, ensuite, après le baccalauréat, de faire de l'arabe sérieusement à l'université tout en continuant à m'intéresser au dialecte maghrébin...» Et de confier: «Mon père n'était pas un pied-noir. Mon grand-père était un cadre dans une banque française à Paris et qui a été envoyé au département de Constantine pour diriger les agences... On est parti les années 1950. Mon père a toujours été marqué par son enfance algérienne. Il parlait kabyle, l'arabe dialectal aussi. C'est lui qui m'a transmis cet intérêt pour la langue arabe». Pour M. l'ambassadeur, endosser le poste ici en Algérie «est un couronnement car dans la nomenclature des postes diplomatiques pour la France, l'Algérie est évidemment un poste de première importance. On boucle la boucle car c'est ici que j'ai commencé ma fréquentation de la culture arabo-musulmane et que je finis ma carrière. Les dernières fois où je suis venu en Algérie remontent aux années 1970. Apres, pendant une quarantaine d'années je ne suis revenu que très peu souvent, ou à titre professionnel, en mission». Et de se remémorer: «Ce que je me souviens de cette époque est que je me sentais tout à fait à l'aise dans un milieu algérien francophone où on parle aussi l'arabe et le kabyle. Quand je sortais et je partais dans la rue, je ne me sentais pas du tout étranger.» Une coopération basée sur l'interactivité Outre la langue, le diplomate dira s'être intéressé forcément au patrimoine culturel telle la musique andalouse et au cinéma d'antan, comme le film «Le Charbonnier» de Mohamed Bouamari, premier film algérien qu'il a regardé, «Chroniques des années de braise» de Lakhdar Hamina, mais surtout «Omar Gatlato» de Merzak Allouache qui attira plus son attention car il «est très représentatif de ce que l'on faisait à ce moment là en Algérie», estime-t-il. Et de citer aussi le film «Papicha» de Mounia Meddour qu'il a bien apprécié recemment. En matière de musique, il a tenu à rendre hommage à un ami de Tlemcen, Nadjib Bousmene, un homme qui l'a initié aux musiques algériennes et,notamment aux écoles de musique andalouse. À propos des artistes et écrivains algériens qui l'ont marqué, il dira qu'il y a ceux que l'on connait surtout en France (Kamel Daoud, Boualem Sensal, Yasmina Khadra, Ndlr) et de féliciter la qualité d'écriture de la jeune génération qui l'impressionne dont Kawter Adimi ou encore Samir Toumi, mais de citer des noms aussi comme Kateb Yacine, Mouloud Mammeri, Akroun etc. «La littérature algérienne n'est pas très connue en France. On va essayer d'aider à la distribuer aux Français.» Abordant le volet de la coopération algéro-française, M. François Gouyette dira qu'il faut s'intéresser d'abord à la coopération éducative, en matière d'enseignement supérieur, de formation professionnelle tout en invitant tous les Algériens toutes disciplines culturelles confondues à «exprimer leurs besoins» pour leur venir en aide et «y répondre dans la mesure de nos capacités», a-t-il fait savoir. «Après, il y a la promotion de la langue française, même si l'Algérie n'est pas membre de l'OIF, mais est bel et bien francophone», fera-t-il remarquer tout en souhaitant que tous les instituts français puissent s'ouvrir davantage à la langue arabe de façon «interactive» afin de susciter l'intérêt du public arabophone qui sera peut-être davantage motivé quand il y a des artistes ou des conférenciers qui s'expriment dans sa langue, pour un meilleur débat des idées». Et de réitérer cet impératif qu'il y ait «cette interactivité entre la langue arabe et française, le public et les participants. C'est le cadre qu'on doit se fixer», a-t-il souligné. Prenant la parole pour évoquer la programmation de l'Institut français d'Alger, Gregor Trumel, conseiller de coopération et d'action culturelle et directeur de l'Institut français d'Algérie s'est félicité de la tournure qu'a pris la programmation en ligne, en faisant fi de la pandémie du coronavirus tout en continuant ainsi à diffuser un programme sur les réseaux, notamment des films, des conférences et des concerts. «On a multiplié le nombre d'abonnés sur nos réseaux sociaux de manière très importante. Peut-être qu'il faudra faire venir, à l'avenir, moins d'artistes de France et favoriser davantage la scène locale en matière de musique par exemple...», a-t-il declaré. Répondre aux attentes des artistes algériens Evoquant le volet des arts plastiques, l'ambassadeur de France dira avoir visité «l'exposition du Palais de la culture (qui se tient jusqu'au 17 octobre, Ndlr) et dont la majorité est de qualité». Il a souhaité s'ouvrir davantage aux artistes algériens tout en multipliant aussi les rencontres avec eux et les expositions. Et de renforcer aussi la coopération avec les lieux d'art privés. Aussi, il confiera son projet de célébrer les cent ans du compositeur et pianiste Camille Saint-Saëns mort à Alger en 1921. «Cela se fera avec des musiciens de France et pourquoi pas des musiciens algériens.» S'agissant du volet cinéma, l'ambassadeur de France relèvera qu'étant adolescent «la Cinémathèque algérienne, était une institution culturelle majeure. Un élément symbolique d'une époque où la culture était vivante.» À propos de la numérisation des archives, M. François Gouyette dira «être prêt à faire plus et mieux avec vous. J'en prends l'engagement au nom de mes collègues» en s'adressant à Salim Aggar directeur de la Cinémathèque algérienne. À propos de la bande dessinée, il évoquera le nom de Slim, un ami depuis 40 ans, mais aussi Dilem qu'il suit bien, et Le Hic tout en confiant que son fils travaille dans l'animation, ceci pour avouer son attachement à ce milieu. Ouvrir d'autres antennes des instituts français, notamment dans le Sud de l'Algérie «est un projet qui date de plusieurs années et qui hélas, n'a pas pu aboutir» regrettera l'ambassadeur de France en Algérie. Et de finir cette rencontre en saluant la richesse de la poésie populaire dialectale de l'Ouest algérien. Une rencontre sympathique qui a fini dans les jardins de l'Institut français d'Alger, agrémentée par les doux sons d'un groupe de musiciens algériens en cette fin de journée qui annonce de bien belles promesses en matière de coopération algéro-française. Notons enfin que François Gouyette a succédé à Xavier Driencourt, admis à la retraite par limite d'âge, après 3 années de service.